Mon ennemi Pierrot

 Exils # 89 (27/02/2025)


Film inoffensif au financement participatif, à l’aspect pasteurisé des produits netflixés, Terrifier (Leone, 2016) ne terrifie le cinéphile amateur de cinéma dit d’horreur. Doté du prénom du petit démon de La Malédiction (Donner, 1976), du nom de lion d’un cinéaste célèbre pas seulement pour ses westerns, le type a priori sympathique, si l’on lit ses dires dans Mad Movies, conclue sa clownerie gory avec une dédicace d’occase : « In memory of » Wes Craven, George A. Romero, Tobe Hooper, sacro-sainte trinité de l’imagerie concernée. Hélas, ce troisième essai potache et qui tache ne possède une seconde l’intensité, la radicalité, l’originalité des Griffes de la nuit (1984), La Nuit des morts-vivants (1968), Massacre à la tronçonneuse (1974), items séminaux ensuite déclinés ou décimés à satiété, selon le succès que l’on sait. Toutefois Terrifier semble lui aussi se transformer fissa en franchise, puisqu’il s’agit déjà d’une lucrative trilogie, à budget graduellement augmenté. La barbaque cassa la baraque, relança le débat décevant « la violence à l’écran », marotte de moralisateurs hypocrites et psychotiques, confondant en toute mauvaise foi et à la truelle la fiction et le réel, comme si censurer de supposés excès suffisait à régler des problèmes de société, eux-mêmes symptômes d’une insanité autonome du ciné classé spécialisé, ne parlons pas des (vrais) psychopathes au pouvoir, ni de leur business de guerre et de gloire. Avant de devenir marteau, Nietzsche incitait à philosopher au marteau, Art le Clown s’en sert à sa manière, s’amuse à effrayer la coriace prisonnière (assommer l’exterminateur), attachée à une chaise tel le spectateur assis sur son siège, position à l’unisson d’un masochisme mimétique cristallisé par Hostel (Roth, 2005). Chantant Vian, la fellinienne Magali Noël demandait jadis à « Johnny » de lui « faire mal », de quoi terrifier en effet les furies féministes, incapables d’apprécier le second (ou troisième) degré.

Les adolescents applaudissant les méfaits de Damien semblent cependant à redouter bien moins que d’autres cités dans l’actualité, « aux âmes mal nées, la valeur (du fait divers) n’attend point le nombre des années », CQFD. Leone ne doit connaître Corneille, l’assassin serein ne baye aux corneilles, terrorise et trime toute la nuit de Halloween. Construit en boucle bouclée, en cercle (infernal) vicieux et viral de victime (et invitée de talk show) devenue illico bourreau, ouvert sur un téléviseur portatif et symbolique de mise en abyme, Terrifier désormais disponible en ligne, en version anglophone de fameuse plate-forme, le film de Leone accumule les maquillages d’outrages et vise en définitive, tout apport politique et psychologique évacué, à créer un croque-mitaine aussitôt iconique, aussi salaud et drolatique qu’un Freddy Krueger, plus salissant et diabolique que le Grippe-Sou de Stephen King puis Tim Curry (Ça, Wallace, 1990) & Bill Skarsgård (Ça, Muschietti, 2017). Sorte de croisement taciturne et transgenre (poitrine féminine sur poitrail masculin, parce qu’il le vaut bien) entre Pierrot et Marilyn Manson, Art se tait comme Keaton, admiration du cordial acteur David Howard Thornton, même un poinçon planté dans le pied, pratique une scatologie à la Ferreri (La Grande Bouffe, 1973), on plaint l’employé à seau et balai, vite trucidé. Deux gérants de restaurant, deux fêtardes déguisées (et dégrisées), deux dératiseurs bosseurs, une SDF à l’ouest et son poupon en porcelaine, une étudiante studieuse à la rescousse de sa sœurette – tout ceci (nous) rejoue le jeu sérieux du chat et de la souris, tout ceci s’étire sur presque une heure et demie, trahit ses origines de court métrage dilaté, de personnage (peu) développé. Tourné (en RED) pour le prix d’une pizza ou quasi, au creux guère onéreux un bâtiment désaffecté (de couloirs souterrains d’ex-hôpital paraît-il), au KEEP OUT en rouge tagué, Terrifier fait fi de l’avertissement signifiant, se fiche de la variante du NO TRESPASSING du parvenu de Xanadu (Citizen Kane, Welles, 1941), il faut entrer de son plein gré au sein malsain et enfantin du train fantôme, y périr et y survivre en somme.

