Malevolence 3: Killer : L’Homme orchestre


            Ratage d’un autre âge ? Moralité à exhumer, fi de Foucault. 


Vous ne connaissez pas Stevan Mena ? Votre serviteur non plus, jusqu’à ce que je visionne son Malevolence 3: Killer (2018). Stevan Mena réalise. Stevan Mena scénarise. Stevan Mena produit. Stevan Mena compose. Stevan Mena monte. Stevan Mena signe, aussi, le sound design. Stevan Mena filme, sans doute, sa fifille Victoria, dans le rôle de Victoria, voilà, voilà. Voici, par conséquent, un cinéaste totalement indépendant, donc estimable, contrairement à ses confrères, à tort réunis sous cette bannière, en réalité financés, sinon formatés, par le département idoine, indie, des gros studios US. Le tournage se déroula autour d’Allentown, Pennsylvanie, c’est-à-dire au Nord-Est des États-Unis. Autant de vert rural divertit, donne vraiment envie, de voyager, de déménager, comme ces aimables maisons, à l’ordre sordide, à la propreté suspecte, disons eugéniste, d’appartement-témoin, d’avérées villas, transformées fissa, en décor in situ. Outre-Atlantique, on désigne ceci de la locution production values, comprenez, plus-value du métrage via son plumage. Au sein de l’écrin, calme et tranquille, se déploie un ersatz scolaire, insipide, anonyme, de Halloween (1978). Tandis que quatre décennies nous séparent du pionnier, du prédécesseur, John Carpenter, dix ans de diégèse divisent le premier segment de la trilogie de celui-ci, le deuxième lui-même consacré au passé, vous suivez ? La coda sert d’ailleurs de raccord, en forme de résumé, d’exposition express. Plongé dans l’action à la con, le spectateur suit ensuite, durant une heure trente interminable, dominicale, la variation vaseuse du thème inepte, la traque du tueur, traumatisé gamin, par sa proximité avec un serial killer, dénommé Graham Sutter, salut au Sutter Cane de L’Antre de la folie, ah oui (John Carpenter, 1994).


Kevin McKelvey, qui figure le flic du FBI, ancien soldat, piètre papa, décéda aussitôt, obligea Stevan Mena à pratiquer une gymnastique, éditoriale et narrative, on le devine. Le reste du casting, son ensemble méconnu, se tient à sa hauteur d’amateur, de membre de MJC, de syndiqué désargenté. Quant à la chère Adrienne Barbeau, ultime lien avec JC, récemment croisée dans le dispensable Big Legend (Justin Lee, 2018), son maternel, amical, caméo d’impôts, assez hygiéniste, gare à la cigarette cancéreuse du mari invalide, occis, doit à peine occuper dix minutes de présence à l’écran, au grand dam de ses fans, dont l’auteur de ces lignes. Auteur à part entière, à postes de stakhanoviste, Stevan Mena, mec assurément sincère, type probablement sympathique, bien qu’un brin égocentrique, voire narcissique, ne possède pas, hélas, une once de talent. Malevolence 3: Killer s’avère à chaque plan, à chaque instant, un non-film flapi, un médiocre téléfilm de fin d’études, un piteux petit produit, aux faux airs de DTV presque soigné. Néanmoins, il vaut bien les lucratives bouffonneries de Jason Blum, Paranormal Activity et compagnie + le Halloween (2018) de David Gordon Green, boucle bouclée, les pensums à vomir de l’arrogant auteurisme européen, subventionné par la TV, ovationné en vides festivals, avers et revers de la vile pièce pitoyable d’un certain cinéma contemporain, rempli de rien. Pourquoi, dès lors, rédiger ce texte ? En pur prétexte ? En exercice masochiste ? En volonté de faire du chiffre, d’étoffer un blog dépassant, dorénavant, le millier d’entrées, je parle des items disponibles, certes point des recettes en salle ? En vérité, je vous le dis, si deux ou trois adolescents sensibles, humides, indisciplinés, pourront s’émoustiller à la vue d’un string rouge, de culottes rose, noire, d’une nudité douchée, l’essentiel réside au-delà, sis in extremis.



L’héroïne altruiste, universitaire, musicienne, paupérisée, convoitée par le propriétaire porcin, avatar de Harvey Weinstein, appelée Elle, aucun rapport avec la Bo Derek homonyme de Blake Edwards (1979), rentre chez elle, chez sa mère, son violon vandalisé, ses amies décimées, son amoureux métamorphosé en cadavre de placard. Une chienne âgée l’imite pour la nuit, arpente l’escalier ouaté avec difficulté, représentation de fragilité incarnée, à l’écart du simulacre de la fiction. La chambre d’enfant de la jeune adulte dispose de peluches sur le plumard, au pied duquel le candide canidé couché, précité, se tait, d’une portée peinte sur la paroi, d’un cube bleuté, censé adoucir le sommeil. En plongée, un plan d’aplomb cadre Katie Gibson, au front amoché, guère ensommeillée, apaisée. Un plan large de pénombre éloigne un peu, un gros plan revient à/sur son visage, comme retentit, hors-champ, un bruit inquiétant, suivi d un cut coupant, ad hoc – le Mal ne meurt jamais, tu le sais par cœur, depuis au moins Michael Myers. Ici, enfin, quelque chose se passe, la musique se mêle de mélancolie, une sorte de tristesse nous envahit, vite évanouie, rassurez-vous. Et si, finalement, la vraie valeur de Malevolence 3: Killer se logeait dans son épilogue téléphoné, curieusement émouvant ? Et si le secret de l’imagerie, souvent régressive, du slasher WASP, s’identifiait à une régression de saison, un retour aux origines, au foyer familial, à une innocence irréelle, individuelle et collective, mécaniquement saccagée par un automate défiguré, au sinistre sourire hugolien, (re)lisez L’Homme qui rit ? Elle, prononcez Eli, vierge tout sauf ravie, sens duel, jadis silhouette, redevient une fillette, une gosse aux prises incessantes avec un ogre sans cesse renaissant, à la malveillance imposée, apprise, rejeton délesté de la moindre émotion, en raison d’une mauvaise éducation, encore pire que celle, ecclésiastique, pédophile, de Pedro Almodóvar (2004).



Tout ceci, bien sûr, ne saurait suffire à rédimer l’irréversible vanité du navet de Stevan Mena, mais l’ouvre sur un vertige mineur, une mince vérité. Car la grandeur, à l’instar de la peur, peut surprendre, la beauté peut côtoyer la stupidité. Car l’Amérique, surtout classée horrifique, rejoue toujours, mon amour, à sa modeste mesure, jusqu’à la nausée, jusqu’à l’usure, le drame territorial du roman national, de la Frontière génocidaire, de l’éden endeuillé, de l’ivresse de la violence. Car, en bonne orthodoxie baudelairienne, la boue, parfois, pourquoi pas, se transcende en or, le temps de séduisantes secondes, en suspens au-dessus du pardonnable immonde, que Stevan Mena le sache, s’en soucie, ou pas.


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