Affreux, sales et méchants
Un métrage, une image : L’Enfer (1911)
Curiosité à succès, film fidèle, opus pionnier, L’Inferno souffre certes
de sa structure sérielle, à l’accumulation cruelle, sorte de catalogue
d’atrocités datées, où Dante, en sus du reste, règle ses comptes avec ses
propres démons, à savoir un faisceau de Florentins contemporains dépeints en
damnés malsains et mesquins. Ce moralisme personnel (im)posé, incrusté au creux
de châtiments évidemment élargis, fournis, les neuf cercles, il faut les
remplir du pire, n’épargner personne, hormis quelques sommités plus ou moins à
la gomme, name-dropping en prime,
péchés capitaux requis illico ; cette
constatée limitation de la narration, en définitive mise au service des
artifices de la fabulation, des attractions, de leur montage, jusqu’au sein de
l’image, résumerait un certain théoricien nommé Eisenstein, le spectacle ne
s’avère guère patraque, persiste à exercer son effet, spécial en effet, plus
d’un siècle après. Même si les musulmans de maintenant, une poignée ou la
majorité, pourront critiquer, condamner, la représentation interdite, explicite
et horrifique, du méconnaissable Mahomet ; même si l’ouvrage doit une part
de son impact graphique et fantastique aux fameuses gravures de Doré, Gustave,
Julien, dégage, tandis que La Sorcellerie à travers les âges
(1922) du Danois Christensen, encore un démonologue, subissait de fait l’influence
de la peinture flamande, L’Inferno ne se ramène à un
blasphème, à l’apologie jolie d’une picturalité mal (di)gérée. Le trio infernal
de réalisateurs ritals utilise in situ, réalisme bienvenu, décor (naturel)
en or, des câbles à la Hong Kong, maîtrise les multiples et bénéfiques
maléfices de la technique, de l’optique, amitiés à Méliès, le pandémonium ne
ressemble ainsi à un statique album, plutôt
à un thématique barnum, aux cadres
composés, au rythme disons sédimenté, le plan apparaissant telle la forme
moderne du di/triptyque ecclésiastique. Il ne s’agit pas tant, pas seulement,
dorénavant, d’édifier les foules, davantage de leur en foutre plein la vue,
pourvu d’un poil de cul, pubien et masculin, puisque nudité frontale affichée.
Au carrefour du produit culturel européen à caution littéraire de naguère, pour
le moment démuni du nationalisme mussolinien de Scipion l’Africain
(Gallone, 1937), de la superproduction populaire, reproduction d’univers
austère, pervers, au bestiaire adoubé par Cerbère, L’Enfer pratique en
outre, à deux reprises, les délices du retour en arrière, dure une heure
entière, ne nuit ni n’ennuie. Ponctué de cartons pas cons, de citations en
situation, le voyage virgilien, point pasolinien, n’en déplaise à Salò
ou
les 120 Journées de Sodome (1976), topographie d’infamies, de
république hérétique, à l’humour noirissime, aux exactions d’Histoire à travers
lesquelles apercevoir celles de la société de consommation, coprophagie
prolongée jusqu’ici, vade retro, pizza Buitoni, vaut le visionnage
estival, mérite que l’on franchisse sa porte de désespérance, donc de
tempérance, son fleuve un brin bégueule, dont un air inouï jadis entendu chez Kieślowski
(La
Double
Vie de Véronique, 1991) sublimait la dimension nautique et
métaphysique. Les corps promis à une impossible mort, sans cesse blessés,
rassemblés, en/déterrés, annoncent aussi l’hécatombe de 14-18, comme la masse
de Metropolis
(Lang, 1927) l’amas de la Shoah. Le gigantisme de l’entreprise manie la
métonymie, cf. la figure du géant, en trois exemplaires, inconscient reflet
de la trinité précitée, de la même manière que Dante se met lui-même en abyme, in extremis, merci à Béatrice, s’extraie
de l’abîme, à contre-jour, mon amour. La Liste de Schindler (Spielberg,
1993) se terminait sur un tombeau ; L’Inferno s’achève via un monument mémoriel, statue
pressant le passant d’« honorer le poète altissimo », capito ?...
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