Le Petit Prince a dit : La Fugue


Sa tumeur démontre que tu meurs et remet ta montre à l’heure, mon cœur…


La scène la plus éprouvante de L’Exorciste (1973) ? Celle de l’examen, bien sûr, car William Friedkin, formé au documentaire, sut conférer à cette angiographie de la carotide son authenticité caractéristique. Jadis, dans Les Yeux sans visage (1960), Georges Franju se servait d’un photo-montage, afin de retracer la chronologie guère jolie d’un greffon rejeté. Ainsi Le Petit Prince a dit (1992) s’insère à sa façon frontale au sein d’une sorte de trilogie d’imagerie médicale, où les clichés à distance deviennent radios rapprochées, rassemblées en planche, puis duplicata en direct, merci à l’IRM. À chaque fois, il s’agit de franchir un pas, de sonder en profondeur l’intérieur du cerveau, celui de jeunes filles en péril, observées par leurs papas de la partie ou leur maman rendue malade par la douleur, le maudit malheur. La séquence commence par un tête-à-tête oculaire, moment de proximité entre un adulte et une enfant maintenant aux limites du malaisant, néanmoins légitimé par le clair contexte, par le professionnalisme transposé, à peine joué, du vrai praticien rassurant, donnant la réplique laconique à l’actrice petite, elle-même désarmant mélange de sincérité, de fausseté, partage de l’âge. La caméra de la très regrettée Christine Pascal zoome avant, la réalisatrice et le monteur Jacques Comets pratiquent un champ-contrechamp stimulant, qui prend son temps, qui sait saisir un sourire, vite ravalé par la conscience tacite, puérile, du pire. Regarder avec acuité son sujet : nous voilà au cinéma, en mode méta. Le directeur de la photographie Pascal Marti concrétise le contraste, associe la douceur du flou et la dureté des faces, extrêmement nettes sur un fond en soft focus. Un plan d’ensemble regroupe ensuite trois personnages en blanc, comme immaculés, deux debout, un couché.

Derrière la porte attend un père impuissant, médecin pourtant capable de rien. Friedkin surcadrait Ellen Burstyn derrière une vitre en verre, en surplomb, accessoire transparent, explicite, reflet interne de la fenêtre de l’écran, dont on s’éloigne par un panoramique droite-gauche, par un son d’abord étouffé, à présent pleinement présent. Une coupe place l’impeccable Richard Berry au milieu d’un couloir, avant qu’un ascenseur invisible ne se manifeste, qu’une infirmière traverse. La cinéaste ose alors un raccord dans l’axe et l’on devine que le type en peine va faire autre chose que d’aller boire le consolant café recommandé. En haut, Violette pénètre un peu le cercueil sonore ; en bas, Adam s’assoit, Orphée silencieux venu espionner son Eurydice sans malice. À nouveau agi, passif, puisque placé en position de spectateur, en écho à la nôtre, il décide de suivre, de savoir, d’écouter la description/conversation technique, dynamique, invincible émerveillement devant le vivant, le gisant, le cadavre à venir toujours respirant, pour l’instant. On « avance » avec eux, on s’arrête sur une tache suspecte, on comprend immédiatement. Adam semble assommé par le diagnostic désolé, délivré en montage alterné, par la supposée preuve par l’image, en effet, de la plurielle pathologie. Aux « coupes » anatomiques correspondent et répondent les cinématographiques, exemple exemplaire d’un examen filmé, rythmé, musiqué au scalpel, tamisé de tendresse. Escorté par les cordes de Bruno Coulais, l’homme esseulé, dessillé, désormais suivi en caméra portée, ne se comporte pas de manière rationnelle, il remet sa veste de costume, il remonte et débranche sa progéniture déshabillée, allez.


Il se fout du « Qu’est-ce que tu fous ? », il quitte la clinique, il court sous la pluie en compagnie de Marie (Kleiber), le reste l’indiffère, les larmes du ciel rappellent leurs sœurs de Blade Runner (Ridley Scott, 1982), feu Rutger Hauer, philosophe faussement aryen, androïde doté d’un cœur, d’un esprit, lui aussi en sursis, ne dira pas le contraire. À l’abri dans l’habitacle de la voiture d’aventurier, ils partent à l’aventure, direction l’Italie, en route vers des retrouvailles au goût de funérailles, fuite magnifique déjà évoquée par votre serviteur, à l’occasion du  portrait impressionniste de la précieuse intéressée. On le (re)voit, pas une once de pathos ici, plutôt une harmonie réussie entre l’anatomique et le dramatique, entre la science et le récit, entre l’évidence et l’évasion. En six minutes, on apprécie un précipité de corporalité, de complicité, on applaudit le faisceau de talents réunis et la beauté, l’intensité, du regard individuel adulte, lucide, tourné vers la vie, qui les immortalise. Presque trente ans après sa sortie, Le Petit Prince a dit nous redit donc memento mori, nous invite à visiter un volcan, demeure autant vibrant, vivant. Un mélodrame à mouchoir, à mouroir ? Un testament humide et incandescent.


Commentaires

  1. "Une Belle Artiste disparue beaucoup trop tôt, en tous cas pas dans nos mémoires" ...
    une réalisatrice au talent peu reconnu hélas...
    https://www.youtube.com/watch?v=PJ2nfsEIlGs

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    1. Christine & Claude :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/03/la-meilleure-facon-de-marcher-les.html

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