Une nuit sur le mont Chauve

 

Bush & Björk ? Les Pyrénées, l’Empyrée…

Pour Patrick

Cette tristesse essentielle et existentielle, la littérature, même la plus impure, ne vous en sauvera, surtout pas le cinéma, ce que l’on désigne donc ainsi aujourd’hui, par habitude, par lassitude, mais la musique, immédiate et multiple, immatérielle et pragmatique, immortelle et programmatique, permet de respirer, de se reposer, peut-être d’espérer. Celle d’Hélène Vogelsinger sait y faire, du lest se défaire, s’adresse avec adresse au corps et au cœur, s’installe in situ ou en studio. Dissimulée derrière ou dessous de chouettes pochettes, aux monolithes à la Kubrick, dotée de titres ésotériques, exfiltrés illico d’un dico de philo, voire d’un ouvrage de nouvel âge, gorgée d’énergies, sinon d’écologie, elle procède en définitive d’une forme féminine et intime de musicothérapie, de transe sonore créatrice de ses propres décors ou en accord selon ceux du dehors. Concentrée sur ses câbles colorés, la compositrice point patraque, un peu prognathe, tisse en série une tapisserie, déployée durant la durée, dont le lyrisme pas si minimaliste, encore moins répétitif, évoque en écho de Phil Glass les addictifs travaux. Hélène et son garçon, il transporte le matos, filme la fée fournie en lourde électricité, invitent aux voyages immobiles, aux odyssées disposées à domicile, en plein air, magie manuelle, sensorielle et sensuelle, du synthétiseur modulaire. Si les machines, maniées avec habileté, humanité, peuvent produire de la pop poétique, cf. Kraftwerk, de plus procurer du plaisir paluché, cf. les tristes et drôles sex toys, leur utilisation s’avère vite inséparable de l’exploration, de l’émancipation, de la libération, au risque, aussi, de l’autarcie, d’un narcissisme qui tourne en rond, se détourne du don. Les albums d’Hélène échappent au piège, au sacrilège, riches en sortilèges, doux et rudes comme la neige. Ni arty ni onaniste, plutôt Pénélope de l’époque, notre virtuose et mutique artiste électronique ne méprise l’analogique, s’autorise à taper sur un tambour, sourire en prime, taquiner en coda une clarinette presque obsolète. Davantage que des paysages, l’instrumentiste démunie de malice anime du temps, du mouvement, ne pouvait pas ne pas croiser par conséquent le chemin deleuzien du grand écran. Être mélomane ne saurait relever du pictural, arrive en catimini à s’orienter vers la géométrie, via les visualisations de saison, d’occasion, d’une seconde Hélène, similaire, pas la même, (re)visitez les Variations sauvages et au piano de Grimaud. Être mélomane signifie savoir se mouvoir à l’intérieur de l’âme, d’états d’âme, les ressusciter, s’y ressourcer. On le pense, ne cesse de le subir, la société dissout, tend à rendre fou, rend le réel flou, envisage l’avenir à la délétère lumière du pire, incite à la solitude, dévastatrice ou réparatrice. Les morceaux enchanteurs, modestes et majeurs, d’Hélène Vogelsinger se meuvent, émeuvent, du côté de la lumière, la sienne, singulière et solidaire, audacieuse et généreuse, attachante et reconnaissante. Les hommes mériteraient d’être rédimés, rachetés, a fortiori en fin d’année ? Le cynisme, manière amère de lucidité blessée, ne manque de réponses parlantes, de contre-exemples, souhaite au fond et en fait la défaite du monde immonde, le terme de l’obscène, que tout s’effondre et fonde. En attendant, plus très longtemps, l’apocalyptique climatique, le soleil du linceul, quelques pistes persistent, résistent, en particulier celles à écouter, à partager, d’une sirène sereine, discrète et experte, prénommée Hélène, déchargée de cheval de Troie, reliée à la Terre, à toi et à moi…         

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