New délit
Exils # 71 (16/01/2025)
Comparé à Kill (Nikhil, 2023), John Wick (Stahelski, 2014) semble soporifique. Durant une heure quarante, exit le générique, le spectateur sans peur assiste ainsi à une castagne en huis clos déjà d’anthologie. Il s’agit ici aussi d’une histoire de filiation, d’insoumission, d’extermination, l’Amérique mythologique troquée contre un train indien, dont tout le monde ou presque souhaite descendre, où tout le monde ou presque se fait descendre. Si ce dynamisme au carré, concentré, exacerbé, l’action au diapason de la locomotion, celle de la machine et celle du film, pistes parallèles de travellings et de voyages immobiles, disons depuis le convoi des Lumière à La Ciotat, rime avec celui de Dernier train pour Busan (Yeon, 2016), encore un survival linéaire de chemin de fer, l’ouvrage évacue vite le filigrane de la lutte des classes, substitue aux zombies et aux capitalistes des bandits et des opportunistes. Alors que le Leone d’Il était une fois dans l’Ouest (1968) dilatait une introduction mutique aux allures sonores de concrète musique, le scénariste/réalisateur place le titre programmatique à quarante-cinq minutes du début du métrage, selon le sillage d’un ultime et extrême outrage, à faire défaillir les féministes. L’amoureuse du militaire se fait en effet transpercer à trois reprises au ralenti, sous le regard impuissant de son chéri, ensuite anéanti devant le cadavre de l’ami, puis soulagé entre les bras de la sœur mineure rescapée, derrière une portière sur laquelle sa paume sanglante dépose une empreinte saisissante, de quoi faire passer l’US slasher pour de la petite bière. Ceux et surtout celles que préoccupe la question à la con du genre au cinéma et au-delà ne manqueront pas de souligner le caractère clairement sexuel des impacts du couteau forcément phallique d’un bourreau à demi terminé au marteau in extremis : la victime subit les trois coups de face, de dos, au cou, avant d’être renversée vers la voie ferrée cruelle et non le supposé septième ciel. Un autre amateur notoire de tortillards et de gares filma autrefois sa muse et martyre en dédoublé danger illico au creux du métro – Nancy Allen dans Pulsions (De Palma, 1980), bien sûr.
Après ce climax de grâce dégueulasse, vu à travers le verre de la porte, écran réduit de la visible et inaccessible morte, cette exécution de supplice à répétition, qui rappelle le pendant à la perceuse du cinéaste récidiviste (Body Double, De Palma, 1984), la vengeance s’assouvit à nouveau. Fi toutefois de l’arsenal de Reeves, capable de recharger un pistolet en pleine fusillade, quel as, puisque les assaillants adoubent les armes autant blanches que les lavabos réglos sur lesquels se faire fracasser la face, laissant à la police et auparavant à la famille l’usage des armes à feu, heureux ou malheureux. Les fiançailles transformées en funérailles, le soldat devient donc un automate psychopathe, un liquidateur dépourvu de cœur, un artiste de l’homicide, mention spéciale aux pendus plus impressionnants que les crânes du colonel Kurtz de Conrad & Coppola (Apocalypse Now, 1979). Les femmes s’y mettent idem, les âgés rejoignent les jeunes, l’ancêtre se fait cramer la tête et l’extincteur d’Irréversible (Noé, 2002) reprend du service de sévice. En partie inspiré par un fait divers autobiographique, ce mélodrame martial au casting choral impeccable, non démuni d’humour et d’ironie, tresse en résumé le romantisme, sinon le sentimentalisme, à la brutalité azimutée, à une virilité dont la suractivité s’abreuve en vérité à un vide impossible à remplir, une perte à remplacer, une estime paternelle à récupérer. L’item multiplie les plans au grand angle et les surcadrages de cadenassage, sa maîtrise de l’espace s’appuie sur une leçon de direction artistique. Chorégraphe de désastre, pas si nihiliste, Nikhil le bien nommé illustre à sa (dé)mesure un fameux aphorisme de Nietzsche, au sujet de la réversibilité de la monstruosité. Enfin dehors, à l’écart du décor, d’un cercueil où ne se comptent plus les linceuls, du cimetière ferroviaire, Amrit va s’asseoir sur un banc, retrouve forme humaine, retrouve sa belle. Le destin terrible de la douce et indocile Tulipa se lisait dès l’orée, cf. la réplique fatidique en forme de question d’oraison, la scène de demande en mariage, près d’une fenêtre ouverte, comme annonce subliminale de la coda supra du métonymique massacre. Moral et magnanime, l’auteur de l’abattoir offre in fine à son Sisyphe jamais masculiniste un réconfort au bord de la folie, de film froidement furieux tout sauf en fondu fini.
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