L'Insoumise : Southland Tales


En 1852, lors d’un grand bal virginal, une orpheline voltairienne choque la bonne société de la Nouvelle-Orléans par une robe rouge sang de prostituée. Elle retrouvera l’homme qu’elle aime un an plus tard, avec une épouse et victime de la fièvre jaune. Autour d’eux, le monde change...

Ce séduisant portrait de femme s’inscrit dans la lignée sociale et rebelle de l’esthétique Warner, en permettant à Bette Davis d’incarner admirablement une héroïne en miroir.  
  

I

Voici un cheminement vers la grâce dans un univers en train de disparaître. Voici une histoire d’amour vouée à se dissoudre dans un lazaret. Voici les germes de la guerre de Sécession (la Guerre Civile, comme l’appellent les Américains) présagés par ceux d’une épidémie. 

Les hommes ne plaisantent pas avec l’honneur d’une dame. Les duels se pratiquent entre gens de bonne compagnie. Le décorum régit la vie sociale ; un écart vestimentaire ou de langage peut entraîner l’opprobre ou la mort.  

La flore sudiste protège une architecture massive et alanguie. L’extrême élégance des lampes à huile et des couverts en argent sert d’écrin à des discussions à fleurets mouchetés. Une parure défaite révèle son armature ; sur un marché, une vendeuse exhibe des masques.

Le Nord et le Sud se détestent cordialement, chacun se moquant des coutumes de l’autre. Les notables ne veulent pas d’une autre ligne de chemin de fer : le fleuve des origines leur suffit pour transporter leurs marchandises.

Ici les Noirs servent les Blancs. Seuls les abolitionnistes réclament la fin de cet esclavage doux. Et quand un enfant du pays revient dans cette Nouvelle-France, proposant au domestique connu depuis toujours de boire un verre avec lui, celui-ci décline poliment – les conventions de classe et de race le feront trinquer à la cuisine.

Un homme croit à l’éternité de cette terre et se porte volontaire pour défendre ceux qui le méritent. Un homme sait que la guerre commerciale qui se prépare, sous ses atours moraux, l’emportera. Un homme ne peut combattre une maladie dans une région qui fait tonner le canon en guise de prophylaxie.

Les femmes rient, pleurent et dansent. Elles commentent les actions insensées des hommes, impuissantes à les arrêter, trop promptes à les manipuler. Les mondes sexuels parfaitement étanches volent en éclats au cours d’un bal mémorable. Un couple défie l’assistance ; il le paiera de l’exil et de la réclusion.

Dans ce monde condamné, qui vit ses derniers mois de beauté, de confort, d’insouciance et de marivaudage, les signes du déclin devraient alerter, le cercle du pouvoir pourrait se prémunir contre l’hécatombe à venir. Mais personne ne sait ni ne veut lire le futur qui s’annonce. Tous se croient à l’abri dans les rues animées d’une ville nonchalante, entre les murs défendus d’une plantation.

Une femme descend d’un cheval qu’elle seule peut monter. Elle s’imagine propriétaire d’un cœur, libre au point d’enfreindre les bonnes manières de toute une communauté. Elle finira sur un chariot d’agonisants, le visage inondé par le feu purificateur.

Ce personnage biblique et moderne possède les yeux de Bette Davis.    
             
II

La carrière de l’actrice connaîtra son apogée durant la décennie suivante, culminant avec Ève de Mankiewicz en 1950. Déjà détentrice d’un Oscar en 1936 pour L’Intruse, elle hérite du rôle à la suite du succès en librairie d’un roman-fleuve de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent. Une liaison se noue avec William Wyler au début du tournage, qui ne lui survivra pas.

Dans le cinéma américain des années 30 apparaissent deux comédiennes qui partagent avec Bette Davis la même détermination, la même énergie purement féminines. Katharine Hepburn débute dans Héritage en 1932, Jennifer Jones dans New Frontier en 1939. Comme la Tracy Lord de Cukor, la Julie Marsden de Bette Davis affiche un tempérament dépourvu de la moindre tiédeur, du plus infime compromis. Femme libre avant l’heure, elle sait parfaitement ce qu’elle veut et comment l’obtenir. Elle ne craint pas de tenir tête à toute une société, ni de suivre son amour vers la fatale quarantaine. Comme la Pearl de King Vidor (on sait l’importance de Selznick sur Duel au soleil, sept ans après l’épopée d’Atlanta), son héroïne fait aussi montre d’une nature passionnée. Grande amoureuse, qui aime trop et mal, elle conserve toutefois une lucidité qui fera défaut à La Renarde.
    
La beauté de Bette Davis, évidente devant la caméra d’un réalisateur amoureux, ne doit rien aux déesses cinématographiques du muet passées au parlant avec leur timbre rauque d’outre-monde, les Greta, Marlene et autres Louise. Ni sublime, ni androgyne, ni garçon manqué, Bette fait son entrée comme personne avant elle, soulevant sa cape de sa cravache comme nulle autre (au bout de quarante-cinq prises !). Elle parle peu et bien, l’intensité de son caractère dans chacun de ses mots et de ses gestes. Elle porte des robes qui racontent son histoire, du scandale à la virginité, de l’anonymat au deuil déchiré. L’habit ne fait pas le moine, mais l’actrice, assurément.

Ses yeux magnifiques et inoubliables nous révèlent son âme, son talent et son bonheur fugace. La persona fusionne avec le personnage et la personnalité. Par la nuance narcissique de son sacrifice, par ce sens du spectacle tressé à celui des choses concrètes et du devoir, elle évite le risque de l’hagiographie. Dans sa rédemption, on décèle de l’égoïsme ; dans sa pietà finale, elle pose pour un profil de médaillon royal.

Bette Davis brille toujours, soixante-quinze ans plus tard, de cette lumière intérieure que l’on ne doit pas confondre avec la somptueuse photographie d’un chef opérateur inspiré. Tandis que la nuit tombe sur le film et sur le monde dont il dresse l’élégie, elle se tient entre les morts, plus vivante que les spectateurs contemporains, en route vers son destin de poussière d’étoile si volatile et si précieuse. Au ciel des fantômes chéris et des femmes qui vécurent pleinement leur vie, entre récompenses et drames personnels, entre procès et chefs-d’œuvre fragiles, elle nous sourit encore.

III

Bette Davis et William Wyler tourneront ensemble La Lettre et La Vipère.

Parmi d’autres titres, Wyler réalisera Les Hauts de Hurlevent, des documentaires en temps de guerre, Vacances romainesBen-Hur et L’Obsédé.

Henry Fonda peaufinera bientôt, en la nuançant, son intégrité hiératique chez Ford (Vers sa destinéeLes Raisins de la colère).

John Huston, alors coscénariste, signera sa première œuvre en 1941 : Le Faucon maltais.

Hal B. Wallis produira notamment Les Aventures de Robin des BoisCasablanca et… Bagarres au King Créole.

Max Steiner composera la musique d’Autant en emporte le vent ; auparavant, en 1933, on lui devait l’une des toutes premières partitions originales pour l’écran, celle de King Kong.

Ernest Haller pendra la suite de Lee Garmes pour l’éclairage du monument sudiste de Selznick, et travaillera aux côtés de Ray, Mann et Aldrich.

Orry-Kelly gagnera trois Oscars pour ses costumes sur Un Américain à ParisLes Girls et Certains l’aiment chaud.   
    
Hawks, Walsh, Huston et plus tard Eastwood travailleront tous au sein de la Warner. 





Visages



Érotismes



Situations




Extérieurs/intérieurs 



Signes



Solitudes 




Cérémoniaux 





Duos


Portrait de groupe
                            

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