Ma sorcière bien-aimée

 

Un métrage, une image : La Sorcellerie à travers les âges (1922)

Peintre pédé pour Dreyer (Michaël, 1924), Christensen incarne ici le Christ & Satan, annonce surtout La Passion de Jeanne d’Arc (1928), semble aussi se souvenir, à échelle (d’urbain modèle) réduite, de Intolérance (Griffith, 1916), autre conte « historique et culturel », sinon cultuel, découpé en périodes, en épisodes, pas « à suivre », presque. Si le cinéaste de Naissance d’une nation (1915) délaisse le racisme, manie à demi la misogynie, puisque femmes moralisatrices, accusatrices, ruineuses de gréviste, puisque la massacreuse de catholiques Catherine de Médicis, le Danois ne suit ses pas, sa sienne fresque, plus modeste, en dépit d’un budget suédois estimé élevé, frise le féminisme. Six ans avant les visages bouleversants de Renée Falconetti et ses tourmenteurs de malheur, Häxan, c’est-à-dire la sorcière, amitiés à Michelet, ne démérite pas, loin de là, immortalise les traits de la « tisserande » Maria, donc ceux de Maren Pedersen. Vacciné contre le manichéisme sexué, doublement malin, majuscule en sus, Benjamin ne se limite à émouvoir, à modifier le docudrame en mélodrame, à croquer les masculins coupables, leur folie, leur hypocrisie, leur désir onaniste puis doloriste, flagelle-moi, je kiffe ça. Il (dé)montre la réversibilité des rôles, voici la victime, conditionnée à avouer ce qu’elle ne sait, hormis une imagerie commune, redoutable et ridicule, fissa transformée en dénonciatrice, délatrice, adepte de la diffamation, de la vengeance à combustion. Toute la maison médiévale va y passer, trépasser, l’imprimeur alité disparaît, ne reste qu’un nourrisson à l’abandon. Anna, domestique superstitieuse en partie responsable du domestique désastre, périra la dernière, vraie-fausse sorcière, piégée, épiée. L’insanité à satiété foudroie en « fléau », les femmes, les hommes, les enfants, « huit millions de morts », encore un effort, dirait Sade, salut aux célèbres six sémites de notre modernité à l’extermination racialisée, industrialisée. Non démuni d’ironie, d’une subjectivité assumée, propice à l’aparté réflexif, torture pour rire d’actrice, confession off de Maren elle-même, La Sorcellerie à travers les âges fait en effet(s spéciaux) feu de tout bois, en effet, passe de l’astronomie à la psychiatrie, du didactisme à l’érotisme, de l’art au désespoir, des représentations à leurs reproductions. Doté d’une désabusée lucidité, d’une conscience sociale estimable, Christensen souligne l’origine des pseudo-magiciennes point sereines, donne à voir leur vieillesse, leur tristesse, leur pauvreté, rêve de château enchanté, fastueux, friqué, plus tard cauchemar (dé)calqué, inversé, sur le fameux homonyme de Füssli, eh oui, ensommeillée allongée, à moitié étranglée, olé. Au-delà de parallèles freudiens très datés, entre hérésie, hystérie, enfer, nerfs, démonologie, maladie, la coda contemporaine dépasse le cas clinique, en l’occurrence celui du somnambulisme, de la pyromanie, de la kleptomanie, comportements de maintenant, de trinité à traiter, aux traumatismes formulés, mis en miroir avec les événements du renversant couvent d’antan. Après la boucherie guère héroïque de 14-18, on se « console » comme on peut, on s’affirme davantage magnanime, la douche, pas encore celle des nazis, remplace le bûcher, la science la croyance, l’aviatrice le supplice. Cependant, rien ne paraît changer, la féminité affolante, affolée, demeure une « énigme », aux prises non plus avec l’église, plutôt la police, le pathétique se substitue à l’ésotérique, les classes ne partent à la casse, selon vos revenus, vous voilà (r)envoyé(e) ainsi à l’asile ou casé(e) en clinique privée. Drolatique et mélancolique, magnifiée par sa flamande direction artistique, photographique, Christensen, regard caméra, remercie dès les cartons d’introduction Richard Louw & Johan Ankerstjerne, Häxan s’achève via trois femmes en flammes, cent ans avant l’homologue de Moll (La Nuit du 12, 2022),  mais aussi, suprême, cruelle et linguistique ironie, sur le terme « slut », qui signifie fin en suédois, salope en anglais, collision à faire ricaner les sexistes injurieux du X…    

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