Le Train des épouvantes : Les Cinq Gentlemen maudits


Terminus de malice et opus tout sauf à descendre.


Débutons par des substitutions : le paquebot des envoûtés de Julien Duvivier (1931) cède sa place à un train très méta, au final aussi funeste que celui d’Auschwitz ; la Mort ne joue plus aux échecs, a contrario du Septième Sceau (Ingmar Bergman, 1957), elle tire aussitôt le tarot, elle s’appelle Schreck, clin d’œil patronymique à l’interprète du Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau (1922). Poursuivons par des évocations : Le Train des épouvantes (1965) dialogue à distance avec Hurlements (Joe Dante, 1981), Les Ruines (Carter Smith, 2008), Vaudou (Jacques Tourneur, 1943), Les Mains d’Orlac (Karl Freund, 1935), voire La Famille Addams (1964-1966) ou Comtesse Dracula (Peter Sasdy, 1971). Finissons pas des observations : au niveau de sa structure, le métrage repose sur un thème funèbre et ses variations d’occasions, il commence et se clôt sur la boucle bouclée du gothique, amitiés désargentées de la mini Amicus au monopole de la Hammer, il matérialise et modernise l’imagerie fantastique, via le jardinage, le jazz, le vernissage. Au sein du château de cartes sépulcral – le titre rimé original, Dr. Terror’s House of Horrors, joue sur l’expression house of cards, salut au blacklisté Kevin Spacey –, les maisons se ressemblent, les couples idem, économie du tournage, du récit. On parle de film omnibus, de tissage de sketches, spécialité européenne d’années 60 sises sous le sceau de la reproduction morcelée de la société classée de consommation, mais le compartiment tueur, Costa-Gavras se marre, ne mène nulle part, sinon au cimetière, en direction d’un quai désert, écho de coda à l’intro désertée. Les voyageurs se découvrent victimes d’un déraillement paru dans le journal, cadavres dès le départ, à peine refroidis par leur sinistre destin, à chaque fois définitif.



Ainsi, notre quintet de mecs nous remémore en sus l’Eurydice assourdie de Carnival of Souls (Herk Harvey, 1962). Aux commandes de la locomotive alimentée par le scénariste/producteur Milton Subotsky, Freddie Francis ne se la joue pas Shoah (Claude Lanzmann, 1985), il se limite à conduire une moralité du pire, une allégorie de ton avenir, au contrôleur-manipulateur in extremis squelettique. Classique, soignée, discrète, attentive, remarquez ce travelling panoramique virtuose de huis clos masculin, repensez à L’Impasse (Brian De Palma, 1993) à cause de ce coup de feu droit sur la caméra, sur toi, la réalisation vise à faire réaliser, c’est-à-dire admettre, mettre sous les yeux, l’inadmissible intime du décès. Le sixième passager, présage du huitième de Alien (Ridley Scott, 1979), doté d’un nom allemand, terrible et terrifiant, vous attend patiemment, carcasse enterrée en première ou deuxième classe, élan vers le néant, d’abord amusant, méprisant, ensuite inquiet, sidéré. La vie, au cinéma, au-delà ? Un voyage souvent vain, évidemment verrouillé, un programme destructeur d’ouvrage programmatique, en musique ou cinématographique, et si tu l’ignores encore, que fais-tu à me lire en ligne ? Subo emprunte à Poe (peut-être à William Irish), baptise ses personnages Valdemar ou Landor, invite à bord un loup-garou rancunier, une vigne guère magnanime, à la fois effrayante et grimpante (creeping vine), un plagiaire de Caraïbes vaincu par les courants d’air, un expert en peinture ridiculisé par un chimpanzé, un docteur ne supportant pas la concurrence, médecin indeed « aux dents longues », au propre et au figuré. N’omettons pas une domestique inanimée, une main amputée, un minot anémié, un émissaire de ministère étranglé par du lierre ni un clébard occis, merci.



