Débâcle d’Outback
Exils # 94 (20/03/2025)
Carni quoi ? Carnifex, mec. Ben (se) la ramène, revient au latin, « bourreau » adoubé « fabricant de chair », de quoi ravir Clive Barker, explique aux filles et au public qu’il s’agit d’une espèce assez suspecte, presque hypothétique, disons d’une légende aux origines authentiques. Tandis que les spécialistes se demandent aujourd’hui si ce marsupial maousse de l’époque préhistorique disparut à cause de l’arrivée humaine ou du changement climatique (déjà, d’autrefois), notre trio – une documentariste + deux conservationnistes – pas trop rigolo (cumul de solitudes) et très écolo s’en va relever des vidéos d’espèces protégées, en quête d’inconnu bienvenu, d’une nouvelle bébête à fissa défendre contre les flammes et les cendres. Carnifex (Lahiff, 2022) s’ouvre ainsi sur un incendie, fléau de Californie et d’Australie aussi. Il se poursuit parmi des paysages sans âge, autant naturels qu’ils peuvent l’être, sorte d’éden vu du ciel, le drone du personnage en rime à celui du film. Pendant ce temps s’esquisse le sort bien triste d’un braconnier à canidé, d’un ranger golfeur. Signé par une scénariste de séries, à savoir Shanti Gudgeon, le script ne fait en somme la part belle aux hommes, les réduit à des silhouettes simplettes, remplies de brutalité, de stupidité, d’infantilisme. Du côté des dames, cela ne vaut davantage, l’endeuillée, la séparée, par leur présence ne brillent, de coucher ensemble (sans se toucher tu penses) décident, la filmeuse effrayée un chouïa par le raffut de la forêt, le cri du koala. Au cours du parcours, Bailey raconte à Ben & Grace un récit autobiographique et horrifique, surtout symbolique, au sujet d’un singe prisonnier qui massacra un chat. Comme chez Carpenter (Fog, 1980), autour du feu on se fait peur, on carbure à la culpabilité, la maltraitance animale substituée au capitalisme maritime.
Dans cette nature encore pure, parce que reculée, préservée, même si un directeur local critique les intrusions étatiques, la prédation ne participe plus du darwinisme, plutôt d’un rousseauisme menacé par les bipèdes doués de parole, à présent placés en position de proies, politiquement correctes ou pas (le béguin de Ben pour sa prof de biolo recadré illico). Tourné in situ, le premier long métrage du monteur de Wolf Creek 2 (McLean, 2013) et Cargo (Howling & Ramke, 2017) surfe en résumé sur l’environnementalisme et le féminisme de notre époque, ressemble un brin à un documentaire dévié, un programme de National Geographic à la dernière demi-heure désaccordée. Ce survival forestier, à petit budget deviné, délesté de la moindre surprise, à visée didactique, aux effets spéciaux rachitiques, les amateurs de creature flick s’en mordent les doigts, ne le lui pardonnent pas, Razorback (Mulcahy, 1984) vous revoilà, éclairé avec doigté par un dirlo photo (Kieran Fowler) éduqué au vidéo-clip, desservi de surcroît par un casting transparent, pouvait pourtant s’avérer meilleur, pourvu d’ardeur voire de profondeur. Au lieu d’opter pour une épouvante acoustique, citons par exemple la terreur sonore de La Maison du diable (Wise, 1963), Lahiff la liquide, la limite à du bruitage anecdotique et drolatique. Au lieu de savoir suggérer, le malaise insinuer, style troublant Tourneur (La Féline, 1942), il pratique l’aseptisé thriller, jamais généreux ni audacieux, l’assaut en auto décalque et détraque l’homologue modèle de Cujo (Teague, 1983). Démuni d’empathie, exsangue et bien-pensant (remerciements aux « habitants traditionnels », amen), Carnifex respecte en réalité le cahier des charges débarrassé de tout outrage du ciné netflixé, numérisé, à consommer, à évacuer. Connaissant et appréciant le pedigree de la production australienne, pas seulement en matière de monstres, d’inquiétude géographique et métaphysique, on ne peut que le déplorer, renvoyer vers son trou le vrai-faux kangourou relou.
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