Furst and Furious

 Exils # 23 (04/03/2024)

Burton un brin de Batman se balance, se soucie à demi de sa « souris volante », sinon comme (Love, Prince en pince, Kim opine) symbole d’anormalité normalisée, soumise aux mondanités, Bruce l’argenté matrice d’Edward aux mains argentées ; le défilé friqué, à pognon empoisonné, à « mourir de rire », indeed, évoque davantage Les Rapaces (von Stroheim, 1924) que la conclusion à la con du capitaliste Alice (au pays des merveilles, 2010), remémore idem le bibendum maléfique du contemporain SOS Fantômes 2 (Reitman, 1989), maousse némésis en rime. Exit donc le nihilisme à la Miller puis le psychologisme à la Nolan, même si revoilà le trauma, éternelle tarte à la crème d’un certain cinéma des USA (du chocolat à carie de Charlie, oh oui), bien sûr à dépasser, à trépasser, tel le Jack dédoublé, auquel son rire increvable et mécanique cependant survit. Tout ceci se situe in extremis, sans malice, au sommet ou sur le seuil de la « cathédrale de Gotham » – un flic irlandais à l’accent écossais devrait y papoter en compagnie de l’incorruptible préféré (The Untouchables, De Palma, 1987) – et au lieu de transcender la castagne au-delà du profane la place sous le signe du souvenir, surtout celui de Hitch, puisque transparences routières en réminiscences d’hier (La Main au collet, 1955), parmi une forêt romantique et prophétique de celle de Spleepy Hollow (1999), plan plongeant chipé illico au clocher de Vertigo (1958), accrochage de sauvetage en duo modelé de facto sur La Mort aux trousses (1959). Le timide et intrépide vaudeville, pris entre l’aveu (à moitié amoureux) difficile, le scoop pas coûte que coute, le monopole méchamment drôle, manie aussi le réversible, le trouble identitaire, le cimetière gémellaire. Bruce se trouble, se détourne, Keaton en mode Walken tourne autour de la solaire et sincère Basinger, ersatz rempli de grâce de Laura Mars (Kershner, 1978), reporter de guerre du côté de Corto (Maltese, balèze), beauté instantanée, jamais instrumentalisée ni victimisée, mais déchaussée, décoiffée, femme fragile et forte, en bas et robe ou pantalon d’homme, séduisante en somme.

Si la svelte silhouette de l’actrice complice, comique (ou alcoolique, voir Boire et Déboires, Edwards, 1987) et dramatique (la vraie-fausse Veronica Lake de L.A. Confidential, Hanson, 1997, la désarmante maman d’Eminem dans 8 Mile, Hanson, 2002) ne titille Tim, décidé à ne l’érotiser, comme la Catwoman pourtant en costume SM de la chère Michelle Pfeiffer (Batman : Le Défi, 1992), le cinéaste mainstream et marginal, bambin de banlieue, dissident de Disney, à sa façon himself orphelin, chantre de la différence, revendique le temps d’une réplique explicite et horrifique du Joker danseur (moins malsain que chez Bolland & Moore) la dialectique dynamique de La Belle et la Bête, jadis déjà revisité au même endroit méga par Cooper & Schoedsack (King Kong, 1933). Son Jack Napier au sourire crispé ne se contente de croiser le réalisateur de Lang (Le Diabolique Docteur Mabuse, 1960) et le raciste d’Oury (Les Aventures de Rabbi Jacob, 1973), démiurge destructeur et médiatique, cuve verdâtre de chimie ou de sucrerie en écho, il transforme son physique et réinvente sa vie, devient donc une œuvre d’art (très) à part (entière), féroce et fière, avec laquelle ne sauraient rivaliser celles du musée (on ne déconne avec Bacon), rebaptisé en clin d’œil au Guggenheim, n’en déplaise aux danseuses de Degas, aux lanceuses de soupe d’entourloupe désormais de notre médiocre modernité. Ce saccage en définitive assez sage, bien loin des dévastations éjaculations de Bill Burroughs, file la métaphore de la défiguration, incarnée au carré par la compagne de Mick (Jagger) et de Jack (Joker), à savoir une Jerry Hall discrète et drôle, au visage de mannequine portée sur le shopping vite vandalisé à l’acide et dissimulé sous un masque immaculé piqué à l’Édith Scob emblématique et somnambulique des Yeux sans visage (Franju, 1960) + Holy Motors (Carax, 2012). Certes, cette esthétique théorique de la laideur ne saurait posséder du ciné de Cronenberg (pressenti, eh oui) la profondeur, elle confère quand même au divertissement solide, modeste et magnanime, sa valeur de vérité, de claire obscurité, comme la formulation hors saison d’une drolatique et fatidique cheminée élevait le Gremlins (1984) du satirique Dante au-dessus d’un pastiche parodique de Capra & Spielberg.

