La Micheline (tré)passe

 Exils # 25 (08/03/2024)


Que voit-elle, dans son miroir à elle, Micheline Presle ? Une femme élégante et souriante, à la beauté décolorée, semblable à des centaines, après, avant, par exemple, celle de sa vraie-fausse rivale, publique et privée, Michèle Morgan ? Une image pas si sage, même issue d’un autre âge, d’un autre régime d’images, de ramages, de paysages et de personnages ? Comme le clamait le docte Cocteau, l’accessoire narcissique, parfois flaque, au carré, en effet, réfléchit, les salopes ou les saintes, les haïes ou les chéries, mais il le fait de façon inversée, infidèle, crue et cruelle. L’écriture nous rassure, sait cracher ou caresser, tandis que la froide surface de la glace demeure de glace. Le verre vous renvoie vers hier, le cadre encadre une carrière, ici, eh oui, de décédée centenaire. Celle de Presle, un peu celle de la précitée Michèle rappelle, même mari américain et similaire, amère, désillusion hollywoodienne, ratage en partage. Elle tourna, elle itou, à la TV, se risqua sur scène, se souvint de son destin, car les stars, sans hasard, finissent toutes par se confesser, sinon par décliner, s’éteindre au ciel de l’amnésie mimi, ou d’une spécialisée maison de retraite point suspecte, une pensée, à l’opposé, pour le dépressif et aussi réflexif La Fin du jour (Duvivier, 1939). Elle milita sans peur en faveur de l’avortement et de l’euthanasie, de quoi ravir Monsieur Macron, général de salon. Elle enfanta Tonie et celle-ci, reconnaissante réalisatrice, lui (re)donna davantage que la vie, puisque la caméra confère une immortalité éphémère. Micheline de nom civil à deux reprises changea, pour Pabst se rebaptisa (Jeunes filles en détresse, 1939), (en)chanta, pas seulement Demy, dont Lola (1961) la sidéra, un César honorifique ou horrifique décrocha. Moins malmenée par les impitoyables Cahiers que l’ancienne Simone Roussel, elle déroba deux ou trois choses avec Danièle Delorme, occupation d’Occupation, quelle continentale et implacable époque, fréquenta Françoise Fabian, admira Brando & Depardieu, Becker la courtisa, vainement, de son mieux. Quoi d’autre, demanderait George ? L’essentiel et le résiduel, à savoir, à demi sur mon miroir, une filmographie fournie, qui n’incite à rougir, qui invite au souvenir (que reste-t-il, en définitive, une fois les drames et la comédie du mélodrame de nos vies enfuis, finis, que le fleuve de quelques films et le parfum de quelques femmes, vanille de Catherine, oh voui ?). Je me permets de recommander au lecteur persifleur, ou à la lectrice complice, s’ils s’intéressent à cette actrice, ma prose point morose, au sujet, allez, de Paradis perdu (Gance, 1940), Félicie Nanteuil (Allégret, 1942), La Nuit fantastique (L’Herbier, idem), L’Assassin (Petri, 1961), quatuor en or, à mettre tout le monde d’accord. Je conseille, en sus, l’admirable L’Amour d’une femme (Grémillon, 1954), que néanmoins Micheline n’aimait, dommage, pas grave ; les estimables Falbalas (Becker, 1944), Boule de suif (Christian-Jaque, 1945), Peau d’Âne (Demy, 1970), Les Pétroleuses (Christian-Jaque, 1971) ; les dispensables Le Diable et les Dix Commandements (Duvivier, 1962), L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (Demy, 1973), Beau temps mais orageux en fin de journée (Frot-Coutaz, 1986), I Want to Go Home (Resnais, 1989), Fanfan (Jardin, 1992), Pas très catholique et Vénus Beauté (Institut), 1994 + 1999, tandem de Marshall, Un homme et son chien (Huster, 2008), ou le relou Chouchou (Allouache, 2003). Peut-être plus rebelle que Michèle, à peine plus sensuelle que Danielle (Darrieux, mon Dieu), voici les trois réunies, pour toujours, chez Harcourt, petit exercice assez sympathique, de gérontophilie jolie, trinité désacralisée de « monstresses sacrées », représentatives révérées d’un certain ciné français, dit de naguère, de guerre, estampillé populaire, épris de discutable qualité, défaut à la Truffaut, de fière et fiévreuse féminité, d’un glamour garni en accidents de parcours. Ce cinéma-là, l’interprète pas simplette du Diable au corps (Autant-Lara, 1947) l’incarna, l’accompagna, durant presque quatre-vingts ans, peu de gens peuvent en dire autant. Dotée d’un talent évident, que n’émoussa l’usure du temps, le périlleux passage du grand au petit écran, précise et précieuse, brune ou blonde, jeune et âgée, Micheline Presle conserve, outre-tombe, sa modeste majesté, accessible au lieu de divine, propice à provoquer l’hagiographie de la cinéphilie, le béguin d’orphelin, la magie de nostalgie.              

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