L’Espoir

 

« La vie est autre que ce qu’on écrit » et l’avenir au Vieux-Port se retire…   

Ampoulé dès l’orée, « avant-dire » de « dépêche retardée », de « Noël 1962 » datée, où décocher une flèche au révisionniste Valéry, expliquer une « édition entièrement revue par l’auteur », « adéquation » et « fluidité », allez, « patine » de « trente-cinq ans », tu m’en diras tant, Nadja ne ressemble à Aurélia, même si le bon Breton, sillage de Gérard, théorisa aussi au sujet du « Rêve » et de la « Vie ». Ce petit récit vite écrit, assez illustré, désormais très documenté, notre modernité en ligne, à domicile, permet en outre de retracer l’écourté CV de Léona Delcourt, assortit ses dessins, découpages, collages, de la grâce mylènefarmerienne d’un visage, associe ainsi « subjectivité », « objectivité », littéraire/pictural name-dropping et « neuropsychiatrie » de déprime. On se souvient du terme guère amène de Un amour de Swann, résumé dessillé pour rupture impure. Nadja idem « ne plaît » à André, il lui arrive souvent de l’« ennuyer », cependant elle le sidère, elle le bouleverse, il ne peut, pendant une pleine semaine, s’en passer, anti-héroïne passeuse de cocaïne, à vous rendre accro, voire marteau, à la Artaud. Pas son « genre », elle le transcende, elle incarne un « esprit », ils partageront une nuit un unique lit, épisode censuré par l’âgé André, pudeur plus ou moins mal placée, déplacée, à l’instar de celle du Wong Kar-wai de In the Mood for Love (2000), autre opus pragmatique et hypnotique, mémoriel et mélancolique, chronologique et iconique. À lire Lautréamont, le diariste ici « subjugué » de sa « surnaturelle » et « sociale » disparition, on pourrait éprouver l’impression d’une roborative traduction ; à lire Breton, à (re)découvrir ses admirations, ses détestations, ses compagnons, ses pérégrinations, on se dit qu’il s’agit d’une rencontre à la fois d’élection et de distanciation. Le penseur du surréalisme parle d’« instinct de survie », la sienne, qui le mit à l’abri de débordements déments, le fit en définitive savoir « se tenir », y compris face au pire, parade de « drapeau », parage de salaud. Il confesse, en détresse, une incapacité à accepter Léona derrière, dessous, dedans Nadja, peut-être un peu putain, parce que la pauvreté, présente ou passée, le vaut bien. Conscient, il relie « internement » et argent, hébétude et solitude. L’amour fou ne fait filer doux, la folie se fabrique à l’asile, Camille Claudel confirme, lieu supposé la soigner, en réalité mouroir ensuite pétainisé. Au milieu du « monde extérieur », cette suspecte « histoire à dormir debout », la muse ne s’amuse, correspondante émouvante, morte de faim, de mauvais soins, d’un appétit de l’infini irréductible à celui du ventre, depuis longtemps dans la tourmente. Prophétesse portée sur l’ivresse de la vitesse, adoré aveuglé, arbres enténébrés, la principale intéressée, esquissée, citée, n’apprécia ce livre intime, fort et fragile, préoccupé in extremis d’une seconde et dernière dame, à la main « merveilleuse et intrahissable », donc d’une différente flamme, sis sous le signe de la « royauté du silence », achevé via le mouvement du moment et le futur d’un aphorisme fameux, fi du beau « statique » ou « dynamique », vive le « convulsif », fichtre. Dédé dédaigne la description, dorlote l’anecdote, prédit encore, à tort, la mort de « la littérature psychologique à affabulation romanesque », fréquente une voyante, se met en abyme de manière ultime. Furtive autobiographie et fragmenté portrait d’autrui, d’une inconnue chérie, de froid transie, Nadja s’autorise des digressions sympas, à propos du boulot, de la liberté, du temps, de l’identité. Il se soucie de serial, ne rigole au Grand-Guignol, se passionne d’une passante empruntée à Baudelaire « enfermé », « estime » la psychanalyse, l’accuse d’« expulser l’homme de lui-même », adoube un « adorable leurre » en cire érotique. Plus classique qu’onirique, « fantomatique » qu’automatique, ceci s’avère à demi décevant, ni révolutionnaire ni renversant, sait pourtant être parfois précis, poignant…   

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