Et la vie continue + Au travers des oliviers : Tremblement de terre + Les Mariés de l’an II


Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE, retour sur les titres d’Abbas Kiarostami.


Abbas Kiarostami aimait les bagnoles, savait s’en servir, cf. Le Goût de la cerise (1997) ou Ten (2002). Ici, chez lui, la vitre de la voiture devient vite viseur, écran au carré sur lequel un gosse ensommeillé découvre la réalité. Toujours picaresque, jamais pittoresque, le périple paternel permet de cartographier une catastrophe, comme en écho à la déroute de La Route (John Hillcoat, 2009), même si, cette fois-ci, on ne se nourrit d’un nourrisson, on amuse un marmot en hamac au milieu des arbres, petit Moïse plâtré, pansé. Plus tard, le fiston philosophe, fanatique de foot télédiffusé, rappelle à la mère lessiveuse, pas lessivée, le sacrifice d’Abraham, autre histoire de fils, de supplice, de foi d’effroi, de miséricorde divine. Ce dialogue dessine davantage que réesquisser une scène de Où est la maison de mon ami ? (Kiraostami, 1987), relier le premier volet de la « trilogie » à celui-ci : il dissocie Dieu du séisme, il sépare justice et hasard, il conclut avec la cruauté souriante de l’enfance – la fillette décédée se voit par conséquent fissa dispensée du pensum des devoirs, CQFD… Film presque à hauteur de phare, plutôt de portière, Et la vie continue (Kiarostami, 1991) constitue un traité de stoïcisme, voire une fable de fatalisme, une leçon de conduite, comment conduire, comment se conduire, une leçon de cinéma, comment montrer le monde, l’imaginer, le documenter, du même élan, droit devant, gaffe aux crevasses. Le parcours remplace la destination, sinon l’obstination, la quête reste suspecte, énigmatique, pragmatique prétexte. L’œuvre pouvait s’intituler Où est la maison de mon gamin ? car le chauffeur fait mine de désirer secourir le protagoniste de l’opus précédent. En vérité, certaines bâtisses résistent, à l’instar de la solide cimenterie, le cinéma « ne ment pas », l’illusion ressemble à une révélation. Tragique, drolatique, un brin brechtien, tressé de trivialité, de vitalité, scandé par la sono des hélicos, un air classique dynamique, dédié aux victimes, tourné vers les (sur)vivants, l’ouvrage s’achève sur un geste dédoublé de solidarité, immortalisé en réelle durée, tant pis pour le temps trafiqué, inversé, de l’interminable Tenet (Christopher Nolan, 2020). Boeing bienvenu ? R5 moutarde affable, faiblarde, guère hagarde.


Film méta débuté en regard caméra, Au travers des oliviers (Kiarostami, 1994) s’avère aussi, au moins en partie, un road movie. Aujourd’hui une femme conduit, assiste l’ersatz de cinéaste, dès la première scène de casting naturel. Madame Shiva ne possède point de troisième œil indien mais elle écrit à la craie sur le clap, telle une institutrice sur son tableau, elle véhicule un confrère, le maître d’école dans son propre rôle de Où est la maison de mon ami ? À travers la végétation sudiste, on avise vite un marivaudage théorique, fi du dramatique, du pathétique. Trois années après, au sein du même village dévasté, évidé, aux salutations vocales assez spectrales, la romance peut (re)commencer. Kiarostami se réinvente en Éric Rohmer iranien, ne se miroite pas pour rien. Les mariés à escalier, pragmatiques, juvéniles, de Et la vie continue reviennent à nouveau, rejouent leur dispute de proscenium ; à présent apparaît le contrechamp, c’est-à-dire l’équipe réduite. La fluidité du reflet, valse-vertige de l’existence et du ciné, se matérialise lorsque Hossein harcèle la grand-mère vénère : la double distance entre les personnages duplique la dualité ludique des images, puisque l’orateur, en pleine peine de cœur, se confiant à son professionnel interlocuteur, tombe sur le tournage de la séquence forestière supra, simulacre sincère. Le rêve vécu de Nerval équivaut à une troupe au travail, souvent laborieux, artisanal. Basé sur la répétition, des prises, des situations, des déclarations, Au travers des oliviers repose sur de fausses noces, sur une vraie cour, se termine sur un type qui court, peut-être de joie, on ne le saura, le visage de la taiseuse, butée Tahereh avalé via le paysage sans âge, abstraction d’abolition à la Blow-Up (Michelangelo Antonioni, 1966). Pas de cadavre évanoui, juste deux silhouettes en train de se dissoudre… Abbas abonde en espaces, en (lutte des) classes, s’écarte du désastre. Le chemin lynchien de Où est la maison de mon ami ? resurgit, du caméo des minots/frérots assorti. À l’identique bucolique de Et la vie continue, l’ouvert Au travers des oliviers prend congé du spectateur apaisé au moyen d’un plan-séquence serein, coda cadrée de loin, escorte accorte du gars Cimarosa, fin infinie. 


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