The Guilty : Phone Game
Thriller très téléphonique ? Communication assez téléphonée…
Résumons : Conversation secrète
(Francis Ford Coppola, 1974) se met en relation avec Hamlet, car oreille
liminaire, car asile à Elseneur, car folie non plus simulée mais avérée, actée,
conscientisée, car production danoise en sus. Le standardiste esseulé en dépit
de son alliance s’empoisonne tout seul, il ne repousse plus un spectre
paternel, il esquive une journaliste intrusive, pléonasme, il essaie de
conjurer le procès du jour suivant, à coup d’aspirine magnanime, hypnotisante,
en autarcie. Asger se rêve en sauveur prometteur de l’épouse a priori enlevée par son mari déjà
condamné, violent, en voiture ; en père par procuration de la petite
Mathilde, est revenue, rajoute Jacques Brel, solitaire, à domicile,
ensanglantée ; en fonctionnaire adepte nocturne des heures
supplémentaires, à quoi bon rentrer chez lui, puisque personne ne l’attend,
pardi ? Hélas ou tant mieux, les « demoiselles en détresse », ça
n’existe pas, à part au cinéma, jadis, désormais épuré par le féminisme
combatif de Lara Croft et compagnie, ou alors ça survit au sein des mauvais
mélodrames, du dolorisme médiatique contemporain – les cinglées, si, et
l’infanticide aussi, et les gamines traumatisées idem, ne pénètre point la chambre fraternelle, malheureuse mal
conseillée par le correspondant au parcours express,
doué d’ubiquité, pavé de bonnes intentions of
course infernales. Notre flic en faction, sous pression, casqué, rasé de
près, échoue sur toute la ligne, de téléphone, voire de vie, il ne sait pas
lire les signes pas si suspects du signal sonore, il les interprète à tort, il
se fait son petit film invisible, sensoriel, cérébral, divertissant, stressant,
revanchard et reprend le chemin de Jack muni de sa prise jack dans Blow
Out (Brian De Palma, 1981), c’est-à-dire du ciné vers la réalité, de
l’imaginaire vers le réel, même celui, simulé, traduit, du récit.
Le preneur de son(s), on s’en
souvient, finissait son odyssée assis sur un banc enneigé, sur le siège d’une pièce
de mixage enfumée, damné de n’avoir pu sauver son Eurydice un brin putain,
tellement touchante, pauvre appât de trépas. Cela causa le patatras prévisible du
poème paranoïaque et mélancolique, cela signa l’insuccès du traité méta. The Guilty (2018) au contraire cartonne, auprès des critiques, du public, se
couvre de prix jolis, parce qu’il se termine bien, parce qu’il accorde une
seconde chance au placardisé sur le point d’être réintégré, parce qu’il le
laisse sur le seuil d’une porte, au bout d’un couloir à la NDE, en train
d’appeler, qui sait, sa compagne séparée. Tu peux descendre un quidam maléfique en service, sous le
prétexte de la légitime défense, appuyé par un témoin copain, co-équipier,
alcoolisé, sans cesser d’être un mec bien, rédime la Médée à distance, un type qui
fit du bon boulot, assure l’opératrice du service d’assistance. D’abord recadré
par celle-ci, auparavant par une supérieure, le policier, son propre crime
confessé, ouf, peut enfin savourer, stupéfait, épuisé, son héroïque virilité
retrouvée, possiblement émasculée par la parité institutionnelle, donnée en
exemple européen, à la sauce suédoise, origine du cinéaste et de son acteur. La
salle d’appels principale, éclairée, peuplée, assortie de son annexe obscure,
en retrait, désertée, à rideaux déroulants, rime interne avec un parc aquatique
au calme de liquide amniotique, baptisé La
Planète bleue, ultime refuge de la masculinité tourmentée, excusable,
excusée ? Laissons les sociologues risibles s’interroger sur ceci et
passons sur la misogynie implicite, prostituée voleuse de client moqué incluse,
l’œcuménisme consensuel, la dimension psychanalytique, méthode dangereuse à la
David Cronenberg (A Dangerous Method, 2011) et cependant salutaire, mes chers, le
sacro-saint trauma inaugural in extremis guéri par la parole, par un
vrai-faux suicide aux airs de renaissance roublarde.
