Drôle de Tram
Exils # 76 (28/01/2025)
Défense d’Enfers, embarcation à la Charon : chez Hadès on ne baise, si tu forniques tu te fais fissa refroidir, cf. la justice expéditive réservée au toubib abuseur, à ses « salope » de cloporte. De la petite mort à la grande, il suffit dans le métro de descendre, de monter dans une tour, de troquer le béton qui trop « rend marteau » contre une campagne sépulcrale. Se mettre au vert sent le sapin, personne n’échappe au Destin, y compris un pékin kafkaïen, doté d’un cran d’arrêt à donner de « drôles d’idées », alourdi d’une hitchcockienne culpabilité d’altérité. Le chômeur en quête de contact patraque se demande s’il planta le comptable, un suicidaire l’en assure, l’héritière altière au cabriolet corbillard venge en définitive son père. Avant de se retrouver à faire du tir au pigeon sur le pont de Brion, de naviguer sur les gorges de l’Ébron, Alphonse croise un flic en train d’emménager, porté sur la conserve de cassoulet, la violoniste électrocutée, terrorisé par la musique classique, surtout celle de chambre évidemment mortuaire. Le duo rigolo devient vite un trio allegro, assorti d’un assassin en série adepte du cui-cui, Carmet manie une empathie piquée à M le maudit (Lang, 1931), dommage pour la ménagère Rovère en pull-over, cadavre de terrain vague inviolé à l’air « soulagé ». Une veuve s’invite, blonde aux bas noirs, idem victime de cauchemars. Nos compères dépourvus de Veber rencontrent quelques « quidams », messieurs et mesdames, un voisin menaçant et accueillant, Perrin en pyjama, une aristocrate Hippocrate, un tueur nageur, Benguigui ne survit. Tout ceci se déroule de nuit, même la lumière diurne semble assourdie, soleil noir de gisants sur transats, « retraite » champêtre et suspecte. Tout cela carbure à la géométrie de l’architecture et du cadrage au cordeau, mention spéciale au plan en plongée depuis le sommet de l’édifice précité, plus fort que Les Demoiselles de Rochefort (Demy, 1967).
Absurde et surréaliste, muni de misogynie ? Que nenni, les ami(e)s, car ce film quasi fantastique constamment comique affiche une forme classique, ne sème jamais le public, accumule les répliques anthologiques, dédramatise le tragique. La viande déjà froide, il faut la réchauffer à/au petit feu de la masculine amitié, de la disponible féminité. La solitude inguérissable, il faut la tromper à plusieurs, lui opposer une théâtralité rétive au théâtre filmé, fuir enfin le bleu et le gris grâce au rouge maousse d’une barque (in)stable, requiem que mène une Bouquet buñuelienne, coup de feu ou de rames et lyrisme intimiste de Brahms, n’en déplaise au poulet qui répond non à la question de Sagan et à donc à l’adaptation de Litvak (Aimez-vous Brahms…, 1961). Le prologue de Buffet froid (1979) évoque un Subway (Besson, 1985) de bon aloi, l’épilogue lorgne vers une scène de Péché mortel (Stahl, 1945) saluée par Scorsese, l’ensemble pas si étrange surprit en premier le principal intéressé, qui l’écrivit vite sous « dictée diabolique » disait-il en souriant. Tandis que France Inter, ce parangon d’indépendance et de probité subventionné par des citoyens et des auditeurs à rééduquer, (dis)qualifie Les Valseuses (1974) d’un sournois « sorte de road-movie à la française qui ressemble aujourd’hui pour beaucoup à une compilation d’agressions sexuelles », amen, que dès le lendemain du décès de Blier, ce moralisme radiophonique l’étiquette cinéaste « viril », daté, dépassé, rassis, merci (la vie) à moiaussi, Buffet froid s’apparente à une gueule de bois, l’état des lieux d’un monde malheureux, le dévoilement amusant et non malaisant, terme actuel, en lents zooms avant et transparentes transparences de mentales apparences, du mortifère en filigrane du libertaire selon les picaresques Depardieu & Dewaere, où une ex-taularde et macabre Moreau à ses jours mettait fin, un flingue mettait dans son vagin.
Du mémorable Bernard le fiston, capable de se faire un prénom, à l’instar du Jacques d’Audiard, dialoguiste différencié, plus âgé, plus épris de Céline que de Samuel Beckett, certes succomba plus d’une fois aux facilités de l’épate bourgeois, d’une artificialité dont la verbale virtuosité évitait le danger de la silencieuse sincérité. Admirateur de Sautet, des acteurs similaire énamouré, il sut leur servir le pain et le beurre, la confiture – « rouge » souffle et souffre Gérard dare-dare au plumard – identifiable aux femmes « mûres » et la générale déconfiture. S’intégrant naturellement à une filmographie fournie, puisque l’on repère des rimes pas seulement féminines avec l’autarcie de Calmos (1976), à la coda en appel de Parle avec elle (Almodóvar, 2002), les couples d’entourloupe de Trop belle pour toi (1989), Balasko & Bouquet, Blancarde et tramway, la banlieue urbaine de Un deux trois soleil (1993), vrai-faux viol collectif et de Marielle tirade antiraciste, le métrage trace sans outrage son propre sillage, recommandable pas de côté tout sauf momifié, auquel une restauration de saison rend sa jeunesse de joyeuse détresse. Ces mecs lamentables mais aimables, ces types pathétiques et cependant sympathiques n’incarnent en réalité aucune discutable domination masculine, ne prennent aucun plaisir à commettre des homicides, craintifs meurtriers d’hécatombe non genrée, se comportent comme des pieds nickelés derrière des piliers de parking planqués, revoici Demy et l’Orphée aux Enfers du risible Huster. Ils font penser bien sûr aux maris immatures et soumis à l’usure de Husbands (Cassavetes, 1970) alors que l’impériale Page, conservation du prénom, nymphomane émouvante aux mille amants et jadis Madame Anaïs de Luis (Belle de jour, 1967), évoque la frémissante Rowlands de Opening Night (1977).
On sait que Grinberg se remit mal du tournage de Mon homme (1996), on sait aussi ce qu’elle dit de Depardieu aujourd’hui, toutefois Buffet froid ne se soucie de ça, rien ne le rend nul, ne l’annule, échec économique et succès critique, César du meilleur scénario illico. Autant mélomane que Pialat, écrivain contrarié à la Cronenberg, Blier livre ici un concentré d’humour noirissime délesté de cynisme et de masculinisme, un conte d’époque pas en toc, une fable affable sur la fin du mâle, plus ludique et moins dépressive que La Dernière Femme (Ferreri, 1976). Présente et dissimulée dès l’orée, conversation de morts-vivants en sursis, par du hasard l’ironie ou l’incommunicabilité d’Antonioni réunis, la Mort arbore in extremis la beauté livide et la voix douce d’une impassible némésis, de quoi réconforter les féministes et souligner que l’ouvrage valeureux et point sentencieux s’ouvrait sur un triangle d’obscurité, perspective de tunnel matriciel et mortel ou L’Origine du monde en terminus de tombe.
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