La mariée était en blanc
Exils # 93 (19/03/2025)
Mythomane à Mexico ? Bovarysme à l’El Globo ? Luisa débarque de sa campagne, d’un « village » aux « deux mille habitants », dans une « pâtisserie française » se rend, où pour une mendiante on la prend, cependant posthume recommandation de la « tante » du bon patron, veuf avec enfants, aux groom et employées plutôt bien traités. Douée, adoubée, la discrète s’adresse à des personnages en sucre, une petite pièce occupe, dont la fenêtre pauvrette permet au voisinage, trivial outrage, de la mater, de ses manières se moquer, aussi elle quitte ce quartier de concierges, au-dessus de « bureaux » et de « caves » se perche. Sur le toit-terrasse, de colère lasse, on peut apercevoir des enseignes américaines, spectacle nocturne d’un capitalisme qui l’illumine et ne l’importune. Via une variation de la célèbre pantoufle de vair de Cendrillon, elle (se) raconte à ses collègues allègres sa rencontre avec son propre prince trop charmant, « chauffeur » doté d’un cœur auprès duquel réchauffer le sien. Hélas, la godasse de l’esseulée se fait fissa écraser, présage de ses amours avortées, vraie-fausse grossesse à la clé. De mensonges par omission en « songes » de (dis)solution, cette femme fréquentable trompe son monde, piégée à l’insu de son plein gré, mais sa lucidité conservée lui évite de sombrer, de basculer, à l’image du miroir animant le simulacre du mariage. Luisa lit et se redit le mot « oubli », ne rêve éveillée à la Lean & Minnelli, ne dessille ses amies, séduit sans peine un photographe et un dessinateur complices inconscients de sa mise en scène. Si le développement personnel invite à être acteur de sa vie, la voici devenue l’actrice de la sienne, où (main)tenir le premier rôle, triste et drôle (ne pas oublier de sortir rembourrée). En vérité, elle pourrait tout avouer au boss pourvu d’un patronyme connoté (Monsieur Albino), manque de le faire en plein air, derrière le surcadre d’un arbre, remet à plus tard, se tire dare-dare.
La délurée Rita, sous l’influence du factice exemple, finit par se ranger, se caser donc se maquer, parle de « fantasme » au sujet du fiancé fantomatique et déjà marié (s’indigne une domestique au bout du fil, dérangée par un curé), peut-être pas même énamouré, sorte d’Arlésienne inversée, la principale intéressée opine, planquée. Le berceau et les jouets en accessoires du jour et du soir, le spectateur attend un plan du bébé en POV, devra se contenter du travelling d’un couple d’ombres au sol. Passagère ferroviaire, telle une certaine Anna Karénine, Luisa ne se suicide, se déleste de l’attirail tendre et infernal devant une crèche comme d’autres d’un gosse sur le seuil d’une église. Le film se termine à deux reprises, d’abord au soleil, ensuite entre les ténèbres. Pendant l’épilogue au lyrisme antidépressif, aux statues enfantines et liquides, l’(anti-)héroïne sourit, en marche et en vie, veut croire à l’éternité de « l’espoir », nous itou. Pourtant l’excellente et récompensée Pina Pellicer (La Vengeance aux deux visages, Brando, 1961) décidera de s’endormir du grand sommeil peu après, somnifères en solitaire vite avalés. Au côté des convaincants Evangelina Elizondo (juvénile voix locale du Cendrillon de Disney sorti en 1950) & Ignacio López Tarso (Au-dessous du volcan, Huston, 1984), elle ressuscite en ligne, prend sa (juste) place parmi ses émouvantes consœurs chez Brocka, Sirk & Fassbinder. En dépit de la présence importante d’un compositeur (Raúl Lavista), de scénaristes (Julio Alejandro & Emilio Carballido), d’un dirlo photo (Gabriel Figueroa) liés à Buñuel, à demi Mexicain parce qu’il le valait bien, Gavaldón éclipse Luis et Jours d’automne (1963), sa vision du Frustration de Traven, corrige le cynisme du satiriste du Trésor de la Sierra Madre (Huston 1948, encore un conte de désillusion), pratique des contre-plongées à la Welles et des perspectives à la Duvivier. Dégraissé de pathos jusqu’à l’os, l’élégant mélodrame désarme.
Commentaires
Enregistrer un commentaire