Un chien qui rapporte : Arlette et l’Amour


Titre à double sens, fossile de France…


Serge Bromberg l’affirme dans sa « préface » : « Un ovni du cinéma des années trente, coincé entre la pochade, l’ambiance faubourg et une façon de filmer très Art déco, dont le charme inimitable est aujourd’hui encore resté intact. » En vérité, l’objet filmique non identifié ne naît pas ex nihilo, transpose un tandem théâtral souvent porté à l’écran, peut rappeler, par instants mesurés, le ciné (minoré) de Clair, L’Herbier, Pagnol, Vigo, péniche de prologue incluse. En réalité, il s’agit d’un exercice de style(s) assez surprenant, d’un pot-pourri pas si poussiéreux, d’une « comédie de mœurs » presque musicale, dotée d’une très aimable chanson de Sablon, interprétée en stéréo par Arletty & Christiane Dor. Au creux de cette curiosité, tout sauf restaurée, le cinéphile curieux découvre un toiletteur-arnaqueur « du Midi », une concierge (fourbue) mélancolique carburant au café (moulu), des filles faciles, possible, assurément oisives, un fils de banquier désargenté, une aristocrate à cravache, elle préfère les pouliches aux étalons, allons bon. En 1931, le lobby LGBT n’existait point, sa bien-pensance ne sévissait pas au cinéma et la censure hexagonale se fichait pas mal des longues jambes aux bas de soie, des petits seins (de mannequin) en transparence de l’actrice débutante, charmante, amusante. Par conséquent un peu polisson, l’opus joue aussi avec le son, expérimente à sa mesure les possibilités du parlant, par exemple accélère le débit d’une (traîtresse) locataire, fait rimer sonnerie et ronflement. Choux s’entiche de plans en plongée d’aplomb à la Psychose (Hitchcock, 1960), de changements d’axe successifs, visage via le montage à la limite du cubisme, mélange images documentaires, en plein air, et intérieurs d’immeuble meublé, s’autorise une illustration de rêve muet, logiquement traité en film homonyme, serviteur « nègre » en sus, saynète réussie mais désormais (à tort, à raison) abjecte, n’en déplaise aux polémiques propos de l’experte (piètre) Christine Angot.



Sur la scène de ses tréteaux sans cruauté se déroule donc un argument minimal, bon enfant, à la moralité jamais marxiste : l’amour ne s’achète pas, il ne rapporte rien, sinon le sourire, le plaisir, à « Josyane Plaisir », héritière reniée, qui, couchée, se déclare, à cause du départ du dessillé, « brisée ». La Grande Dépression récente, le nazisme à l’horizon, le film s’en fiche, il décrit une communauté féminine, disons un gynécée, regard rempli d’aisance, de bienveillance, il dresse discrètement un éloge de la débrouillardise, oppose au « terme » à payer un hédonisme décontracté. Ces silhouettes guère suspectes, certes proprettes, même centenaires, n’indiffèrent, car leur brièveté possède une certaine vitalité, une estimable légèreté. Bien entourée par un casting choral, mention spéciale, mélomane, à Laure Diana en accordéoniste douce et déchaînée, l’allègre Léonie Bathiat ne démérite pas, sœurette, dans la vraie vie jolie du récit, de la princesse (ra)contée, in extremis enrichie de sa joviale pauvreté. On retrouve l’honorée « Arlette » au cours d’un entretien de 1988, en « légende » non voyante et cependant lucide, modeste, pétrie de politesse et de liberté (de parler, de penser). Quant aux deux courts métrages supplémentaires, le bien-nommé Frivolités (Le Henaff, 1929), « prises de vues » attribuées au fameux directeur de la photographie Burel, comporte un gant de giallo, une face fantastique à la Franju, tandis que le drolatique vaudeville en vitrine de Amour et Publicité (anonyme, 1932) présage, de façon inconsciente, une savoureuse séquence « sociétale » de Pauvres millionnaires (Risi, 1959). Le disque, acquis (neuf) pour cinquante centimes d’euros, s’orne d’extraits de la collection Les éternels, à savoir L’Atlantide de Feyder (1921) puis Pabst (1932), Un chien qui rapporte, La Chaleur du sein (Boyer, 1938), Hôtel du Nord (Carné, idem), triplé d’Arletty, Le Récif de corail (Gleize, 1938) + Remorques (Grémillon, 1941), doublé, oh, du duo Morgan/Moncorgé.


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