Mano de obra : Travaux
Squatteurs de caveau, (dé)construction des idéaux…
Bande-annonce d’à moitié mensonge,
car Mano de obra (David Zonana, 2019) ne se résume pas à un tendu thriller entre un ouvrier vénère et un
impitoyable propriétaire. Ceci survient, voire s’évacue, vite, autant que la
chute du vrai-faux alcoolisé, dès le premier plan pondéré, harmonie masculine immédiatement
minée, mystérieux traumatisme originel jamais surmonté, même si au final instrumentalisé.
En effet Francisco se remet fissa du double fiasco, il supprime subito l’assassin désinvolte, par
procuration, de sa belle-sœur enceinte, pauvre Lupe dépourvue d’indemnités,
pendue puisque désespérée. Une fois la corde (de la discorde) mise en commun,
seconde pendaison de saison, à présent en appartement, l’intrus s’improvise
parvenu, incite ses potes à s’installer au sein de la piaule luxueuse, coûteuse,
géométrique, en fabrique, de l’esseulé décédé. Le farniente en jacuzzi ne lui
suffit, il monétise des meubles du mort, il passe un secret accord, il
s’éclipse loin du risque et auparavant dépucelle la fifille d’un ami père de
famille, sur le lit assieds-toi, écoute-moi ça, détends-toi. Notre anti-héros
sévissant du côté de Mexico s’avère ainsi davantage coupable que l’occis
présentable, lui-même orphelin de son frangin, miroir maudit (cassé, à payer,
retenue sur salaire, mon cher) parmi lequel se mirer, s’admirer, se damner. Les
cinéphiles à tendances révolutionnaires, sinon suicidaires, estimeront la
morale moralité douce-amère, un soupçon réactionnaire, mais Mano
de obra n’essaie pas de ressusciter le spectre de Che Guevara, ne verse
vers une invitation à la vaine vengeance, il portraiture une imposture, il
décrit une communauté, il constitue la chronique d’un échec anticipé. Ici, la
satire acide se mâtine de mélancolie lucide, les espaces s’opposent, quartier
(de) déshérité(s) contre huis clos de
tombeau, où cependant essayer ensemble d’élaborer une solidarité, certes à prix
élevé, celui de la co-location, de la mutualisation, de la désillusion, in extremis, surveillance indifférente, active, de la police, de l’expulsion,
de l’expropriation.
Zonana, zélé, filme sa fable affable muni d’une caméra fixe, s’autorise deux ou trois travellings, latéral, avant, un ou deux zooms, très lents. Cadré quasi à la Kubrick, c’est-à-dire « au cordeau » (via un niveau), expression idoine, plutôt qu’en auteuristes tableaux, quoique, son premier titre, à succès critique, bénéficie du talent éclairant, y compris la nuit, de la directrice de la photographie Carolina Costa, DP de second unit sur le néo Suspiria (Luca Guadagnino, 2018), de la sobriété, de la sincérité, d’un cast choral, impeccable, composé de « non-professionnels » (de la profession, dirait Godard) tout sauf « à la truelle », locution d’occasion, du charisme sombre, un brin luciférien, de Luis Alberti, croisé chez Greenaway (Que viva Eisenstein!, 2015). En partie produit par Michel Franco (Después de Lucía, 2012, lis-moi, oui-da), Mano de obra délaisse la violence implicite, explicite, du mentor, lui préfère une peinture précise, suggestive, d’un accord aussitôt suivi de désaccords. En quatre-vingt minutes assez denses, assez intenses, coupure/acmé du meurtre précité, abîme invisible, surprise du changement de registre supra, la sociologie in situ substituée au suspense de l’individu, il retrace la ruine express d’une utopie jolie, le déclin d’un havre malsain, cru serein. L’immobilité millimétrée, la prestance des compositions reposant sur la profondeur de champ, magnifient les groupes en déroute, élaborent une beauté à contre-sens, presque à distance. Pourtant le spectateur s’implique, participe, apprécie le passage du mélodramatique au sarcastique. Collusion du soumis syndicat, toujours là quand il ne faut pas, rétif à filer le fric, vénalité du véreux avocat, pots-de-vin pour votre bien, tests suspects, escorts désabusées, épouse d’une jambe amputée : mamans et putains, à la grâce d’Eustache, taciturnes trésorières, les femmes se lamentent en silence, se vendent en bande, s’acquittent de leur redevance. Les hommes, ni modèles, ni machos, tombent de haut, rapido, telle la pluie de tragi-comédie, qui les poursuit et ne les purifie.
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