Le Nouveau Monstre
Exils # 97 (25/03/2025)
On devine vite l’identité du tueur, mais le monstre manifeste du titre d’origine (Il mostro) de ce vrai-faux giallo – le directeur promet à l’ancien romancier de le rééditer en série « jaune » – ne cesse d’apparaître, bien avant que son descendant ne lui fournisse in fine le mobile de ses méfaits. À l’instar de Risi, spécialiste de triptyque (Les Monstres, 1963, Les Nouveaux Monstres, 1977, Les Derniers Monstres, 1982), la monstruosité de l’humanité prête autant à sourire qu’à frémir, alors l’opus de Zampa commence en comédie méta, au cinéma, affiches de Carrie au bal du diable (sous-titré Lo sguardo di Satana, De Palma, 1976), La banda del trucido (aka L’Exécuteur vous salue bien, Massi, 1977) et Spasmo (Lenzi, 1974) aperçues illico, se poursuit en satire, exploitation médiatique et en musique du filon du fait divers épistolaire, se termine en mélodrame, tête baissée, tout (est) consommé. Reposant largement sur les épaules tristes et drôles de l’excellent Johnny Dorelli (Pain et Chocolat, Brusati, 1973), Qui sera tué demain ? (1977) dialogue à distance avec Allemagne année zéro (Rossellini, 1948), autre conte plus historique, moins sociologique, quoique, de mauvaise éducation, de criminel rejeton. Il évoque encore Les Enfants du massacre du maestro Scerbanenco, même si point de classe et à peine la police ici. Ni conditionné ni drogué, le calme Luca – l’Enzo Santaniello minot d’Il était une fois dans l’Ouest (Leone, 1968) – écoute ses disques casqué, n’écoute la dernière engueulade parentale, écrit sous pseudonyme à Papa, lui offre de retrouver sa fierté, souhaite l’écarter d’un bureau placé à côté des WC, où s’occuper du courrier du cœur – incestueux et mielleux – déguisé en « Comtesse Esmeralda ».
Pour cela, quelques assassinats feront fissa l’affaire, dont celui de sa mégère de mère, ex-femme infidèle descendue par la cavalerie des flics, tandis qu’elle s’apprêtait à lapider le fruit infernal de ses entrailles, incarnée en caméo par Angelica Ippolito (Io ho paura/Un juge en danger, Damiani, 1977). Misogynie anti-MLF ? Pédophobie à la Donner (La Malédiction, 1976) & Friedkin (L’Exorciste, 1973) ? Que nenni, aucun soupçon de possession, de complaisance machiste, pas davantage d’étalage de cynisme, qui rendrait l’entreprise assez antipathique, voire irrespirable, selon le cinéaste présent et précis, appréciez ce lent zoom avant souligné par le score de Morricone, lorsque notre anti-héros reçoit sa première missive mystérieuse et laconique, tapée sur sa propre machine à écrire, se souviendra-t-il ensuite, trop tard, ô « intelligence » et désespoir. Ces pantins mesquins de danse macabre tragi-comique se voient en effet toujours pourvus d’une once de grâce, de moments les rédimant, certes pas totalement, de circonstances émouvantes plutôt qu’aggravantes. L’épilogue poignant cristallise la divisée perspective, entre aveux et photographies, tristesse et culpabilité infinies. Le père pleure, au pied du mur, de manière littérale, dos tourné, ne peut se résoudre à donner le fils admirable et infâme aux pitoyables poulets, à la déraison de la prison, va lui rédiger un « mot d’absence », triviale démence, reconnaît la « justesse » de la demande et du châtiment, marteau dissimulé du gamin détraqué. Cette fin funeste achève ses années empoisonnées de mariage naufrage, de métier merdique, d’amertume accumulée puis transmise comme un vilain virus à sa rousse progéniture.
