Domino : Fatima
Pire que Passion : dispensable exploit, Brian De Palma…
En tant que cinéphile, pas seulement,
je dois tant au cinéma de Brian De Palma que je me devais donc de visionner le
discret Domino (2019), en dépit d’une bande-annonce tout sauf
excitante, malgré un mauvais pressentiment, « effet domino », en
effet, en partie expliquant un tel retardement. Cependant, puisque je viens de
gâcher une heure trente de ma courte existence devant cette abomination, je me
dois aussi de ne pas perdre davantage de temps à son sujet, arènes presque ensanglantées,
au drone d’Euménides et au ralenti rassis
survolées, olé, à la clé, Rouben Mamoulian s’en amuse depuis 1941. Je me garde
ici de décrire en détail le désastre total, formel, plutôt informe, insipide,
du dérisoire Domino, le film indéfendable s’en charge hélas lui-même, à
chaque instant, à chaque plan, du premier au dernier, je le descends aussitôt
en raison de son odieuse idéologie, car tu sais désormais, lecteur de mon cœur, lecteur
de malheur, que je ne saurais séparer l’esthétique du politique, n’en déplaise
aux suaves esthètes et aux autoproclamés apolitiques, justement, spécimens
pathétiques. Il ne suffit pas à De Palma de délivrer un ouvrage anecdotique, un
pensum risible, un téléfilm
cacochyme, où chacun et chacune, mention spéciale d’exécrable à la cireuse et « enceinte »
Carice van Houten, redoutable tandem
des équipes dites artistiques et techniques, à court de fric, placé à son poste
de démission, rivalise de désinvestissement, de médiocrité, de laideur, de
rance transparence, de stupéfiante insignifiance, il caro maestro Pino Donaggio
idem, surtout lorsqu’il compose un
boléro pseudo-oriental décalqué sur celui, cannois, cette fois, de Ryūichi
Sakamoto pour le déjà fadasse Femme fatale (2002) ou pompe le
piano poignant de Blow Out (1981).
Au-delà de son naufrage fondamental,
sinistre sillage des cendrés enfantillages du peu passionné/passionnant Passion
(2012), fatigant film fatigué, Domino s’avère en sus un sommet de
racisme, à faire fissa passer les terroristes bien sûr basanés de True
Lies (James Cameron, 1994) et ses homologues cloportes pour d’aimables
humanistes, résumant ainsi une imagerie à gémir, en vérité à vomir. Lors d’un
récent petit portrait de son grand-papounet diffusé par ARTE, le petit-fils de
l’attachant Omar Sharif rappelait une réflexion de ce modèle « d’altérité »
à succès, acclimatée à la mode US : après le 11-Septembre, inutile de
chercher là-bas, en tout cas sur un écran de cinéma, un « Arabe »
affable. J’utilise d’ailleurs à dessein le terme étasunien, moins précis
et politiquement correct que le franco-français « Maghrébin », ne
m’en veuillez point. Sis à ce niveau zéro de représentation à la con, muni
d’une moralité minable, méfie-toi, Blanc d’Occident, au couple de crucifix
cadrés en contre-plongée, du « Nègre » égorgeur, géniteur de gamin « métis », mince, du musulman forcément menaçant, l’estimable Omar, flic futé à fond sur la reconnaissance faciale,
devient en douce un suspect, puisqu’il mate en (plaisir) solitaire, de nuit,
sur son lieu de travail, quelle « racaille », des décollations de
saison, « direction de spectateur » hitchcockienne scolaire, cause de
ricanement amer, Domino séduira directement, n’en doutons pas, Madame Marine Le
Pen et ses pitoyables pitres, Monsieur Donald Trump et ses copains-pantins. Qu’un
observateur aussi lucide et impartial que l’intéressé, je renvoie par exemple
vers l’éprouvant et vertigineux Redacted (2007), voire vers le
segment mordant de Hi, Mom! (1970) baptisé Be Black, Baby, ou vers la satire
inoffensive du loupé Bûcher des vanités (1990), puisse succomber
à pareille myopie sidère et ulcère, même si l’Amérique nordiste écope d’une
pique apathique via la CIA, vieil
ennemi favori au ciné, à côté.
Comme le produit pasteurisé, anémié,
inanimé, dépourvu de point de vue, un comble avec De Palma, hors celui du
propagandiste pris à son propre piège sacrilège, dénonciateur amateur, paraît en
définitive désireux de s’adresser exclusivement à des décérébrés, à des haineux, à des poussiéreux,
il repasse une couche in extremis, au
moyen du massacre mondialisé, mis en ligne, commis en POV-FPS de split screen basique, par une kamikaze
évidemment voilée + prénommée Fatima, voilà, voilà, le spécialisé/surfait Philippe
Faucon appréciera ou pas. Dans Femme fatale, durant de Cannes le
festival, on volait des bijoux, on se faisait entre filles de saphiques bisous, galipettes de toilettes ;
maintenant, à Amsterdam, on fait sauter en direct, chouette, et ensuite en replay, okay, la tête d’une blondinette, on dessoude des dames et des
quidams en habits de soirée, explosions carrément écarlates, rouges raccords,
d’accord, avec le tapis et les marches homonymes de la manifestation
cinéphilique. En réalité, ancienne morale d’arroseur arrosé, De Palma donne
l’insupportable impression de suicider son ciné, de nous refourguer en CGI au rabais la coda grandiose de Furie
(1978), autre histoire d’une autre trempe de terrorisme toutefois démystifié,
d’agence gouvernementale manipulatrice et infréquentable, où le regretté Kirk
Douglas jouait un ersatz d’Ulysse en quête de son Télémaque maniaque, égaré au
pays des super-pouvoirs psys. Auparavant, admirez la figure filée, on
décapitait des otages, outrages de notre temps, tant pis pour la « Bridée »
vietnamienne vilainement violée (Outrages, 1989), achevée de façon
atroce, un chouïa over the top.
