Panique à Pigalle

 Exils # 95 (21/03/2025)

Les détracteurs (des deux sexes) de Deneuve devraient (re)découvrir ce film libre, comme un condensé (du ciné) des années soixante-dix, que l’actrice co-produisit avec Berri (caméo de client) et l’Italie (d’où le sous-titre explicite Non si possono strappare le stelle), qu’elle qualifiait au fil des années (à juste titre) d’insolite et de poétique. Échec économique et critique, sorte de version hardcore des Demoiselles de Rochefort (Demy, 1967), Zig Zig (Szabó, 1975) jamais ne démérite (depuis le prologue clopin-clopant jusqu’à l’épilogue poignant), s’apparente à un happening (un peu d’impro mais pas trop), comédie aux éclats de mélancolie conclue au milieu des flammes et des larmes du mélodrame. Si l’on songe bien sûr à Belle de jour (Buñuel, 1967) et in extremis à Thelma et Louise (Scott, 1991), ce métrage de son âge possède sa propre identité, sa renversante vitalité, une trivialité moins satirique que celle de Ferreri (pas seulement celui de Touche pas la femme blanche !, 1974), une intensité moins masochiste que celle de Żuławski (les bagarres très réalistes de Zig Zig et L’important c’est d’aimer, 1975 à comparer). À demi orphelin adoubé en plein par la Nouvelle Vague, acteur chez Godard (Le Petit Soldat, 1963), Friedkin (Le Convoi de la peur, 1977), Rohmer (Les Nuits de la pleine lune, 1984), Kaufman (L’Insoutenable Légèreté de l’être, 1988), Desplechin (La Sentinelle, 1992) ou Garcia (Place Vendôme, 1998), liste subjective, le réalisateur peu prolifique, aussi alcoolique que l’ancien médecin (et impulsif assassin) de Chiari, dixit Catherine, ici en sus scénariste et (adaptateur) dialoguiste, pratique l’impressionnisme et l’empathie, le mélange des genres et le tressage des tonalités. Tout ceci, chaotique (en écho à la vraie vie) et cohérent (car une œuvre d’art) dut décontenancer, merci à la manie (commerciale) du classement.

Toutefois « la France est grande » (en tout cas autrefois), son cinéma sait accueillir un cinéphile hongrois, un casting choral impeccable et pas si improbable, où se côtoient un Kalfon à la Byron (kidnappeur mélomane, révolutionnaire et suicidaire), un Afonso un brin Belmondo (boxeur et barman contre la concurrence des dames), un Deschamps (désapé par Deneuve & Lafont, de quoi tomber en pâmoison) policier retraité, prodigue et justicier, une Paola Senatore (Salon Kitty, Brass, 1976 ou Malombra, Gaburro, 1984) femme de flic (à gifles et ver solitaire) infidèle (adepte de baignoire et de brigadier), des caméos de Stévenin (assistant itou) & Simsolo, clients désarmants. Certes, les admirateurs de Bernadette (dont l’auteur de ce texte) durent regretter de ne pas la voir ni l’écouter assez, un chouïa délaissée par une caméra de sa camarade (et amie sur le tournage) énamourée, cependant sa Pauline ne se limite à un factice faire-valoir, puisque ce soleil noir envahit peu à peu l’ouvrage et le dévie du syndrome de Stockholm (enlèvement ravissant en variante du Grand Restaurant, Besnard, 1966) vers le désespoir. Porté par un couple de prostituées perruquées (et artistes de cabaret s’embrassant in fine), une paire lunaire et solaire, triste et drôle, le bien nommé Zig Zig sent le sexe, la sueur, le sang (d’une épaule, d’une main, d’un sein), l’alcool et la clope, le « mirage » (d’un chalet) et le naufrage (de la coda pietà). Ni cyniques (Marie dit aimer baiser) ni « salopes » (une « pute » de ses enfants s’occupe), les femmes fréquentables du film (plus lucide que féministe) affrontent en fait une violence masculine décrite sans misandrie, en effet les hommes (du film) souffrent aussi, de l’hypocrisie sociale, de la solitude fatale. La déclaration de Kalfon à Lafont (« j’aime tes yeux, tes obus, ton cul, j’ai envie de toi »), au-delà de sa crudité, de sa vérité, verbalise le désir de Pauline, prête à se compromettre pour ce maudit mec, tandis qu’elle redoute d’y perdre sa précieuse amitié (fi de fumeuse et moderne sororité).

Quant à Chiari, s’il insulte Marie (« putain »), s’il sauvegarde sa photographie d’elle et lui, essaie de la zigouiller, se fait dessouder, il ne s’agit d’un (désormais) féminicide, il ne s’agit que d’un double homicide, d’un crime passionnel (un crime du cœur corrige Sade) commis pas un type incapable de dépasser une séparation, de se faire une raison, de cesser de s’auto-détruire (et de viser juste, tant pis pour la pauvre Pauline). Szabó ainsi se fiche du manichéisme, du moralisme, son cinéma ne se préoccupe de prédateurs et de proies, plutôt d’êtres complexes, du même mouvement (de film bref) bourreaux et victimes, délectables et discutables, sincères et dissimulateurs (la palme revient à l’ancien ministre, révisionniste médiatique). Les chansons à l’unisson (paroles d’Élisa Pons & Maurice Vidalin) et « à l’eau de vaisselle » (fustige le guitariste terroriste) de cette force et de cette fragilité, en résumé de cette émouvante et décevante humanité, s’avèrent musiquées par l’expert Schäfer (Tendre Dracula, Grunstein, 1974 ou Polar, Bral, 1984) et contrairement à Demy (n’en déplaise à Legrand) se voient vraiment interprétées par le tandem d’actrices, leur justesse sentimentale substituée à leur justesse vocale. Deneuve déplorait en sourdine que le film ne rende justice au boulot accompli pour la chorégraphie, les faiblesses de la direction de la photographie (on la comprend, on compatit), pourtant ces manques ne nuisent à l’ensemble, servent sa dimension déglinguée assumée.

Plus Fassbinder que Vecchiali (un partage d’énergie), le cinéaste prend acte du ludique désastre, au mitan d’une décennie audacieuse et douteuse, libertaire et mortifère. En plans-séquences et caméra portée, en travellings et panoramiques, il annonce donc la démystification de Body Double (De Palma, 1984), vandalisme de Vertigo (Hitchcock, 1958) via le porno (pseudo âge d’or du X durant les seventies), il désidéalise sans dévaloriser, il invite à un nouveau romantisme de masques tombés, d’idoles démaquillées, d’attractions tourmentées, de tumulte et de chute, que ponctuent (par ordre d’apparition) une camionnette Darty (curieux placement de produit), un cataplasme à la moutarde, un quiz opératique, un chantier à billets, une cantatrice à poussin (parce qu’elle le vaut bien), une (im)pertinente peau de banane (elle dédramatise l’incendie). Baptisé au pays de Mastroianni d’un factuel Due prostitute a Pigalle et flanqué d’une affiche aguicheuse et menteuse, le quinquagénaire et juvénile Zig Zig ressuscite en ligne (selon les miennes), recommandable parade patraque, à visionner délesté de préjugé, démuni de nostalgie.  

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