Un intermède sentimental, caméo de Sydne Rome (Moi, fleur bleue, Le Hung, 1977) en mode Janet Leigh (Psychose, Hitchcock, 1960), trois petits tours – de chant – adieu l’amour, car cadavre en diagonale, en rime à celui du film dans le film, ne saurait innocenter le suspect déshabillé, à l’arrivisme assumé, le paparazzo de calcio, au corps encore chaud en photo. Mort-vivant au milieu des morts et des vivants, le journaliste déclassé, pondeur de polars motorisé d’un magnéto assisté, attire la foudre domestique tel un paratonnerre colérique. Autour de lui, l’Italie terroriste reproduit en sourdine le désastre intime, la jeunesse tue ses ancêtres, tombeau d’auto d’Aldo Moro, psychodrame marxiste et freudien à moitié instrumentalisé par les patriarches de la DC (Démocratie chrétienne) ne désirant signer leur acte de décès. La violence de l’époque et du ciné en reflet ne relève de la génération spontanée, trouve son terreau chez les fachos de Musso(lini) et les arrangements à la gomme de la fameuse combinazione, sans omettre le malheureux système mafieux, la gueule de bois économique des seventies à la suite du boom homonyme des sixties. Du Fanfaron (Risi, 1962) à Salò ou les 120 Journées de Sodome (Pasolini, 1976), tout va à vau-l’eau, Qui sera tué demain ? le montre à sa façon, se garde de faire à l’acteur et au spectateur la leçon, infuse l’ensemble d’une logique des actes et d’une morale du regard. Jamais racoleur, pas une seconde salace, Zampa adopte une position d’observateur à la fois lucide et empathique, l’amour du père pour le fils rédemption puis damnation.
Si tout ceci paraît daté ou étranger au lecteur ou à la lectrice de ces lignes, qu’ils se détrompent vite : le marécage à minables outrages d’Il mostro vaut bel et bien notre marigot, aussi incertain et malsain, idem démuni d’horizon et envahi de mauvaises raisons, de s’agiter ou de se suicider. Quant à la criminalité des mineurs, celle du film en deviendrait anecdotique face à celle de la réalité, quasi quotidienne et décomplexée, itou utilisée dans des buts de basse politique, collusion de la récupération. En descendant l’escalier de la salle de ciné, en critiquant ce qu’il vient d’y voir, l’atrabilaire vénère croise une vieille dame qui le recadre au niveau du langage, en réponse et représailles il lui dévoile l’identité du coupable et voue les vieux à la « chambre à gaz », posture peu politiquement correcte et drolatiquement abjecte. Au terme de l’enquête et du métrage, voici un second visage, celui d’un type démoli, Valerio – V à clé tracé au rouge à lèvres sur les macchabées ou une carte en pleine rue – vaincu, débâcle advenue, le bref bonheur à trois, revu en souvenir musiqué, aux teintes désaturées, définitivement profané par des poubelles enfumées, de terrain vague à la campagne, de casse sauvage, de décharge mélancolique et symbolique. Ainsi se finit – enfer du fils et du père enfin réunis, révélés, compris, comme une version hardcore de L’Incompris (Comencini, 1966) – ce film écrit par Donati, scénariste de Leone ou Holocauste 2000 (De Martino, 1977), le pénultième du réalisateur avant le « ratage interminable, livide et stupide, pas si gentiment misogyne », la « comédie sinistre supposée sexy » de Letti selvaggi (aka Les Monstresses, 1979), cf. quelques critiques d’un texte thématique (L’Affaire Mattei : Le Goût de l’Italie).
Ce que l’on sème, il convient de le récolter, de s’en abreuver jusqu’à la lie, la folie, terrible moralité du Simetierre de Stephen King, autre fable effroyable sur les puissances de l’amour filial et le prix à payer pour les exercer. Chaînon manquant et méconnu entre Furie (De Palma, 1978) et Ginger et Fred (Fellini, 1986), Il mostro condense les années soixante-dix européennes et assombrit la célèbre comédie à l’italienne. Derrière la caméra, Zampa pratique une modeste maestria, remarquez le travelling circulaire du studio d’enregistrement et la mise au point sur la cabine, le travelling arrière à la grue sur Sydne en train d’onduler. Dans la vraie vie, on devine ce qu’il pensa du destin point serein de Renato Curcio, fils naturel de son frère et donc abandonné neveu aidé un peu, qui se créa ensuite et en compagnie sa famille à lui, autant cruelle et mortelle, car co-fondateur des Brigades rouges…
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