Certes, nul cinéphile préoccupé par
l’acoustique, suis mon regard au miroir, ne confondra la pluie, les portières,
les pleurs, les essuie-glace, les sonneries, les messages de messageries, le
trafic routier, les tonalités stressées, maillage évocateur élaboré en tandem par le foley artist Torben Greve
+ le sound effects editor Philip
Flindt, avec la riche tapisserie de terreur sonore déployée durant, disons, La
Maison du diable (Robert Wise, 1963), Eraserhead (David Lynch, 1977) ou Berberian Sound Studio (Peter
Strickland, 2012), et le trentenaire Gustav Möller, ici escorté du
co-scénariste Emil Nygaard Albertsen, manipule le spectateur/auditeur à l’insu
de son plein gré, un peu en rime avec ce petit malin mesquin de M. Night
Shyamalan, spécialiste du twist
réflexif et surtout du piège à cons dorénavant passé de saison, respirons.
Néanmoins, l’admirateur de Lumet, du « nouvel Hollywood », du
sentiment-sensation de durée, réussit son premier essai désargenté, vite tourné,
à trois caméras, conditions à l’unisson du distrayant Phone Game (2002) de Larry
Cohen & Joel Schumacher. Sorte de relecture estudiantine de Pontypool
(2008) en mode modeste, réaliste, exit
le contexte apocalyptique, linguistique, The Guilty surpasse l’opus linguistique,
polyglotte et surfait de Bruce McDonald malgré son suspense superficiel, ses silhouettes simplettes, son relativisme
finalement rassurant – la culpabilité partagée paraphe une innocence
généralisée, une irresponsabilité légale, mentale, une bonté fondamentale, amen –, en raison de son habile
réalisation, aux changements d’axes et d’échelles guère à la truelle, aux surcadrages
efficaces, aux coupes précises, rythmées, merci à la monteuse Carla Luffe, aux
plans-séquences intenses sur le visage d’un interprète irréprochable, impressionnant,
parfois poignant, éloquent même en silence, retenez le nom de Jakob Cedergren.
Pour ceux qui désirent (re)découvrir
des ouvrages davantage adultes, radicaux, désespérés à force de lucidité
désenchantée, on renvoie donc vers le Coppola, le De Palma, vers Le
Cercle rouge (1970) de Melville, remember
l’aphorisme pessimiste et définitif du directeur à propos de l’humanité
totalement coupable, vers Le Criminel ou Hallali de Jim Thompson,
diptyque polyphonique sur une similaire thématique, vers l’urgence lyrique,
aérée, au premier degré, du Connected (2008) de Benny Chan,
boucle bouclée via HK avec le Cellular
(David R. Ellis, 2004) du sieur Cohen. Sinon, ce polar ironique, à brique
drolatique, presque tragique, remarquez l’unité de temps, de lieu, d’action,
pourra, un samedi soir, vous occuper pendant une heure et demie, pris parmi son
huis clos scopé, bleuté, rougi, paradis et enfer réunis, mitoyens,
matérialisation de dualisme intériorisé, de « serpents » dont se
débarrasser, quitte à éventrer un bébé d’interlocutrice tutoyée, à dessouder un
démon, réversibilité nietzschéenne un peu trop maîtrisée, sereine, au fond
inoffensive, scolaire, méfie-toi, camarade en uniforme, des apparence audio
aussi trompeuses que celles de la vidéo, mon coco. Le prince de Danemark et le jazzman de Gene Hackman peuvent ainsi
dormir sur leurs deux oreilles, le lecteur épris de ma prose prolonger le
plaisir à l’occasion de mes textes consacrés au hors-champ sonore, aux
décalages du doublage et au son au cinéma, voilà, voilà.
PS 1 : les puristes du
naturalisme préféreront la VO, sa douce rugosité nordique, inconscients à saisir
l’abstraction ontologique du phénomène phonique, propice à tous les artifices,
pas seulement selon le corpus
transalpin, sa tradition de postsynchronisation,
son refus autrefois du « son direct », et pourtant la VF ne démérite
pas, saluons le travail valeureux de Dorothée Pousséo, voix française notamment
d’Annabelle Wallis dans La Momie (Alex Kurtzman, 2017), et
de Guillaume Lebon, ventriloque d’Eric Close dans l’excellent-éphémère
feuilleton Un agent très secret (1999-2000), le soin mimétique de la
direction artistique de Régis Reuilhac.
PS 2 : pour tout savoir sur la
genèse, le façonnage et le filigrane du film, bientôt remaké en Amérique avec Jake
Gyllenhaal, je vous invite à vous rendre, immobile, en ligne, au Lincoln Center
de New York, au moyen de vos esgourdes anglaises, en compagnie du sympathique Gustav
flanqué d’une modératrice anonyme au French
accent carabiné, comme quoi l’actuelle
lingua franca commerciale et culturelle, sous-titres optionnels de riquiqui ou grand écran, sait encore se teinter de consonances nationales, CQFD de
Q&A.
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