The Woman King
Un métrage, une image : L’Odyssée de l’African
Queen (1951)
Le titre d’origine l’actrice désigne,
qui conduit le film comme le rafiot homonyme. Munie d’une forme de féminisme soft, portée sur le patriotisme, la
missionnaire faussement austère, vraiment active, ne condamne l’alcoolisme du
capitaine altruiste, plutôt sa parole manquée, sa couardise présumée. « Old
girl » guère bégueule, l’inflexible Rosie s’extasie aussi, surtout après
le passage des premiers rapides, épiphanie semblable à un orgasme, humidité en
prime. Jamais elle ne charrie Charlie, même si a priori plus intelligente ou maligne que lui. Au contraire, rusée,
sincère, elle le soutient, parce qu’elle ne vaut point rien, parce qu’il le
vaut bien, ce valeureux vaurien, en surface indifférent, en profondeur pas
tant, à l’instar du Rick de Curtiz (Casablanca, 1942), locutions
d’occasion, arbre bienvenu, saleté de sangsues. Le couple dépourvu
d’entourloupe partage un parcours puis l’amour, répare ensemble un bateau qui
lui ressemble, cabossé, fatigué, solide, intrépide, ils se réparent eux-mêmes,
elle orpheline d’un frère enfiévré, au propre et au figuré, soudain sidéré par
l’aveugle violence du monde immonde, lui l’estomac et le cœur vides, d’où son
recours de secours contre la débine à la bibine. Entre le Canadien mélancolique
et la Britannique chic, ça fait tilt, redessine en douceur et ferveur
l’héroïque, l’historique. Rom com au creux du Congo colonial, à l’orée
de la Première Guerre mondiale, l’opus
ne se préoccupe des locaux, réduits à de simples silhouettes un peu simplettes,
un peu chœur d’opérette, capable de se battre à cause d’un reste de cigare,
incapable de combattre et ainsi soumis aux Allemands d’antan, maudits ennemis
d’incendie. On pourrait le déplorer, concéder qu’il ne s’agit du sujet. En
compagnie de l’incomparable Agee, Huston annonce sans le savoir ni le vouloir La
Nuit du chasseur (1955) de Laughton, signé d’ailleurs du même auteur, à
nouveau un voyage maritime et intime à l’héroïne irrésistible. Si Lillian Gish,
mémorable matriarche biblique, affrontait un faux prêcheur et véritable serial killer, on retrouve ici, in
extremis, les roseaux de Moïse, sinon
le déluge de Noé, olé, l’épine ôtée du pied substituée aux pieds par le Christ
lavés, allez. Tandis que Bogie, surprenant, amusant, attachant, ne démérite, à
chaque plan et réplique s’implique, y compris sous la pluie, accessoire
essentiel de sentimentale et dramatique comédie, cf. celle de Diamants
sur canapé (Edwards, 1961) ou Sur la route de Madison (Eastwood,
1995), Katharine Hepburn illumine le film, lui confère sa dimension de
détermination, d’émotion, de mutation. Ce tandem
très amène de personnages et d’interprètes, adultes en plein tumulte, amoureux malgré
eux, le cinéaste les immortalise avec un classicisme magnifié par la direction
de la photographie de l’Archer Jack Cardiff, lui-même ensuite de retour en
Afrique via le viril Le
Dernier Train du Katanga (1968), s’attarde sur leurs visages, davantage
que sur les paysages, sur la beauté abîmée de leur âge, leur sensualité en
sourdine à proximité du naufrage. Lorsque la croyante Rosie, croyant l’aventure
finie, se met à prier, la porte du Paradis implorer, à se coucher, épuisée, la
caméra s’élève avec virtuosité, découvre le lac, ouvre l’horizon, esquisse une
solution, en rime de dérive inversée au travelling
languide et en contre-plongée du générique déjà exotique, introduction sous
frondaisons, poursuivie par une ascension de présentation. À la vie, à la mort,
Charlie & Rosie ne perdent le nord, désirent s’épouser, peu importe alors
d’être exécuté. Dieu & Huston ne s’en tamponnent, un sursis sans souci leur
accordent. Longtemps après, par Roddenbbery & Disney cette odyssée adoubée,
Clint & le coscénariste Peter Viertel reprendront de leurs nouvelles,
ressuscités en public et en privé à la manière méta et amère de Chasseur
blanc, cœur noir (1990). Métrage à succès d’engagement doublé, martial/marital,
L’Odyssée
de l’African Queen, depuis 2009 restauré, demeure donc d’actualité,
démontre la possibilité d’une pertinente et improvisée parité, au respect
pacifié.
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