Cadet d’eau douce : Mississippi Burning
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Chas.
F. Reisner.
Dans cette fable aimable sur le
capitalisme et la paternité, le corps atone de Keaton étonne, détonne, cartonne
(et chantonne !) – Buster ou celui que l’on attend, que l’on rate, qui
tombe, qui s’échappe. La dualité contradictoire du film et de la figure se lit
dès le surnom devenu prénom : faire exploser/faire banqueroute. On le
sait, Steamboat Bill, Jr. ne devint guère un blockbuster, il parapha plutôt le naufrage de la boîte de Buster,
bientôt suivi de son embarquement de régiment à la MGM. Suicidaire, le Buster,
surtout durant la célèbre cascade de coda ? Peut-être, en tout cas
assurément destructeur, via un
argument de fils prodigue (ou presque) revenu délivrer (outillé, déguisé en
boulanger) son papounet emprisonné, le soustraire à une tempête possiblement
biblique, pensons à la Jezabel de Las Vegas affrontée par le sinner Santoro dans Snake Eyes. Reisner,
collaborateur de Chaplin (il jouait itou dans Le Kid), signe un ouvrage
en partage, le casse-cou impliqué jusqu’au cou et prêt à se rompre le sien en
folie de snuff movie, car du rire au
drame, un seul changement d’échelle suffit, passage de la chute en plan moyen
au gros plan de la face souffrante (je paraphrase Chaplin). Quelque chose de la
joyeuse sauvagerie d’un Bill Burroughs irrigue le déluge final, qui atomise la
cité du friqué, qui réunit in extremis
les principaux protagonistes, en sus d’un type en soutane en prévision de
l’union des rejetons. Ceci explique, en partie, l’échec de Cadet d’eau douce, pas si
doux ni tendre envers la civilisation à la mode américaine, vrai-faux western (la gare au départ, le shérif à
étoile) et chant du cygne d’un artiste inc(l)assable, disons rétif au mélodrame
démocratique (ou démagogique, suivant la perspective) du futur dictateur
dédoublé.
Keaton déconne en athlète-géomètre au
cœur d’un film millimétré, entièrement tendu vers sa propre ruine. Il cadre et
surcadre son désastre instantané, sur le point de couler les Artistes Associés
bien avant le révisionnisme et la mégalomanie d’un Michael Cimino. Solaire et
funéraire, marin et terrien, boueux et gracieux, Cadet d’eau douce
éclabousse deux « hommes de couleur », quand le père confond le
premier, dos tourné, avec son fiston, gag
désormais prohibé par le politiquement correct, quand un second s’effraie d’une
apparition sous-marine nocturne. Le petit homme blanc au visage pâle,
volontiers estampillé lunaire, demeure (avec Bogart) un maître de l’understatement, du laconisme (un comble
au temps du muet), de l’immobilité mouvementée. Si la caméra ne bouge pas, ou
peu, à peine un panoramique ou deux, si la frontalité du théâtre se voit mise
en abyme dans ce qu’il reste de l’édifice, se vérifie dans la cabine, dans le
commissariat, la silhouette fluette ne cesse de s’agiter, de danser, de
s’avérer sauveuse en série, eh oui. Moustache arrachée, béret conservé,
uniforme choisi par sa dulcinée, par ailleurs fille du magnat hilare, Buster se
démène et ne cède rien, ni au communisme bon teint de son rival enrichi, ni au
surréalisme inoffensif de Harold, Laurel, Hardy et compagnie. Roseau pascalien
adepte de la bouteille bukowskienne, le clown
pas encore triste de Sunset Boulevard et des Feux
de la rampe organise méthodiquement une mise à sac, une mise en film,
une métaphore autobiographique, salut d’enfance au pantin sinistre (on pense à Magic)
inclus. Amusant, émouvant, inquiétant, son Steamboat Bill, Jr. nique le mini Mickey de Disney, rétablit une manière de justice divine (ou d’écologie
spectaculaire en avance sur notre dépressive modernité) et trace sa route en
aristocrate de la comédie insolente, enivrante.
Au bord du centenaire, ce cadet-là
continue à emporter dans son élan marrant et vigilant, clément et résilient. Ne
refusez pas d’écouter le ukulélé, même cassé, grimpez vite à bord du lit mobile, littéralement hospitalier (en compagnie du Pierre Étaix du Grand Amour) et laissez- vous
charmer par ce sourire suggéré, esquissé, deviné, celui d’un réalisateur
adorateur de la fureur (humide ici, méta dans Le Mécano de la « General »)
et des acrobaties-cartographies de calligraphie, ce qui nous projette en Asie,
au pays reconnaissant (son génie « maudit ») d’un certain Jackie
Chan, idem ivre maestro (drunken master) à présent réinventé en
anti-héros poignant, prix du corps soumis au poids des ans autant qu’à l’envers
du décor, à l’approche de la mort…
Tantôt presque inconscient mais indémontable tantôt complètement absorbé, figure poétique et presque mélancolique.
RépondreSupprimerUn rapport paternel à la Marius (autre marin) de Pagnol-Korda, à la fois électif et déceptif, grâce à la classe du grand Torrence, quasiment l’homonyme de Nicholson congelé par Kubrick ou cramé par King, rescapé-immortalisé ici par son fiston Keaton…
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