Bangui blues

 Exils # 18 (05/02/2024)

En RCA, jadis chez Bokassa, si tu souhaites étudier, au public préfère le privé, comme le dirait l’actuelle et indécrottable ministre de l’Éducation hexagonale. À la fac un peu beaucoup patraque de la boueuse et populeuse Bangui, des fuites il faut faire fi, putain de pluie, coucher à quatre dans une chambre et à deux par lit, pousse-toi l’ami, se pointer à cinq heures du matin afin de se serrer en sardines au sein d’un simulacre d’amphi cafi. Les profs ? Ils pontifient en chemise rose, costard noir, montre maousse, ils pérorent à propos du capitalisme à bout de souffle, ouf, ils interrogent de manière rhétorique et comique, la classe se marre, les probables futurs licenciés au sujet de leur improbable future ruralité, cultiver ou se cultiver, ton choix à toi. Une universitaire altière aux airs un brin de mannequin prône l’optimisme, crois en toi, crois en la RCA. Question exams, quelque chose de morose se trame, des notes se baissent, des copies disparaissent. Tout ceci ne suffit, il convient de le compléter par un soupçon de corruption, un doigt de droit de cuissage, une cohue de bienvenue, des tableaux d’antan couverts d’équations à la craie, la présence surprenante d’un PC. En 68, loin de l’Afrique, des nocturnes moustiques merdiques, on s’échauffa pour moins que ça, CRS versus petits-bourgeois, mais ici, maintenant et aujourd’hui, personne ne se révolte, à peine on se plaint des anciens, cf. le plan-séquence du prologue gérontophobe, introduction d’oraison interprétée par le réalisateur chanteur passé par deux fois devant sa propre caméra, la seconde au cours de résultats sympas, dès l’orée mise au point au carré, de l’objectif et des objectifs, façon d’individualiser un titre collectif, impératif, sinon revendicatif. Plus que d’un petit exercice de narcissisme réflexif – je me filme et je frime – il s’agit d’aménager parmi le documentaire doucement vénère une dimension d’immanent mystère, une sorte de lyrisme subjectif. Au-delà du constat des conditions à la con, d’une transmission à l’abandon, d’un système obsolète, Nous, étudiants ! (Rafiki Fariala, 2023) dessine ainsi quatre destinées ensemble et séparées, similaires et différenciées, conte initiatique tragi-comique où la psychologie en action excède Dieu merci la sociologie en situation, du ciné la malédiction.

Du quartet de mecs peu malhonnêtes se détachent les visages et les corps d’Aaron & Nestor, aux destins disons dostoïevskiens. Bloc de colère argumentative et de mélancolie festive, cf. la soirée arrosée des diplômés, à laquelle l’amical recalé se voit quand même convié, le « cadet académique » traîne son mal-être d’étal artisanal en mise en abyme pirandellienne : tu fais de moi usage tel un personnage ; une fois ton film fini, restera-t-on amis ? Son compagnon doit se débattre ou davantage faire le dos rond, mis en cause par une tante menteuse et méchante dans une affaire de sexuelle agression. Mais la mineure, à la bonne heure, par ailleurs amatrice assoiffée de yaourt en sachet, sur le campus à acheter, contre son cher et tendre collée, invalide cette version, confirme le consentement, va attendre deux enfants, jumelles d’Abigaelle. Un flic joue au juge, justice expéditive, pourtant l’innocent échappe au déluge, supérieur pragmatique. La famille de la fiancée racée réclame par courrier à l’intéressé à moitié amusé un ersatz de liste de mariage en sacrifice d’outrage, de cela ne parlons pas, de peur des pleurs de la SPA. À défaut d’un fils ou d’une fille, Angélika chevauche Nestor et lui offre le spectacle de ses fesses secouées, pas de quoi les féministes froisser (quoique). Les vies s’enlisent, le duo avec mioches et animaux va vite en moto, on marche et on tchatche, même au milieu du générique de fin express et d’un champ de manioc d’affaire en commun ou en toc. Entre détresse et liesse, cette jeunesse s’émerveille d’un coucher de soleil, cite Adam Smith, aborde l’âge adulte, celui d’autres tumultes, la parentalité, quelle responsabilité. Formé par « une association de documentaristes fondée par le cinéaste Jean Rouch », dixit le dossier de presse, le fréquentable Rafiki Fariala saisit tout ça, assez adroit, livre une limpide chronique de types entretissés puis espacés, orphelins au lendemain incertain, délestés de pedigree, dépourvus de revenus. Un don d’au revoir se partage, la nef des économistes ne fait naufrage. Dans une salle provinciale hélas désertée, une quinzaine de quidams pour trois cent places, dernière séance de samedi soir de février certes frisquet, la RCA ressuscite, s’agite et cogite, tandis que la Chine, bien implantée là-bas déjà, en 2050 tous nous dirigera, si l’on prête crédit aux statistiques, que l’homme blanc désormais se limite à d’Orange un agent, véhicule entrevu, barrière relevée, point d’une seule main ou bien danger.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir