La Lame nue : Présumé coupable

 

Alibi, librairie, hasard, rasoir…

Le patronyme de l’impeccable Cooper, vite vaincu à cause du cancer, apparaît en premier, pourtant l’obscur opus appartient bel et bien à la douce-amère Deborah Kerr. Pour savoir vraiment ce que signifie frémissant, il convient de découvrir la fascinante performance de l’actrice assez sublime du Narcisse noir (Powell & Pressburger, 1947), Quo vadis (LeRoy, 1951) ou des Innocents (Clayton, 1961). Si l’on ne peut pas ne pas penser au compatriote Hitchcock, puisque poison du soupçon, falaise funeste, faux coupable, flash-back patraque, chantage attesté, salle à bain malsain, escalier cascadé, la vérité, qui fait ici défaut, qui « sonne toujours faux », affirme la mensongère némésis, à la maladresse ironique, magot cramé, marches manquées, réside ailleurs, à l’intérieur des intérieurs d’un mélodrame domestique, autarcique, de classe sociale, de casse maritale, encore écrit et traduit par Joseph Stefano, le scénariste et adaptateur de Psychose (1960). Il faut souligner aussi l’excellence de la direction de la photographie, l’usage pertinent de la profondeur de champ, optique stratégique donnant à voir, avec ou sans miroir, des protagonistes l’impureté, la claire obscurité, la menace de l’espace, sa netteté d’enquête suspecte, d’affaires fouillées, de possibilité à domicile, au milieu de l’intime, du doute et du danger. Après un prologue presque en POV, de whodunit en clin d’œil au titre, un générique topographique, palais de justice à l’éclairage et aux cadrages quasi expressionnistes, l’histoire démarre sur une goutte de sueur décisive, amitiés à Mission impossible (De Palma, 1996), transpiration d’inspiration, que remarque Martha sur le cou de son époux, témoin américain de procès de patron assassiné. L’incontournable Cushing porte une perruque, effectue un caméo de maestro, un « avocat radié », à la bouteille abonné, employé licencié, aux livres onanistes, soudain survient, à l’abri enténébré d’un pont d’avenir amélioré. Conte de couple en déroute, au carrefour du film noir et de la satire sociale, La Lame nue incise une réussite problématique, in extremis entaille des retrouvailles aux allures de funérailles.

Commentant un sac postal volé, retrouvé, contenant une missive accusatrice, l’étranger trop parfait, surtout à l’égard, quels floraux égards, de sa moitié, qualifie la tactique, tamponner le courrier, l’adresser comme délesté de toute solution de continuité, de « très britannique », façon humoristique de valider la nationalité de l’ouvrage digne d’hommage, dont l’une des séquences les plus intéressantes se situe parmi une cité populaire, paupérisée, visite sans chichis de l’enrichie d’un chèque munie. L’épouse à progéniture du prisonnier, cassante, « écœurée » Diane Cilento, celle de l’homme d’affaires affairé, effaré, s’affrontent à fleurets pas si mouchetés, avant que l’ex-modeste ne se perde entre les immeubles formatés, entre les draps en train de sécher, périple symbolique, passé à proximité. Courtisée par un associé collant, sinon inconvenant, Michael Wilding en prime, la domestique en crie, apporte « l’armure de Madame », Martha songe à se supprimer, baignoire à la Marat, adieu aux Diaboliques (Clouzot, 1955), suicide pensé en humide contre-plongée. Au plafond, une glace quadrillée surcadrera le reflet de l’assaillant salace, adepte de « plaisirs épicés », se demandant si les femmes se dénudent en prélude au sommeil éternel. Les dialogues d’ailleurs abondent en sous-entendus sexuels, jusqu’au phallique intitulé lui-même, créent un climat sympa de franchise moderniste, en contrepoint du malmené maintien, de la bienséance des apparences, duquel participe le troisième tandem de la commère mécène, du gigolo homo. Magnifiée par Erwin Hillier, DP formé à la UFA, ça se voit, assistant de Lang (M le maudit, 1931) puis passé chez les Archers, Deborah Kerr se désespère, erre au creux du décor en or de la directrice artistique Carmen Dillon (Hamlet, Olivier, 1948 ou La Malédiction, Donner, 1976), piaule à colonnes sudistes à faire saliver Selznick, escalier cher à la Wilder (Sunset Boulevard, 1950), selon la direction assez stylée, à plans composés, d’un Anderson encore à l’écart de L’Âge de cristal (1976) et Orca (1977).

Item amène, malgré la partition dispensable, à la délicatesse éléphantesque, que commit William Alwyn, notez l’utilisation diégétique et dramatique d’un concerto classique, diffusé à la TV, produit illico par le père d’un certain Marlon Brando, The Naked Edge permet à Cooper de prendre congé via un personnage placé sous le signe de l’ambiguïté, à l’instar de celui de L’Homme de l’Ouest (Mann, 1958), offre en définitive à la forte et fragile héroïne l’expérience de la perte de confiance, à son interprète parfaite l’occasion d’exception d’électriser le spectateur, cependant assommé d’estivale torpeur.          

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