Si la Tara (Heyes) de Jenna (Kanell) succombe à mi-parcours, en écho à la Marion Crane/Janet Leigh de Psycho (Hitchcock, 1960), à la Kate Miller/Angie Dickinson de Pulsions (De Palma, 1980), la ressemblance s’arrête là, sa sœur Victoria survenue se voit vite vaincue, expédient expéditif de tuerie simpliste, le réalisateur le reconnaît, s’en excuse, fracassée au fouet façon Christopher Lee (Le Corps et le Fouet, Bava, 1963), « chat à neuf queues » et « Cat Lady », eh oui. Tandis que le mime massacreur, mets ta tête sur mon cœur, pietà à trois, émouvante performance de Pooya Mohseni (Thornton verse sur le set une larme sentimentale), faussement assagi, pardi, se délecte de la face défigurée de l’avant-dernière victime, Hannibal Lecter peut aller ailleurs, la cavalerie riquiqui de flics en tandem s’amène, la ramène, montre-moi ta putain de main (droite). Art se fait sauter la tête, ressuscite aussi sec, cadavre de body bag qu’un court-circuit de coda ranime en mode Frankenstein (Whale, 1931). « It’s alive » indeed et le coroner accro au bacon, au cynisme stoïcien, le découvre bel et bien. Leone écrit, co-produit, réalise, monte, fournit les effets spéciaux, escorté en renfort par la paire Phil & Lisa Falcone, itou polyvalents et co-produisant. Il désirait concevoir et donner à voir « quelque chose de frais et d’excitant », récolta des critiques clivées, se fit traiter à tort de misogynie (dorénavant « inévitable » avoue le pauvre diable « élevé par des dames ») et de transphobie, signes de(s) temps désespérants. Non démuni d’humour et d’ironie, cf. le costard de squelette, le selfie sans gêne puis obscène, le doigt d’honneur déconneur, Terrifier ne mise sur le réalisme, adopte et adore le grand-guignol, démonstration en situation avec le calvaire de Catherine Corcoran, proie topless pendue à la renverse et sectionnée à la verticale, cruauté triviale, depuis le milieu, rien que pour nos yeux et ceux de l’amie bâillonnée, aux siens exorbités, sommet de sadisme surréaliste à la scie salement solide, plus proche du dessin animé tendance Tex Avery que du spectacle de magie à la Claude Chabrol (La Fille coupée en deux, 2007), scène anthologique et historique, en rime à celle de la mâchoire arrachée (et reflétée) de l’Amy Smart de Mirrors (Aja, 2008).

Condition nécessaire mais insuffisante de chaque ouvrage, la sincérité du cinéaste ne suffit à valoriser son métrage, dommage, qui se limite en résumé à une chasse d’impasse, du vide ludique, des farces et attrapes pas (assez) patraques. Jamais (adulte) dérangeant, il comporte pourtant un instant convaincant, lorsque le clown immobile dévisage sa voisine de table, à laquelle il offre ensuite une bague en plastique, des balles létales, tirées à bout portant, « mon enfant ». Alors l’ogre loup relooké des contes de fées, largement au-delà de la bienséance, incarne la puissance malaisante du silence, la tension entretenue, de la suggestion la vertu, alors Leone troque Herschell Gordon (Lewis) contre Jacques Tourneur et fait presque peur, sa camelote anecdotique (sac poubelle compris, accessoire miroir) contre un trouble mutique – less is best, moralité de ciné du factice Terrifier.       

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