De l’unité à l’union

 Exils # 4 (02/07/2023)

Moretti cite ici Demy & Fellini, explique Kieślowski, vante les Taviani, contredit (à tort) Cassavetes, « beau » et pseudo-porté sur l’impro, pratique la piscine tel Lancaster (The Swimmer, Perry, 1968), imite même Brando KO sur un bureau (La Poursuite impitoyable, Penn, 1966). Il refuse de finir le « film dans le film » sur un suicide, en dépit d’une corde au cou de célèbre studio, n’en déplaise à Pavese, élit plutôt Calvino, et achève l’œuvre élégante, émouvante, gentiment gérontophile, cf. les sentiments (pas tant) surprenants de l’actrice et de la fifille, la première un peu rebelle, la seconde un peu musicienne, en relisant et remarchant le fameux défilé par « Charlot » épousé à l’insu de son plein gré (Les Temps modernes, Chaplin, 1936). Chez Poudovkine, une autre mère que celle du cinéphile candidat coco portait l’écarlate drapeau, succombait aussitôt, « mia madre » de 1926 terrassée par la charge tsariste. S’il se situe à Rome dès l’orée nocturne, géométrique et acrobatique, les camarades suspendus annonçant les voltigeurs du cirque en suspens, en sursis, invités rivés à la télé depuis leur Hongrie envahie, soviétique armée mise en parallèle avec l’invasion de Poutine selon l’actualité, sous une lumière mordorée, celle du « soleil » communiste mis à la sauce italienne, donc différencié de son semblable russe (Soleil trompeur, Mikhalkov, 1994) ; s’il retrace et retarde un double tournage d’outrage, film d’action à la con, à l’exécution simulation, réduite à rien via des cadavres d’archives, violence soi-disant « divertissante », « éthique » versus « esthétique », Renzo Piano, architecte assis et exégète épris de Apocalypse Now (Coppola, 1979), en consacre la supposée « sublimation » symbolique, tant pis pour le cinéaste enthousiaste, « éclairer en l’illuminant le mal », tu parles, vrai faux rival de notre Gianni, que sa propre femme produit, presque cocufie, trompe en catimini avec un psy, Vers un avenir radieux (2023) va en définitive vers la diurne lumière, s’émancipe du repli mortifère des somnifères, de l’accoutumance antidouleur aux antidépresseurs, de la nostalgie de l’amour et de la cinéphilie, mirages de mariages et d’images. Moretti nous salue et nous sourit, caméos inclus des solaires Jasmine Trinca & Alba Rohrwacher. La stase individuelle personnelle et professionnelle de Mia madre (2015), sexuellement inversée, cède la place à un collectif élan, un perpétuel mouvement, remarquez le travelling arrière lorsque Giovanni prend littéralement ses distances d’avec la « diagonale » infernale du « set » à la scène déstatufiée estimée infecte, auxquels participent un producteur français paupérisé, du salutaire soutien sud-coréen, un triumvirat mondialiste et inflexible de Netflix.

Entre reconstitution historique et reconstruction dynamique, sans éluder la solitude « autarcique » d’un créateur footballeur, a priori à la Pasolini, le métrage mélomane et optimiste mêle Beethoven & Fauré, Aretha Franklin & Joe Dassin, parce qu’ils le valent bien, fait fusionner in extremis les films, s’autorise au révisionnisme ironique, de réunion, disons de pardon, pensez à « l’utopie » des « si » du final carton. Analyste des pantoufles d’Anthony Hopkins (The Father, Zeller, 2020) et ennemi des mules de la même couleur, Moretti voit-il la vie et le CV du pays, du PCI, cette « hérésie » jolie, en rouge et en rose, loin du ressassement et de l’abattement moroses ? En tout cas il y croit, non à des lendemains qui chantent, mais à un aujourd’hui qui malgré tout enchante. L’introduction et la conclusion de sa mise en abyme antidote à la déprime relèvent de la cosa mentale, avers/revers chorégraphique, « poétique » et « politique », illustrant au cinématographique et hypothétique présent les puissances de l’imagination, de la réconciliation. Moretti rêve éveillé, en effet « ensoleillé », sa ludique lucidité délaisse la tristesse et la « légèreté » applaudit, écoutez la réplique de l’ambassadeur Jerzy. Marionnettiste non né à Rimini, rupture en voiture et en trio en mode Cyrano, escorté de ses trois scénaristes, il réalise en douce sa « comédie musicale » sise sous le signe de la pâtisserie, surtout de Trotski (Aprile, 1998), entrevu ici. Le « moteur » de la caméra à Cinecittà anime le cœur et le chœur de cette comédie humaine jamais malsaine, davantage nietzschéenne, on y danse et on y chante, quitte à flirter avec le moralisme réflexif, un peu à la Haneke, et l’opportunisme gay friendly. Le jeune amoureux puis père heureux des années soixante-dix pontifie en petit marxiste à propos des « problèmes existentiels » et de « l’ennui » à la Antonioni des personnages de La dolce vita (Fellini, 1960), vu en salle sentimentale, certains pourraient à Moretti les reprocher. Pourtant tout ceci, parcouru par la musique du pertinent Piersanti, se tient, retient et revient. Comme le Federico de Amarcord (Fellini, 1973), l’artiste « se souvient » d’une façon autre, avec un brin les mêmes notes, de sa mère morte, qu’il évoque, de sa filmographie pas si à étoffer, accorte et pas en toc, qui redit et ne radote. En crise, à trottinette, à barbe grise, de manière experte, il documente son métier, son désir de continuer, de filmer des hommes et des femmes familiers, fidèles, fragiles, de bonne volonté. Ce soleil de ciné, modeste et moderne, brille d’une immédiate et estimable humanité.

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