Fêtes funèbres

 Exils # 12 (20/12/2023)

Quel élément (du crime ricane von Trier) commun entre L’Inconnu du Nord-Express (Hitchcock, 1951), Furie (De Palma, 1978), Le Retour de l’inspecteur Harry (aka Sudden Impact, Eastwood, 1983) ? Of course leur crucial carrousel, leur ritournelle mortelle de circularité conflictuelle et cruelle, leur virtuosité visuelle de boucle bouclée comme climax musical causeur de décès emballé, empalé. Le passé ne saurait (tré)passer, il signe et persiste, refait faire un tour de piste aux pantins promis à un impitoyable destin, montés sur un maudit manège (dixit Djian) de péril et de piège. Parmi un parc de pacte patraque, au palestinien et espionné soleil d’Israël, du côté de l’obscure et encadrée Santa Cruz, la roue de l’infortune, diurne ou nocturne, châtie les pécheurs, deus ex machina de machine maléfique, en rime a la caméra a priori prima donna. De la même manière moins douce qu’amère, la fête foraine au ciné souvent ne se finit de façon sereine, celle de Panique (Duvivier, 1946), froide et fatidique, figée, (re)fermée, sur l’intime nuit de ses amants maudits (bis), en auto-tamponneuse d’aguicheuse malheureuse, celle du Sang du châtiment, justement (aka Rampage, feu Friedkin, 1987), distante et poignante, survivants s’éloignant, sublimée par les cordes de Morricone, d’une incurable mélancolie à quasiment transformer en comédie le crève-cœur du final fatal d’un mélodrame d’amis selon Minnelli (Comme un torrent, 1958). De ces trois exemples au milieu de trente, il appert une frontière de cimetière, se compte une (discrète) hécatombe à l’ombre du (grand) nombre, se relit le récit des origines, désormais déniaisé, dessillé, la guerre de naguère, à l’antisémitisme assumé, la gueule de bois carabinée, voire à main armée, des années soixante-dix ensuite, déjà en crise et désabusées, tel un filtre funeste déposé, en écho à des chrysanthèmes en bouquet, sur une mythologie populaire, peu chère, pragmatique et préhistorique. Art naïf et répétitif de fête foraine, réflexif d’amour et de haine, les films narratifs, indépendants dorénavant, depuis longtemps, datons d’une loi de 1912 dans l’Hexagone, en somme, séparés de lieux de projection et d’exploitation (pléonasme) dotés d’un nomadisme estimé négatif, se fichent du montage des attractions à la Eisenstein, représentent et pratiquent l’attraction-répulsion à la Frankenstein. L’espace sensoriel de divertissement, d’oisif ou régressif bon temps, où s’émoustiller l’hiver et l’été, en toute innocence et à bon marché, relève en vérité d’un enfer familial et fréquenté, chamarré, mouvementé, sonorisé, sucré ; la fête finie, l’aurore revenue, retour au galop vers Murnau, au charme bon enfant succèdent un silence inquiétant, une immobilité d’éternité, du livide et du sinistre, cristallisés au cœur révélateur (opine Poe) des sortilèges en sursis du conte d’outre-tombe, macabre et mélomane, de Carnival of Souls (Harvey, 1962).

Morte-vivante errante et inconsciente ou vivants bientôt morts au creux d’un méta et miroité décor, le train fantôme ici en métonymie de l’imagerie horrifique, pas unique, cf. la légende urbaine au sujet de l’effroi pionnier suscité par L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (les frères Lumière, 1896), vous y revoilà, il s’agit pour le compositeur de fusionner le désir et la peur, Kubrick astique son casque de natural born killer au Vietnam et ailleurs, de livrer des thèmes immédiatement évocateurs, dont l’instrumentation participe de la reconstitution, sinon de la résurrection. Tiomkin, Williams, Schifrin anticipent et suivent ainsi le Beal habile acoquiné au moqueur Hooper, les notes de Massacre dans le train fantôme (intitulé français programmatique, teinté de texan opportunisme, du factuel The Funhouse, 1981) en dialogue avec les homologues de Elephant Man (Lynch, 1980), l’évident chef-d’œuvre de l’estimable Morris, excellent partenaire par excellence de l’aimable Mel Brooks, réalisateur ou producteur, placé au sein d’un registre autarcique de délices et de sévices à la fois similaire et différencié, fables de freaks (show) en reflet sur l’humanité, la monstruosité, le dissimulé, le dévoilé. Le Delerue de Garde à vue (Miller, 1981) ferme la marche, forcément funèbre, écrit un express requiem sur fond de masculine et sociale confrontation, de culpabilité présumée, de possible pédophilie et de probable jalousie, de Saint-Sylvestre suicidaire, remember en reine mortelle la mémorable et à moitié morte Romy Schneider. Liesse et tristesse, envie et folie, parenthèse (à mettre en parallèle avec le carnaval revu par Bakhtine) et malaise : L’Étrange Noël de monsieur Jack (aka The Nightmare Before Christmas, Selick, 1993) animera idem, sous l’impulsion du spécialiste Tim Burton, pareille association de tons en opposition, de festivités inversées (macchabées consacrés ou naissance de messie, pile et face du même message rassurant, transcendant), de dimensions portées sur la diplomatie, l’entente cordiale d’abord bancale, plutôt que l’échange et le mélange. Dans la vraie vie, surfiction aux défauts de finitions, le capitalisme, en avance sur le calendrier, misère mensuelle des paies paupérisées, conditionne donc à consommer, le sentimentalisme incite à se soucier de solidarité, bonnes intentions de saison et d’occasion, vœux pieux oubliés dès les belles boules, remplies de vide, fragiles, étoilées, jusqu’à l’année suivante rangées. S’il fallait identifier un symbole assuré de cette récurrente, incohérente, fêtarde facticité, de ce simulacre de sincérité, on repenserait aux sapins qui le sentent, semés en toute impunité sur les trottoirs du trop tard, cadavres d’arbres mis à nu et malvenus. Le cinéma, de Dante (Gremlins, 1984) ou Capra (La vie est belle, 1946, Tiomkin rempile), traduit un chouia cela, père Noël paternel étouffé par sa cheminée, désillusion et déréliction à se jeter d’un pont. Il donne aussi en définitive à entendre des musiques jamais nostalgiques (signées Elfman & Goldsmith), davantage valses de désastres que guirlandes à (re)vendre.               

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