Jumanji: Next Level : Les Vieux de la vieille


Grandir, mourir, avatars au bord du trop tard…


Suite assez sympathique, discrètement mélancolique, Jumanji: Next Level (Jake Kasdan, 2019) sortit en salles internationales à Noël et possède donc un caractère de conte, à la Dickens ou non. La même équipe fait retour, accompagnée par une conséquente basse-cour, composée d’autruches, de mandrills, d’un cheval, d’un rhinocéros et d’un boa, voilà, voilà, mais une nouvelle problématique apparaît, incarnée au moyen de deux personnages davantage âgés. En résumé, en définitive, les deux Danny, Glover & DeVito, presque « volent le show », en tout cas lui confèrent sa profondeur, certes superficielle, cependant existentielle, ave au David Cronenberg rural et virtuel de eXistenZ (1999), justement. Dans l’univers très vert de Jumanji, du jeu vidéo métonymie, personne ne décède, les aspirés atomisés sans cesse ressuscitent, au moins trois fois, Trinité chrétienne laïcisée. Dans la « vraie vie » nervalienne, au contraire, chacun périt, et toi aussi, lecteur sans peur. On peut alors se briser la hanche, récupérer, monté sur un escabeau une ampoule changer ; on peut encore se savoir en sursis, condamné par la maladie, désireux de faire ses adieux à son meilleur ami, de se réconcilier avec lui. Il convient de redire qu’au cinéma, un acteur, avant tout, équivaut à un corps, une voix, une aura, fantôme de flesh filmé en train de passer, de se dépasser, de trépasser, à chaque instant et plan. Les corps cassé, contaminé, des compères en âge d’être grands-pères, constituent la part la plus innovante, émouvante, de ce divertissement bon enfant, à succès disons mérité, puisqu’il affiche en filigrane cette défaite intime, cette partie perdue d’avance, cette vérité incrustée au creux et au cœur de l’irréalité numérisée. Bien sûr, nul ne confondra le fils de Lawrence Kasdan avec Maurice Pialat & Michael Haneke, les éprouvants La Gueule ouverte (1974) et Amour (2012) parlent pour eux, parlent de nous (tous).



Toutefois la tristesse adulte, en mineur, de Jumanji: Next Level le hisse au-dessus du niveau souvent zéro des blockbusters destinés aux mineurs, quitte, ensuite, in extremis, Hollywood oblige, à vite rassurer le spectateur, juvénile ou sénile, puisque la vieillesse, autrefois « ça craint », devient en coda consensuelle un « cadeau », le « naufragé » général de Gaulle en rigole. Moralité d’amitié, de solidarité, de réunion, de pardon, l’opus toujours rythmé, jamais décérébré, traverse les sexes, les « races », les saisons, offre une seconde chance d’immortalité métamorphosée à l’ancien co-équipier du policier névrosé (L’Arme fatale, Richard Donner, 1987), déjà « trop vieux pour ces conneries », eh oui. Sombre Pégase guérissant la sécheresse, topique écologique, équidé noir à la Icare sauveur du soleil, Milo, cuistot au bout du rouleau, décide de ne pas rentrer, de rester au sein de son Neverland dépourvu de Peter Pan. Auparavant, Spencer, prisonnier volontaire, fuyait la déprime de la Grosse Pomme en retournant, chez sa maman, parmi les paysages du précédent métrage. Porté par son casting choral, athlétique et autoparodique, ponctué de clins d’œil à Cocoon (Ron Howard, 1985), Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962), Mad Max 2 (George Miller, 1981), Superman (Richard Donner, 1978), et… Jumanji (Joe Johnston, 1995), caméo en écho de Bebe Neuwirth inclus, voire à L’Étalon noir (Carroll Ballard, 1979), Jumanji: Next Level comporte de surcroît la présence de la stimulante Awkwafina (L’Adieu, Lulu Wang, 2019), (re)lisez-moi ou pas, s’assortit en sus, sur la bande-son, de l’increvable Wicked Game de Chris Isaak, salut à David Lynch (Sailor et Lula, 1990). Jeu odieux ? Fable affable. 


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