Il faut qu’on parle de Kevin
Exils # 82 (17/02/2025)
Selon cette seconde version – je ne reparle de la première, relisez-moi ou pas – d’un « souvenir gênant de l’espace », dixit la réplique du chef des scientifiques et méchant de service, Noir du soir à la barbe blanche, personnage à présent « malaisant », un changement majeur modifie la perspective, en partie piqué au Piranhas (1978) de Sayles & Dante : exit la météorite, place à l’artefact. Si de jeunes gens incarnent encore de grands adolescents ; si l’ensemble se déroule toujours sur fond de « guerre froide » et de menace mélasse à refroidir, au propre et au figuré ; si la « foi » et la confiance font à nouveau la force, il ne s’agit plus ici de xénophobie fifties, mais d’une manipulation de masse fictive et prophétique. Les hommes en blanc, soi-disant bienveillants, démasqués, menaçants, autant que les militaires d’hier, d’E.T., l’extra-terrestre (Spielberg, 1982) ou Starman (Carpenter, 1984), carburent à la « quarantaine », affirment une « infection », se gargarisent de « contagion », se fichent du possible et rural génocide, puisqu’il permettrait de foutre la pâtée à la Russie, eh oui. Avec leurs costumes immaculés aux casques qui agrandissent leurs visages, dommage, ils paraissent des crapauds saligauds, plutôt que des experts sanitaires issus du Mystère Andromède (Wise, 1971) ou Alerte ! (Petersen, 1995). L’arme « bactériologique », à conséquence eschatologique, s’inscrit ainsi parmi une reconnaissable imagerie, annonce en sourdine le psychodrame de la « pandémie », sa mise en scène malsaine non plus limitée à une small town américaine, démultipliée au monde entier. Face à la falsification effrontée des faits, dont la victime d’incipit, very symbolique, s’avère être un SDF forestier, d’un chienchien flanqué, salut aux « exclus » du clairvoyant Invasion Los Angeles (Carpenter, 1988), un « motorcycle boy », pas celui de Coppola (Rusty James, 1983), quoique, mate Matt, se dresse en individualiste à la sauce US, en outsider doté d’un cœur.
L’ex-voleur dans le viseur de la paternaliste et pourtant lucide police, plus orphelin que moins, surprend à bon escient, l’instant d’une scène d’adieu cordial au bureaucratique hôpital, la petite amie jeune et jolie, rencard de brancard, quel traquenard, caméo de Jack Eraserhead (Lynch, 1977) Nance inclus. Qualifiée d’hystérique par un flic, peu crue par ses parents impuissants, la veuve juvénile et témoin indocile fait fissa équipe avec le motard pas si « full of shit », dialogue de larmes et de rires au diner déserté de la serveuse chaleureuse et invitée, hélas destinée à succomber au creux d’une cabine téléphonique façon Hitchcock (Les Oiseaux, 1963), tandis que la tête du shérif épris puis épuisé glisse sur la vitre. Pourvue d’un pull rétréci, la pom-pom girl décorative de la convaincante Shawnee Smith devient donc une héroïne active et combative, à main très armée, ave Ripley (Aliens, le retour, Cameron, 1986), la WASP boit la tasse, égouts relous, style Stephen King (It), où périt le petit amateur de film dit d’horreur, ersatz de Jason (Vendredi 13, Cunningham, 1980) à l’horizon. Le « blouson noir » devient donc de son côté un « chevalier blanc », fait front, traverse l’impraticable pont, possède la candeur, la douceur des traits, la féminine virilité de Kevin Dillon, à l’interprétation aussi irréprochable que son brushing daté, aux « extensions » imposées. Sa masculinité nuancée, à contre-courant du « bad boy » supposé excitant, s’oppose à celle plus piteuse que perverse du dragueur en série, mateur massacré par l’alcoolisée, colonisée, Vicki, caméo patraque d’Erika Piège en haute mer (Davis, 1992) Eleniak. Autour des vrais-faux tourtereaux s’agite une clique sympathique d’adultes en plein tumulte, mention spéciale au « révérend » compatissant, auquel la coda refile in extremis le rôle d’évangélisatrice et défigurée némésis.
Avant qu’une neige carbonique et salvatrice, amitiés à Gremlins (Dante, 1984) ne vienne calmer la survivante communauté, Le Blob (Russell, 1988) participe d’un « chant du cygne », celui d’effets spéciaux organiques et poétiques dirigés par Tony Gardner, dignes du déploiement « pornographique » et magnifique de Rob Bottin pour The Thing (Carpenter, 1982), affiche de ciné démarquée en prime et en rime. Constamment amusant, jamais condescendant, ni envers les tourmentés protagonistes ni envers le miroité public, le valeureux ouvrage du tandem Darabont & Russell, déjà responsable de l’estimable Les Griffes du cauchemar (1987), commence illico comme un émule de Romero, « natures mortes » de « ville fantôme » genre Le Jour des morts-vivants (1985) + cimetière à proximité du terrain de foot. La « confiture » impure et omnivore évoque d’accord le slime souterrain de SOS Fantômes 2 (Reitman, 1989), néanmoins la maison de la famille du pharmacien propose des posters de Dufy & Picasso, marqueurs culturels a contrario du grotesque boschesque de remarquables mélanges anatomiques, propices à réjouir les fanatiques du marxiste Society (Yuzna, 1989). Par sa matérialité radicale, Le Blob offre un feu d’artifice tout sauf gratuit, précédant le tournant et la tornade numériques à succès colossal de The Mask (Russell, 1994). Par sa dimension politique, il se défie de la Défense et de son étatisme, prend le parti d’un « complotiste », au-delà d’un scepticisme de saison, post-Nixon, figure une fracture jadis nordiste et sudiste, Lincoln en somme « comédien et martyr », de Genet le biographe, Sartre ricane, d’une « guerre civile » à la fois capitaliste et antiesclavagiste, dynamique antinomique d’une patrie cosmopolite, dont l’identité procède de l’altérité, chimique ou cosmique.
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