Le Feu follet : Les Musiques de Michel Magne
En 1984, Michel Magne se suicide dans une chambre d’hôtel à Cergy. Trente
ans plus tard, nous revenons avec plaisir sur quelques thèmes emblématiques de
ce grand compositeur, qui disait de lui-même, assumant la contradiction : « Je
suis un romantique et je suis un farfelu ».
On ne reviendra pas ici sur le
parcours professionnel et sentimental de Magne, bien retracé dans le portrait très
complet signé Jean-Yves Guilleux (avec pour intervenant « spécialisé »
le précieux Stéphane Lerouge), consultable en annexe. Affirmons simplement que l’homme, et donc le musicien, cumulait les contraires, les forces opposées, et que sa disparition
prématurée, à l’âge de cinquante-quatre ans, doit sans doute autant, sinon
plus, à son enfance, à son caractère, à son regard sur l’existence, présents
dans chacune de ses notes (et de ses mots, puisqu’il rédigea son
autobiographie, L’amour de vivre), qu’aux déboires financiers qui assombrirent
la fin de sa vie, avec la débâcle du studio sis dans son château d’Hérouville,
dans lequel il accueillit le « gratin » de la musique pop – avec toutes les nuances possibles, d’Elton John à Pink Floyd,
de Nougaro à Eddy Mitchell, en passant par Grateful Dead, David Bowie ou Marvin Gaye –,
résultat d’une mauvaise gestion autant que symbole du déclin des utopies, notamment communautaires, de la
décennie 70.
En Magne se mêlaient, s’affrontaient, s'unissaient parfois en harmonie, un enfant mal aimé, au père directeur d’orphelinat, un compositeur de musique
concrète (on pense au personnage de Claude Rich dans Les Tontons flingueurs) et
un compositeur de musique de film, pouvant enchaîner douze partitions en une
année, un homme généreux avec ses hôtes, qui refusa toujours de regarder à la
dépense, un farceur taciturne, un trublion dépressif, un père facilement en
colère, capable de tomber amoureux d’une jeune auto-stoppeuse et de l’épouser à
sa majorité, un expérimentateur tachiste et provocateur, un romantique éhonté,
un musicien savant, aguerri (reconnu comme tel par l’un de ses pairs, Louis de Funès) et un mélodiste populaire, pratiquant l’exotisme, le
jazz (avec Martial Solal), le pastiche wagnérien (pour Le Vice et la vertu) ou
dirigeant 200 choristes pour les aventures de Michèle Mercier, un jouisseur
hanté par le néant, tel le Don Giovanni de Losey, dont l’une
des dernières œuvres, un superbe requiem pour Les Misérables illustrés
par Robert Hossein, annonçait à qui voulait bien l’entendre son départ
volontaire deux ans plus tard.
En vingt-cinq ans, Magne composa plus
de cent partitions, atteignant son zénith du début des années 60 à celui des
années 70, période d’intense création et d’accompagnement de grands succès
commerciaux, patinés depuis par une certaine nostalgie, rétroactive et illusoire, rattachée à une époque libre, joyeuse et ensoleillée,
expression démocratique de la douceur de vivre hexagonale, qui n’exista qu’à l’intérieur
du cinéma mais guère dans le cœur des appelés en Algérie ou des laissés-pour-compte
(moins nombreux qu’aujourd’hui, certes) de l’essor de la société de
consommation (en 1977, Magne déclarait que le monde « manquait d’âme et de
spiritualité »). Ami de Vian et Françoise Sagan, autres adeptes de l’élégance
du désespoir, préférant David Gilmour à Xenakis, Magne s’intéressait aussi à la
peinture et transforma ses feuillets de portées en ready-made dans sa retraite
sudiste – parfois festive, en compagnie de l’amphitryon Eddie Barclay – à Saint-Paul
de Vence, ses droits d’auteur bloqués pour éponger les dettes abyssales de son royaume
musical en ruines.
