Démons + Démons 2 : Entropy
« Cathédrale » et « caïman »,
mitan et maintenant…
Quand je mourrai j’irai au Paradis
C’est en Enfer que j’ai passé ma vie
Cinéma méta ? Cela va de soi.
Satire de la TV ? Pourquoi pas ou en effet. Ce diptyque sympathique
cependant à ceci ne se limite. Bava se souvient de son puissant et pionnier papa
(Le
Masque du démon, 1960), il rencontre le Cronenberg de Frissons
(1975) et Vidéodrome (1983), il délivre deux survivals juvéniles, dont la surface à fond superficielle reflète
celle, darwinienne, synthétique, ludique, cynique, de la décennie. Les films
fonctionnent à la symétrie, dialoguent à distance, se citent, se corrigent. Le
premier volet verse in extremis vers la dystopie, s’achève via un cadavre de nuit ; le second
se termine sur une femme transformée en mère et son homme à l’aube, comme en clin
d’œil à la coda ouverte de Zombie (Romero, 1978), hélico illico. Au-delà de divertissements
d’antan, co-écrits par quatre incontournables d’Italie, Argento & Bava, Sacchetti
& Ferrini, Démons (1985) et Démons 2 (1986) incorporent
encore le corps, bodybuildé, contaminé, magnifié, défiguré. Les estimables mélodrames
de fin du monde, de souffrances, de naissance et de renaissance, se situent au
sein malsain d’une Allemagne munie d’automates de train souterrain, de flics en
fuite, de punks camés à la coke, de fêtards blafards. Métro utérin,
salle vaginale, « Tower » en verre : voici une architecture primordiale
et tombale, où se débattent des silhouettes suspectes, danse macabre à faire
fissa blêmir Béla Bartók
et danser Billy Idol, assortis de Simonetti & Boswell, The Smiths &
Dead Can Dance. Si Démons répond à la pénétration douce-amère de La
Rose pourpre du Caire (Allen, 1985), si Démons 2
envisage en partie le territoire primitiviste de Piège de cristal (John
McTiernan, 1988), le duo de huis clos suit la ligne sombre de Lang, adoube un
aveugle clairvoyant à la M le maudit (1931), un ciné nommé Metropol(is,
1927), un mur d’écrans repris depuis Le Diabolique Docteur Mabuse
(1960).
Le type à lunettes noires, qui ne peut voir, flanqué de sa fifille infidèle, occupée à copuler avec le voisin d’à côté, audiovision de saison, dédouane la mise en abyme, affirme l’établissement maudit, pardi, en métonymie possible du pays. Dans Europa (1991), autre calvaire davantage ferroviaire, von Trier voyagera en compagnie de « loups-garous » nazis, dans le massacre au carré de Démons, Nostradamus prédit les conflits, le passé ne passe pas, « retour du refoulé » crevant littéralement l’écran (« démoniaque » dirait Lotte Eisner), revenu dévorer les (sur)vivants, démonologie de minuit (de Cristal), fantaisie funèbre de Fassbinder en Enfer. Le virus circule en circuit fermé, infesté, la vie imite l’art dare-dare, les résidents a priori « respectables », gare au gardien, farceurs d’ascenseur, (se) chassent à tout âge, clébard furibard et créature à la Gremlins (Dante, 1984) inclus, quel cadeau d’anniversaire vénère, ma chère ! Des instants en stéréo – « cri » ou « Dolby », à vous de savoir, de percevoir – élèvent le niveau, paraphent la dimension politique et poétique de pellicules à succès, ponctuées des caméos de Nicoletta Elmi (Qui l’a vue mourir ?, Lado, 1972), Michele Soavi (Bloody Bird, 1987), Asia & Fiore Argento. Les spectateurs du et de malheur s’incrustent au creux de la cabine de projection déjà désertée, automatisée, subito saccagée, exercice complice de rage froide. Parvenu à un studio sépulcral, en rime à celui de Debord & Osterman (week-end, Peckinpah, 1983), le retardé détruit les tubes cathodiques tout sauf catholiques, reprise en replay, délocalisée, d’une course au ralenti de la frustrée infectée, salut à l’aussi fracassé téléviseur de Laura Palmer (Twin Peaks: Fire Walk with Me, Lynch, 1992).