Tout ceci, agrémenté d’humour noir (marche de Chopin + taillage de pieu inclus), de chic britannique, s’apprécie avec le sourire, s’intensifie sur la durée, au cours de la traversée, les deux derniers segments justifiant pleinement l’immobile déplacement, visionnage en VO de soir provincial. Porté par un casting choral impeccable, je cite la ressuscitée Ursula Howells, Jennifer Jayne (délicieux vrai-faux accent français), Roy Castle, Peter Cushing (maquillé, méconnaissable, ton teuton), Alan Freeman, Michael Gough (bientôt majordome de Batman selon Tim Burton ou Joel Schumacher, autrefois croisé dans Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher, 1958), Jeremy Kemp, Bernard & Christopher Lee (assuré, rabaissé, apeuré), Donald Sutherland ; bénéficiant des apports importants du fameux directeur de la photographie Alan Hume, de la méconnue compositrice Elisabeth Lutyens, pionnière à la Shirley Walker, notamment partenaire de John Carpenter ; de la judicieuse monteuse Thelma Connell (cf. le contemporain La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet), Le Train des épouvantes s’avère en résumé un divertissement plaisant, ludique et métaphysique, une modeste réussite certes en retrait par rapport au sommet névrotique, machiavélique, du Nightmare (1964) écrit par Jimmy Sangster, que votre serviteur loua en janvier, cependant supérieure à l’anecdotique, pas assez cultivé, trop peu diabolique Jardin des tortures (1967) du même auteur, alors flanqué de Robert Psychose Bloch, autre admirateur du grand Edgar, qui de surcroît, noblesse insulaire oblige, n’oublie pas son filigrane social, puisque the servant, ohé, Joseph Losey, succombe à son master métamorphosé, rapport hiérarchique retravaillé dans la foulée par Dracula et les Femmes (Francis, 1968), à nouveau financé par la firme au marteau, jadis célébré par mes soins.  



Et tels des rails en reflet, à la symétrie nécessaire, je m’autorise un ultime parallèle au carré avec le compatriote Alfred Hitchcock, spécialiste de la mise en abyme et des tunnels utérins, revoyez la toute fin de La Mort aux trousses (1959), of course. Au bout d’une heure, le trompettiste spolieur, tombé sur une poubelle, se relève et avise une affiche rouge sang du film en train d’être regardé, moment miroité. Au bout de la voie, Destination finale atteinte bien avant celle de James Wong (2000), les anti-héros restent sans voix, le moral et le pénis à la verticale, tant pis pour les galipettes en couchette d’Eva Marie Saint & Cary Grant. Les précèdent un Noir coloré venu récupérer sa partition désacralisée, geste silencieux, a fortiori métaphorique, à ravir les tenants d’une black music pillée par les Blancs du rock ; un surcadrage de glace suicidaire, Mister Gough remplaçant Michel Piccoli chez Marco Ferreri (Dillinger est mort, 1969), relisez-moi (ou pas) à propos de six suppressions personnelles au ciné, orchestrées par Roberto Rossellini (Allemagne année zéro, 1948), Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, 1967), David Cronenberg (La Mouche, 1986), David Fincher (Alien 3, 1992), Takeshi Kitano (Sonatine, 1993) et Tom Tykwer (Le Parfum, 1996) ; une femme fatale de polar et de couloir, aux ombres expressionnistes, aux escarpins pour fétichistes, aux bras en croix de crucifix, trois instants témoignant de la maestria visuelle et narrative de Freddie Francis, de la mélancolie d’orchestre de chambre de Miss Lutyens, réentendue lors du meurtre amoureux. Cela, ma foi, se nomme cinéma, dépasse le populaire, exorcise l’austère, éloigne de la crasse du mercredi, de la casse du samedi, du vrai vampirisme gouvernemental, du psychodrame franco-français. Tout le monde descend donc, station de conclusion, de destin(s) en réunion, délaissant vivants, révolutions, M. Macron…


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