L’Aura de Barbara

 Exils # 8 (11/12/2023)

Faut-il se méfier des surfaces, a fortiori des films ? Davantage on devrait les sonder, discerner les symboles, sillage d’Oscar Wilde, préfacier du pétrifié puis putréfié Portrait de Dorian Gray, céder le sens, l’essence, à leurs obsédés, assermentés à main armée. Au sein du point malsain Dans le bain d’Hector (2019) se dissimule un mutique trésor, dans la baignoire à ne pas voir, hors-champ du ravalement, fi de mythologie, en dépit d’un Grec obsolète, aucun sex toy de traviole, canard de panard aussi canari que la robe jaune de Gena ni gênée ni négligée, ni Davis ni Rowlands, un cuni à Cluny, ça lui dit, gode ou licorne, à elle la couronne, et loin de l’Hadrien mémorisé de Marguerite Yourcenar, voici, parce qu’il le vaut bien, l’Adrien bodybuildé de Jom Roniger. Le trio de travaux, métaphore du court métrage lui-même à moitié work in progress, mastique (mastic du plombier, poncif à pénis des bandes spécialisées supposées à bander, distinguez ici le distinguo rigolo entre phallus et pénis) du sandwich, un plan à trois, chiche, semble sorti d’un Fassbinder première manière, délesté de la colère de kaiser, gouttes aquatiques sur brûlantes pierres, silhouettes peu suspectes, ludiques et athlétiques, triangle tendre à la légèreté d’inactualité. La comédie sexuelle et sexy, sise sous le signe de la schizophrénie, thèse, antithèse, absence de synthèse, de crédits, de profits, de temps, oui, s’inscrit donc dans un sillon maison, fait à la maison, de François Truffaut à Desplechin Arnaud, disons, sinon pardonnons. Issue d’une théâtrale et déjà bicéphale matrice, « l’esquisse » presque exquise, susurrait Gainsbourg à sa fifille d’amour, constitue de facto un huis clos, débuté par des dessins d’animaux, ours et tigre, lunettes et baskets, un vrai-fau bandeau de chaîne info, l’âge du féminin personnage, inélégant mais innocent matraquage, accumule sans scrupules les répliques chocs et chics, mots d’auteur, de la Nouvelle Vague horreur, Jeanson & Audiard (Michel) se marrent. Ça s’interroge, ça prend la pose, ça caracole, ça batifole, avec à l’orée de la scène principale, primitive, pérorent les psys, bâchée, préservée (préservatif du domicile, capote à la Christo), un escalier cadré des deux côtés, en clin d’œil inconscient à celui, à pied, motorisé, où se montrer, où se cacher, club de coq, gare de traquenard, de L’Impasse (De Palma, 1993).

Le vaudeville ne tourne à vide, bien servi via l’énergie de quasi sosies de Laurent Joffrin & Marilyne Canto, un hercule à culbute point inculte. Tout ceci, gentiment gay friendly, assurément amuse et divertit, possède une douceur rugueuse et heureuse, une instantanéité de happening découpé, de public privé, étonnant et familier. Le bleu de travail n’invite au blues, à la loose, rien ne déraille, rien ne détaille, au risque de l’inoffensif, de l’oubli du confetti, toutefois ne suffit au cher Jérôme Roniger. Après la saynète et ses comédiens plein d’entrain, de miel existentiel, un autre film et un film autre commence alors. En rime à la gamine idem encapuchonnée, a priori paranoïaque ou traquée, de White God (Mundruczó, 2014), Barbara Roniger incarne un curieux caractère, une adolescence parmi l’éloquence du silence, une héroïne de son temps au mystère stimulant. « L’extrait » de gaieté dévie vers l’inquiétude, le laconique tumulte. Si les adultes discutent, ne cessent de papoter, de s’apostropher, à la limite pour ne rien dire, en permanence pour se séduire, la jeune fille se tait, sa marche déterminée, pas rassurée, contredit le désir du body language (de Kylie Minogue, encore un fantôme au ceux de la carcasse désaffectée de La Samaritaine sublimée par Leos Carax in Holy Motors, 2012) explicite de la bien nommée Félicie (Baille, qui m’aille). Marivauder ou (s’)esquiver, en paires palabrer ou la bouche garder fermée, mettre (les voiles, rentrer chez soi) ou se faire mettre (Gainsbarre again), l’alternative dynamise, divise le moderne romantisme et annonce une énigme. Dedans, dehors, à demi nu, dans la rue, en lumière blanche ou éclairage dit naturel, cinématographique contradiction dans les termes, Dans le bain d’Hector effectue en définitive un saut quantique, ose un collage ésotérique, charme et désarme, résume sans raccord une autarcie sentimentale et une immersion urbaine comme cristallisation de notre époque, mélodrame médiocre de consumérisme et de terrorisme. Que les gars et la nana prennent garde, la benjamine anonyme pourrait peut-être décider de plastiquer leurs combinaisons (dénomination de vêtements, de positions d’accouplement) en plastique, de les (r)envoyer au septième ciel désormais éternel, de transmuer ce cinéma-là en destruction d’au-delà, grimace de menace. Poubelle ? Buñuel…

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