Evita : Her


Suite à sa diffusion par La Chaîne parlementaire, retour sur le titre d’Alan Parker.


Dans Evita, projet repris d’Oliver Stone – on reconnaît bien son souci de traduire l’Histoire à travers une personnalité –, d’ailleurs co-crédité au scénario, d’après la comédie musicale (peu inspirée) d’Andrew Lloyd Weber et Tim Rice, Alan Parker fait le minimum syndical, abuse de cadres obliques, de séquences « clipesques » et de contre-jours publicitaires (son péché pas si mignon), ne parvient jamais, seulement le temps d’une minute ou d’une note, à capturer le souffle épique et cruel des biopics signés par David Lean ou Max Ophuls (Lola Montès). On conseillera donc davantage, au cinéphile anglophone, la lecture de son savoureux et drolatique récit de tournage, où le réalisateur exprime ainsi son regard rétrospectif : « a brave film – sung through opera – about a difficult subject », avec une mention spéciale, au passage, sur le directeur de la photographie français Darius Khondji, décrit comme « a cross between Pierre-Auguste Renoir and Fernandel » !


Cependant, le film vaut en tant qu’autobiographie officieuse de Madonna, fable édifiante et pseudo-historique sur une femme pauvre, ambitieuse, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre sous les masques successifs de la prostituée, de l’épouse, de l’icône puis de la sainte, emportée par un cancer à l’âge christique de trente-trois ans. Prise entre un sarcastique et brechtien maître de cérémonie transformiste (Antonio Banderas poussant la chansonnette, nettement préférable chez Almodóvar) et un mari-président pour le moins controversé (assez transparent Jonathan Pryce, sans ses ailes ni son armure métalliques de Brazil), la chanteuse se révèle telle qu’en elle-même enfin le film la change, et séduit par la justesse étonnante, constante, de son jeu (elle y chante aussi plutôt bien, après la prise de cours spécifiques).


Si, dans la « vraie vie », Louise Ciccone demeure autant « la Reine de la Pop » qu’une « performeuse » protéiforme d’avant-garde (pour ses admirateurs), voire une femme d’affaires cynique et opportuniste (pour ses détracteurs), elle se raconte ici sous les traits d’un avatar sincère contemplé au miroir (du cinéma et de la diégèse), pour une parabole méta sur les apparences (passer de brune à blonde devant une caméra en abyme, telle Tippi Hedren et sa teinture dans la glace de Pas de printemps pour Marnie) et le jeu d’acteur (d’actrice). Injustement « oubliée » par les prix et les nominations divers accordés à l’œuvre, elle parvient, en pleine conscience et belle plénitude, à transformer ce martyrologue de (mauvais) mélodrame en autoportrait lumineux, émouvant de franchise, sa fragilité ontologique tressée au narcissisme de surface propre aux talents, petits ou grands, qui ne désirent que s’exposer face aux projecteurs de la société du spectacle (ou sur un balcon gouvernemental, à l’adresse du peuple condamné au silence, contrairement au chœur de la tragédie grecque), innombrables phalènes dérisoires et parfois sublimes.


Evita, mine de rien, et avec très peu – comprendre avec trop de moyens, de luxe incongru et ostentatoire – dit et montre deux ou trois choses que l’on sait d’elle, pour paraphraser Godard, mais, surtout, un ou deux éléments de son vrai talent de comédienne dédiée à son art (on aimerait bien la découvrir itou dans le Snake Eyes de Ferrara), malgré l’hostilité d’une part de la population argentine. Que contenait la lettre de quatre pages qu’elle fit parvenir à Parker pour le convaincre d’incarner ce rôle si proche de sa persona et de son histoire personnelle, de cet appétit de gloire et de reconnaissance jadis souligné par un Jim Morrison victime et bourreau du cher Roi Lézard (pour vouloir être connu, il faut avoir souffert d’un terrible manque, disait-il (de) lui-même) ?


On l’ignore encore et peu importe : certes, Alan Parker échoue à retracer un destin, de surcroît « lyrique », et s’avère incapable d’une quelconque « mise en perspective » politique, bien loin de la reconstitution sympathique et vintage de Bugsy Malone, de l’énergie collective de Fame, du ton révolutionnaire de Pink Floyd The Wall ou de l’attachante modestie des Commitments, son meilleur titre musical, mais il réussit, assurément, dans son identification d’une femme complexe et au final assez insaisissable, une vanité, au sens pictural du terme, baignée dans une funèbre lumière de crypte, celle où repose, endormie pour l’éternité de la mémoire d’une nation, cette nouvelle Belle au bois dormant prisonnière de son cercueil de verre à la Vampyr, cœur battant (et chantant, et dansant) d’un identitaire requiem féminin déguisé en blockbuster pompier.                                          
  

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