Face aux lèvres envoûtantes et aux mains massives de Kim, au déguisement de grand enfant du myope Michael, sorte de Bond schizo, aux gadgets à gogo, l’incontournable Jack (Nicholson n’en fait des tonnes, fait renaitre le spectre du jeu pas si exagéré du fiévreux Cagney) offre sa face défaite, suspecte, peinte, éteinte, de quoi apeurer le spectateur et charmer Lon Chaney. Tandis que la renversante et grisante direction artistique de l’oscarisé et suicidé Anton Furst (collaborateur de Gilbert, Scott, Jaeckin, Jordan, Kubrick) frise le rétrofuturisme et paie son tribut à Metropolis (revoici Fritz, 1927), télescope les époques (sillage synthétique de Brazil, Gilliam, 1985, itou photographié par le chef-op anglais Roger Pratt), donne l’impression de redécouvrir la Grande Dépression relookée par le gothique américain, car le justicier tourmenté, à peine un poil hitlérien (la « race des vainqueurs » de chauve-souris en chœur) de Bob Kane & Bill Finger le vaut bien, Batman (1989), humoristique mélodrame, l’héritage de la Warner, firme du film social et du film de gangster (on renvoie vers White Heat, Walsh, 1949, Cagney en coda y éructait, y cramait), en virtuose retravaille. Alors que la présence du puéril Harry Potter paraît une anomalie au milieu de sa filmographie, la créature quinquagénaire, à l’envers accrochée, à l’ultime plan statufiée, « chevalier noir » de nocturne bonheur et star de métonymique projecteur, s’accorde sans effort et rapido à l’imagerie mimi du studio. Trente-cinq ans après son avènement, ses affiches stylisées les couleurs or et suie de la sorcellerie ressuscitaient, ce film noir à l’écart du désespoir, du dolorisme, de la psychanalyse, de la fastidieuse franchise, vampirisme du capitalisme, capable de décupler ses produits calibrés, de se dédouaner de sa responsabilité (le cher milliardaire les riches et les pauvres protège, amen), tient la route (en docile Batmobile), ne déroute (les amateurs et les experts de culture classée populaire).

On peut lui reprocher plusieurs choses, par exemple de réduire les rôles dits seconds à de la fadasse figuration – Jack Palance tire la langue, Pat Hingle fait la gueule, Billy Dee Williams boit la tasse – et la « musique de film », ainsi certains l’appellent-ils, à un exercice d’orchestration à partir d’un matériau thématique de quelques notes (Elfman fera mieux, avec le chœur crève-cœur de Edward Scissorhands, 1990 ou la relecture à la testostérone du Lalo Schifrin de Mission impossible, De Palma, 1996), mais la coproduction en partie britannique, succès critique, économique, le mépris ni l’oubli ne mérite, plutôt d’être appréciée de manière mesurée, pour ses incontestables qualités, son traitement tout sauf infantilisant d’une mythologie (et d’un merchandising) masculine, digne de l’asile, à la justice conservatrice, régressive à la TV, dépressive au ciné, à celle de ses confrères et concurrents (l’altruiste Superman, l’adolescent Spider-Man) affiliée (part d’ombre de la présentable personnalité) et différenciée (Bruce Wayne antihéros et alter ego du funèbre citoyen Kane).

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