L’Aîné des Ferchaux : Deux hommes dans Manhattan
Nouveau départ à La Nouvelle-Orléans ? Désaccords de mort(s) au
volant…
Dès l’ouverture en travelling virtuose et en voix off devant un ring de boxe, Melville (Jean-Pierre) cite Melville (Herman),
c’est-à-dire décalque l’incipit de Moby
Dick ; ensuite, il adresse un clin d’œil adéquat au Nous
avons gagné ce soir (1949) de Robert Wise. Road movie immobile,
errance retracée en transparences, L’Aîné des Ferchaux (1963) sacrifie
Stefania Sandrelli, coupe ses boucles, la colore en rousse, tandis que Henri
Decae éclaire Michèle Mercier, en danseuse gracieuse déguisée, observée, en
bleu satiné de bricolé cabaret. Pas si angélique, l’estimable Niçoise interprète
une ex-actrice arrivée à son
misérable « terminus », rôle en reflet d’une melvilienne (celle de
JP) cruauté. N’oublions pas le pitoyable lapin posé à la paupérisée Malvina (Silberberg)
par le cogneur raté, le secrétaire improvisé, aux initiales dédoublées – tout
cela, ça va de soi, déplaira aux féministes, mais le tandem de mecs ne vaut guère mieux, couple sur la route et en
déroute d’un ancien parachutiste dépressif, pragmatique, sinon cynique, d’un vieux
tueur de (trois) « Nègres » colonial, dorénavant en cavale, direction
Caracas, hélas. Jean-Pierre Grumbach se renomma, se réinventa, un certain
cinéma américain admira, on va finir par le savoir, cependant sa carte des USA,
entre un pèlerinage à la piaule de naissance de Sinatra et un employé de banque
papotant à propos de JFK, ne reçut sans doute pas l’aval de l’OTSI des
États-Unis désunis. La ville de New York vite évanouie, nos piteux compères,
pas ceux de Veber, vrais-faux fils et père, souriants, méprisants, sévères,
vénères, cartographient en effet un « pays pourri », rongé par le
racisme autorisé, décoré par une décrépitude généralisée. Davantage qu’à
Simenon adapté à satiété, on pense au fatidique Faulkner transposé.
Ce Sud-ci ne ressemble à celui,
édénique, hédoniste, quand même amer, menacé par la guerre, du sieur Nino
Ferrer, plutôt à une sorte de fade enfer, où se bastonner avec des soldats
sympas, filouter la filature du FBI, donner dans le mélodrame médical. In extremis, en duo, s’y rédimer comme
il faut ? L’ultime réplique affirme le nihilisme, toi et ta clé (point du
Paradis) de coffret, crache le Brutus pas si brute à son crevard de César, « que
le diable vous emporte », pauvre cloporte, cohérente coda abrupte, requiem obscène, épitaphe dégueulasse +
bien sûr inversion de la fin du godardien/truffaldien À bout de souffle (1960).
Ouvrage de stase, parfois d’un autre âge, L’Aîné des Ferchaux affiche une
faillite économique, molto morale, cède la rédemption de saison aux bonnes âmes
commerciales. Personnages déplaisants interprétés par des acteurs de talent,
les deux types périclitent, zombies
en suris par le destin réunis, avant les pantins malsains du Cercle
rouge (1970), of course. Pour
plaire à JPM, Belmondo incarna un curé tourmenté (Léon Morin, prêtre, 1961),
un truand royal (Le Doulos, 1962), le voici ici en voleur doté d’un cœur, pas
pour son salut, pour son malheur. Le valeureux Vanel, mal prénommé Dieudonné, malmené
sur le tournage en raison du sadisme du cinéaste, Jean-Paul, en réponse, une
seconde lui en colle, ne lui adresse plus la parole, parvient à émouvoir via son écœurant capitaliste en exil,
médiatisé, traqué, dès le début condamné, au propre, au figuré, à frérot
offensé, fissa suicidé, en sus flanqué de « filleules » pas
bégueules, les féministes en (re)font la gueule. Baiser, se faire baiser, chez
moi ou là-bas, Melville le (dé)montre, musiqué par un mélancolique-bucolique
Delerue, assisté par un débutant appelé Boisset.
Film mental, fatal, daté, abstrait, L’Aîné
des Ferchaux au spectateur contemporain ne fait aucun cadeau, moins
encore à ses anti-héros, saligauds en stéréo. Divisé par le générique, Michel
Maudet, hésitant, finit par conséquent par répudier son pathétique « parrain », pseudo-« léopard » en parallèle du trépas de Piaf.
Au creux de cette co-production franco-italienne cadrée en widescreen, les coupures se dispersent, les assassins se
trémoussent, les fantômes d’hommes se miroitent et se mirent, compagnons du
pire, accomplissent ainsi une cavale macabre d’âmes damnées au milieu d’une
nation-mausolée démunie de dieu, oui ou non miséricordieux.
Merci pour cette analyse pointue non dénuée d'une pincée d'humour sombre :
RépondreSupprimer" une cavale macabre d’âmes damnées au milieu d’une nation-mausolée démunie de dieu, oui ou non miséricordieux. " Dieudonné Ferchaux, Simenon tout comme Balzac avait l'art de nommer à point ses personnages troubles en mal d'humanité...
Merci à vous, surtout, pour la lecture lucide...
SupprimerEn matière de dénomination éclairante, Melville maîtrisait itou, sans concurrencer Cronenberg, certes, cf. son commissaire du Cercle rouge, un certain Mattei, eh oui !
Râmakrishna : « Çakya Muni le solitaire dit Sidarta Gautama le sage dit le Bouddah se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : - Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
SupprimerCercle du destin indien, transposé dans l'Europe interlope et glacée des seventies...
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