Make Mars great again

 Exils # 75 (27/01/2025)


Expliquer l’insuccès de John Carter (Stanton, 2012) par une distribution sabotée, des rivalités chez Disney, l’absence de stars, ne (me) suffit, ne sonde assez la surface d’un film un peu vite étiqueté ersatz de Star Wars (Lucas, 1977), d’ailleurs Andrews coscénarisa The Clone Wars (Filoni, 2008). Il existe en réalité plusieurs façons et raisons d’entrer en sécession, Klimt ne le contredit. En pleine guerre civile, un aventurier endeuillé se découvre dissocié, son corps presque mort à la fois au creux d’une caverne quasi platonicienne et sur Mars où il se déplace grâce à une gravité faiblarde, tel le Petit Poucet avec aux pieds ses bottes trafiquées. Hélas, même là-bas ça se massacre, conflit à demi fini car mariage d’armistice, auquel participent en coulisses des observateurs venus d’ailleurs, avatars cyniques des divinités de la Grèce antique, qui remémorent leurs homologues moins polymorphes de The Box (Kelly, 2009), idem item sudiste et mésestimé, à l’époux itou préoccupé par la « planète rouge ». Le sauteur Carter ne se soucie de tout ceci, à l’instar d’Ulysse il veut revenir parmi son pays d’États désunis, non plus soumis à la natale nostalgie mais plutôt à un capitalisme d’apprenti. Pourtant la présence d’une princesse intéressante le retient, décide des destins, l’incite à écrire au figuré une épique chronique martienne ensuite au propre rédigée à l’attention d’un surpris héritier, adieu Ray Bradbury, Edgar Rice Burroughs revoici. Dans Mission to Mars (De Palma, 2000), autre production Disney, Eurydice croisait Clio, une quête mélancolique se terminait en son-et-lumière historique et cosmogonique. Il s’agit ici, sur fond de féminisme soft, de science, conscience et sentiments du classé deuxième sexe, à deux ou quatre bras, étreins-moi, de ne pas dégager, de s’engager, de s’expatrier, de se rebaptiser. John Carter quitte la Terre, transforme en force sa colère, les coups de pelle de ténèbres alternent avec les coups d’épée ensoleillée. Tandis que l’Amérique nordiste pratique le fratricide, l’exilé renaît, se prend au jeu belliqueux et amoureux, ne se prend pour un nouveau messie, fortune à la Dune, Dieu & Issus merci, se fait fissa rapatrier contre son gré. Il va passer dix années à retrouver la voie vers l’au-delà, vrai-faux mort-vivant, emmuré de mausolée, Machiavel de médaillon.

Dans Il était une fois en Amérique (Leone, 1984), De Niro rêvait sa vie de gangster endolori et d’opiomane proustien. « John Carter de Mars » et aussi de Virginie s’allonge et sourit, s’endort et revit, l’écrivain devenu ange gardien, le métrage sage mise en images d’une prose guère morose, dédiée aux mânes supposés stimulants de Steve Jobs. Davantage que voyager immobile et tourmenté via une fuite psychogénique à la feu – marche avec lui – David Lynch, ce divertissement bon enfant, dont la tapisserie entrelace plusieurs imageries, celles en somme de la SF, du western, de l’heroic fantasy, du péplum, elle-même tressée à la BO de Giacchino en mode « âge d’or » hollywoodien, parce que la variation sur le melting pot américain le vaut bien, offre une fresque politique toujours modeste et ludique, comme un antidote ou un univers alternatif à la (re)prise de pouvoir trumpiste, cauchemar commercial et moral d’une Union européenne aux Confédérés déconfits, puisqu’aux prises depuis des décennies avec des problématiques dites d’inflation économique, d’immigration massive, de terrorisme islamiste. Sur Mars la bien nommée, le polyglotte pionnier dépourvu de qualités se réinvente au milieu de la tourmente, acquiert à cause d’une seconde guerre et surtout sa personnalité une double nationalité, une unique raison de vivre. Cet optimisme cosmopolite et œcuménique cristallise la présidence Obama contemporaine, autant qu’elle met en évidence ses clivages et ses impuissances propices au premier essai de Monsieur T, a priori moins porté sur la destruction à l’atome que le candidat Stillson de Dead Zone (Cronenberg, 1983). Impersonnel et contextuel, John Carter accorde ainsi à l’ex-soldat un aperçu du paradis, avant de le rattacher au « principe de réalité » d’une nation divisée, encore à quitter, c’est-à-dire à réconcilier. Tout reste à (re)faire, retrouver le jour et l’amour, fonder la famille du livre, pacifier de ce pas les tensions intestines, entre individus et tribus, tandis que sur le territoire terrien, les Indiens pas appelés Amérindiens continuent à compter pour rien, à faire de la figuration, puis à être parqués sur la poignée d’arpents par les colons non accaparés.

On sait que Stanton, lecteur gamin des bouquins, ancien salarié de Pixar, faillit succomber au désespoir, se ressourça auprès de ses proches et de ses amis animateurs, trajet parallèle à celui du personnage principal. On sait en sus que Favreau, bookmaker de caméo, travailla sur tout cela, le réinvestit en signant le similairement sous-estimé et supérieur Cowboys & Envahisseurs (2011), sur lequel je ne reviens point. Si le primitivisme du père de Tarzan persiste en pointillé, si des singes d’un autre type rappliquent, un désert symbolique se substitue à une jungle plus exotique qu’écologique. Tel un célèbre JC dont il récupère les initiales, Carter ne se fait pas (r)attraper – Get Carter (Hodges, 1971) en effet –, accomplit sa purificatrice et révélatrice traversée, dépasse le passé, se projette littéralement en avant, sur l’écran de ses yeux clos, dans la salle de son tombeau. Descendant des adultes utopies collectivistes des années soixante-dix, cf. le diptyque d’Eastwood Josey Wales hors-la-loi (1976) + Bronco Billy (1980), John Carter doit sans doute une partie de l’échec programmé de projet longtemps repoussé à un budget élevé, une durée dilatée, une sombre clarté ou une lumineuse obscurité. Ni Lawrence d’Arabie (Lean, 1962) ni La Porte du paradis (Cimino, 1980), il peut être salué en spectacle pas si patraque, aux indigènes en CGI en rime verdie aux Na’vis d’Avatar (Cameron, 2009), lui-même portrait relooké d’une fameuse « indomptée », mythe d’Amérique déjà adapté par Disney (Pocahontas : Une légende indienne, Gabriel & Goldberg, 1995) & Malick (Le Nouveau Monde, 2005), boucle bouclée de métissage made in USA.    

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