Auparavant, Domino s’ouvrait à la Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958),
c’est-à-dire sur les toits puis patatras, gare à la gouttière agrippée.
Sinon, l’étron carbure à la
culpabilité partagée, à la vendetta démultipliée, à l’adultère en différé, effarant
photo-montage touristique immortalisant les tourtereaux à Paris et Lanzarote, (me)
rend very vénère. On y aperçoit de
surcroît des doigts coupés montés en raccords axés, en écho au couteau et aux
carottes de Carrie (1976), ah oui. La farce affreuse, fastidieuse, peuplée
de spectres ineptes, décorée d’une belle bande d’abruti(e)s, un César au connard/queutard
trop préoccupé par le cul à poil de sa copine anonyme pour penser à emporter
son pistolet, putain de crétin, se déroule en plein no man’s land européen,
triangle des Bermudes pour cinéaste disparu, étendu de Copenhague à Bruxelles
et Almeria, Serge Gainsbourg la chanta, frontiste et bourgeoise « BB » barre-toi,
terrain d’un jeu dangereux à base de commerce de fruits et légumes et de trafic
d’armes dissimulées au sein des denrées transportées, CQFD, stupide leçon de
géopolitique appliquée propre à susciter la triste hilarité, accessoirement
souvenir assourdi du gastronomique Frenzy (Alfred Hitchcock, 1972), une
pensée pour son cadavre, ses patates, son cadavre secoué en camion dans un sac
à patates. Je m’interdis d’en dire plus à propos de ce navet désargenté, dévitalisé,
à l’instar, disons, du dramatique Dracula (2012) de Dario Argento, Dio
mio, impossible à digérer, incapable d’être pardonné, acte de décès déconcertant,
révoltant, d’un réalisateur jadis majeur, à présent décomposé, toujours méta et
désormais miteux, je rajoute juste que de l’adoration à la détestation, il
suffit d’un film, de plusieurs, love
story aux allures d’hallali, halal ou que dalle, « parricide » par procuration. En 1983, un an avant la
pornographie tragi-comique de Body Double (1984), le Vidéodrome
de David Cronenberg établissait avec virtuosité, subjectivité, complot occulte, oculaire, les fondations abjectes d'Internet, envisageait sa violence virale, cartographiait illico, au creux de son « arène
vidéo », le SM spectaculaire, spéculaire, mis en scène, documentaire, du « torture
porn », corpus impitoyable
irrigué par l’insanité de l’actualité, américaine ou non.
Je termine mon article de déprime encore
en compagnie d’un corps, celui, quasiment méconnaissable, rendu émouvant par le
ravage des ans, fi du féminisme, sorry
pour la discourtoisie, de Paprika Steen, la rebelle « interraciale »
si sexy de Festen (Thomas
Vinterberg, 1998). En lui se cristallise l’effroyable faiblesse de Domino,
en lui s’incarne son destin malsain, de personnage d’épouse malade, à
béquilles, cocufiée, endeuillée. Après le pénible Passion, Domino donne la nausée, développe la
malédiction, diagnostique l’absence de rémission. Le joli « dégueulasse »
de Jean Seberg (À bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960), en tant que
cinéphile, en tant que citoyen, en tant qu’être humain, je le déguste au
quotidien, merci bien, et je me passerais sans souci de pareilles plaisanteries pourries,
certes relatives par rapport à mille et une saloperies expérimentées in vivo, pas vrai ? Alors je
m’arrête tout net, je m’écarte de la civière de l’octogénaire, je regarde
par-delà des excréments le tas, je songe aux mensonges de l’existence et du
cinéma, je me fiche des fantoches de Daech, monstrueuses émanations de
démocraties misérables, mimétisme miroité d’assassins sur le terrain et
d’émules du médecin Mabuse à distance, domination à l’unisson des images, des
ramages, des commérages, des matraquages, noces sanglantes de l’islamisme et du
capitalisme, soumets-toi, consomme, déstabilise les solidarités, picore ton pop-corn, je continue à écrire comme on
respire, afin de m’oxygéner, de ne pas devenir cinglé, d’éviter de me flinguer,
de croire à la Cité, au ciné. Domino ? Je déplore de facto son fiasco et je me remémore en
antidote l’opéra selon Tony Montana (Scarface, 1983). Restons-en là, « camarade » à Cuba, indispensable et lamentable Brian De Palma.
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