Nos anti-héros croient comprendre
qu’il convient de vandaliser les images, de violenter les mirages, histoire de
stopper « l’épanchement du songe » rouge sang parmi la réalité, je décale
Nerval. Hélas, la menace ne perd leur trace, persiste à les traquer, il faut
s’en défaire à l’infini, à satiété, démont(r)er l’effarant enfin arrivé, troquer
la mélancolie, les promesses de « l’Ouest », RFA ou pas, contre le
simple plaisir de quitter le soir, le cauchemar, d’ensemble souffler, respirer,
sillage à langue et travelling d’un
baiser, en explicite contre-plongée, au sortir d’un quartier glacé, au terme de
moult atrocités, leçon stoïcienne d’une imagerie essentielle, existentielle. Il
s’agit ainsi et pourtant d’une victoire à la Pyrrhus, à peine d’un répit,
puisque la vidéo va dominer le marché des fantasmes et des fantômes, puisque se met en place et
connaît aussitôt son acmé le maillage de damné des chaînes dé/enchaînées d’un
certain Silvio Berlusconi, producteur trumpiste au sommet faisandé d’un empire
du pire, médiatique et méphistophélique. Ginger et Fred (Fellini, 1986)
peuvent aller se rhabiller, se déchausser, en EHPAD se pensionner, le
capitalisme transalpin peut s’imposer, royaume à la gomme de paillettes
infectes, ouvrage d’horreur avéré, réalisé, à vous donner des haut-le-cœur
répétés. À sa manière modeste, à son rythme rapide, fort de ses faiblesses,
affaibli de ses forces, dépense de la dernière chance, bataille à la Bataille, le
tandem amène de Démons et Démons
2
radiographie pas tant en catimini un moment de basculement économique et iconographique
emblématique, un passage de relais (dé)possédé.
Une quarantaine d’années après, l’observation
in vivo, en doublon de Body Double (De Palma, 1984),
axé sur le X, accro à une claustro en écho, conserve sa capacité à faire
frémir, réfléchir, sourire, témoignage et avertissement d’un temps peu enterré,
plutôt désormais système mondialisé, pandémisé, flux affreux de « messe
blanche » à la Baudrillard écoulé au quotidien, en continu, face auquel
les films classés spécialisés ne représentent plus des exorcismes carburant à
la catharsis, mais uniquement des « contenus » convenus, destinés à
alimenter l’insatiable appétit de programmes (sens duel) financés,
diffusés, formatés, homologués, d’un Moloch numérique. Lui-même auteur d’un Inferno
(Argento, 1980), Strindberg savait jadis que l’enfer se vit ici, que l’on
reçoive une invitation à éviter ou non, que l’on visionne à domicile,
disponibilité domestique de domestication du regard, de dressage de l’imaginaire,
Netflix aujourd’hui ou La Cinq hier. « Personne ne veut être sauvé »
déclarait le David Carradine faussement défaitiste de La Course à la mort de l’an 2000
(Bartel, 1975), panem et circenses à
la sauce US. Onze ans plus tard, Bava
sauve sa fragile famille de l’effroi, du chacun pour soi, sème par avance le
Raimi survitaminé de Evil Dead 2 (1987), préséance du pedigree européen, signe une paire d’opus plaisants, prélude d’excès
décomplexé – bravo au maestro Sergio (Stivaletti), à ses évocateurs maquillages
d’outrages – au plus mesuré, néanmoins pas moins miroité, méta, Delirium
(aka Le foto di Gioia, 1988),
(re)lisez-moi recta.
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