Mange ta mort

 Exils # 58 (24/10/2024)


Epstein & Corman ? Watson & Webber. Diptyque 28, duo de Poe. Ne parlons du compatriote ni de Roger l’Amerloque. Deux items homonymes, inscrits au fameux Registre National du Film. Catalogue de camelote, de classiques, cabinet de curiosités, de succès, hébergé à la Bibliothèque du Congrès. Dressé depuis trente-cinq années, occupation de « professionnels de la profession », multiples spécialistes, du public en partie. Comme dans l’Hexagone, dix ans d’existence et vous voici classé d’office, fi du box-office, en « cinéma de patrimoine ». Des critères « culturels, esthétiques et historiques », au compteur presque 880 titres, toutefois pas un seul fiché X, vade retro Damiano. Tout ceci riquiqui, en quantité, sinon ancienneté, à côté des collections mesurées en milliers de la Cinémathèque de Langlois Henri (40 000), des Archives (Françaises) du Film à Bois-d’Arcy (140 000). Pris de court par celui de l’américaine Academy, Costa-Gavras & Carole Bouquet réclament un musée, Rachida Dati leur dit oui. Élaboré avec quel budget, même Michel Barnier ne le sait... Si la France en souffrance fait faillite, son passé de ciné ne périclite, cf. les comptes des Acacias & Carlotta, Potemkine & Capricci. Logique économique et symbolique : la cinéphilie comme forme de nécrophilie, l’art et l’industrie, André Malraux dixit, entre cérémonie et amnésie, célébration et abandon, héritage et recyclage. Du caveau de la conservation au mausolée de la maison, retour à Poe presto. Au creux d’un décor Art déco, aux perspectives expressionnistes, Roderick en peignoir chic évite un « voyageur », maquillé/costumé à la Caligari, style Jekyll, haut de forme façon Fredric March. Il s’agit d’ailleurs du coréalisateur et production designer. La nuit ou le jour, le « refoulé » fait toujours retour, mon amour. Tu désires ta sœur, tu en meurs. Tu la crois morte, elle détruit votre bicoque. Daney discutait de la « maison cinéma », sans penser sans doute à cette fissure-là. De « l’avant-garde » d’arrière-garde, dirigée à domicile par un tandem d’amis « amateurs », médecin et historien, négatif 35 mm à l’abri du Eastman Museum (25 000).

 Arty et indie, mais artisanal, modeste et sincère aussi, The Fall of the House of Usher accumule les trucs, foisonne d’effets, de mots animés, au « scream » silencieux, état des lieux psychique de tireuse optique. Sa brève durée lui confère de facto une dose d’humilité. Son humour noir volontaire ou non retrouve l’ironie d’un auteur moqueur du gothique nordiste ou sudiste. On sourit au cercueil surimprimé, à consommer en plat unique émétique, prophétique, servi avec des gants, en zigzaguant, via un serviteur invisible. Puisque la lignée ne peut se perpétuer, peste d’inceste, elle se ruine au propre et au figuré. La femme, une fois encore, figure la Mort, revient d’entre les morts, prends garde, Hildegarde, souris du cinéaste. L’inaccessible matrice de la descendante d’Eurydice, dénommée Madeline, donne des sueurs froides au neurasthénique autarcique, avant le détective atteint d’acrophobie. Les coups de marteau du mec marteau, la survivante malveillante s’en tourmente, némésis in extremis, à l’érotisme de fétichisme, nudité décuplée de ses pieds d’épousée. Body and Soul (Craig, 1994) redira ça, scandé de scènes sexuelles hélas à la truelle, sauvé par les investis Ashlyn Gere & Mike Horner. Esseulé, assailli, un écrivain y devient le pantin du Destin, c’est-à-dire d’Astra, sirène post-mortem de motel et de bordel. Stérile en rime au Jack de Shining, John tape son prénom jusqu’à l’obsession, la déraison, la démission. Le voyeur de taudis ne va au Paradis, passe de l’autre côté, de la rue, du miroir, des Doors, du hardcore. La « petite mort » donne la grande, la fenêtre sur le surnaturel surcadre un départ en couple, le Mankiewicz de Madame Muir dut applaudir. En définitive, le festin funéraire des mortes-vivantes et des vivants déjà morts ricane de l’embaument au carré des musées, des sélections discutables, des supports périssables. Si les féministes ne s’en félicitent, la mère t’enfante et dans sa mer t’enfouit. L’estimable horizon de la transmission dévie vers le terminal « horizon des événements », astronomique et anthropologique. La mémoire mène au mouroir. « The end » ? La tienne.        

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