Nous proposons au lecteur-auditeur de
(re)découvrir la part la plus aimable de son œuvre, celle qui continue à nous
émouvoir par-delà le temps qui détruit tout, comme disait le Noé d’Irréversible,
qui incendie les partitions, au propre et au figuré (Magne perdit tous ses
originaux dans le feu d’une aile d’Hérouville, rappelant les manuscrits détruits
ou perdus de Malcolm Lowry pour Au-dessous du volcan). Le romantisme,
de nos jours, peut faire sourire et déjà, à l’époque, Mylène Demongeot, délicieuse dans sa blondeur et sa petite robe noire aux cotés de Fantômas, s’inquiétait du
thème d’Hélène, qu’elle trouvait « trop sucré ». Magne répondait
volontiers qu’il aimait bien ce sirop, qu’il ne crachait pas dessus et le
public non plus, ajoutant que l’art de la mélodie s’avérait bien plus rare et délicat qu’on ne le pense. Laissons le recyclage et le cynisme du cinéma
post-moderne à ceux qu’ils intéressent, pour replonger sans vergogne dans le
flot toujours émouvant, jamais sentimental, de Magne, avec ses belles héroïnes
prénommées Hélène, Anna-Maria, Angélique, Séverine (Catherine Deneuve dans Belle
de jour, peut-être le chef-d’œuvre de son auteur), Barbarella (score refusé !) ou même Emmanuelle,
sa dernière composition, portée par les vocalises de Christiane Legrand sur un
morceau judicieusement intitulé Bach-anal…).
La beauté d’actrices aussi éternelles
que la mémoire des films, charmants fantômes blonds, en apesanteur ou
renaissant sans cesse sous d’autres visages, trouva dans le lyrisme du compositeur un formidable écrin, une sensualité affichée, sans ironie (plus
discernable dans les comédies, bien sûr, mais ce genre aussi peut receler une
grande mélancolie, comme le prouve le duo Mancini-Edwards), une vraie lumière
féminine pas encore étouffée par les
ombres de la vallée de la mort, qui nous attendent tous, Jean Valjean ou autre
– pour cette noblesse du sentiment, cette foi dans les puissances de la
musique, nous voulons bien une fois encore nous enfuir en compagnie de Jane
Fonda dans sa grande fugue, sa préciosité très dix-huitième siècle, là-haut
dans l’espace – une inspiration pour Kubrick ? – où personne ne vous
entend crier, et donc jouir, mais où résonne une enivrante tristesse sensuelle,
celle de la bossa nova, celle,
surtout, du magnus Michel Magne.
Bravo de rappeler le talent de ce compositeur. Je vous signale une très belle musique de Michel Magne que j'ai découverte en même temps que les films : Le Journal d'une femme en blanc et Une femme en blanc se révolte de Claude Autant-Lara : musique remarquable et très émouvante, comme ces films à redécouvrir
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerBeau thème méconnu, en effet, découvert pour ma part sur un double disque indispensable chez EMI (Odeon Soundtracks), conçu en 1998 par Marie-Claude Magne, Stéphane Lerouge et Bertrand Liechti, où il s'intitule "La mort de Mariette".
Don Juan (1973) Title song-Music by Michel Magne
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=TTWiCccUeow
Bardot Ronet en miroir... alcoolisé pour de vrai, musique mélancolique à l'aune d'une époque haute en couleurs de désespérance, la fin des illusions soixante huitardes, merci pour l'élégant billet en forme de partition musicale où chacun trouvera à chanter son thème de prédilection...
Après l'ivresse, la détresse, une nécessaire tendresse...
SupprimerLyrics de Boris (Bergman)...
Je garde la jolie Jane et vous laisse BB, pas si désolé, "mythe" de malentendu...
Ah, revoilà Barbarella Fonda :
https://www.youtube.com/watch?v=pC9jMTCy2-Q
Puis Kylie :
https://www.youtube.com/watch?v=q9t6wef5xlE
Michel Magne -Le Monocle Rit Jaune - 1964
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=wy_K04XyWXs
https://www.youtube.com/watch?v=cFGi1HJEj8I
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=Jn6BZO-ZM2g