Tanks for Stalin : Dear Dictator


Légende dorée, d’idiotie jolie, à réserver aux nostalgiques amnésiques…


Restons en Russie, camarade cinéphile, avec cette pitrerie-poutinerie, itou produite par le ministère culturel, remarquez les renforts de la « société russe d’histoire militaire », misère. Kim Druzhinin semble amouraché des chenilles, puisqu’il signa en 2016 28 hommes de Panfilov, où des soldats soviétiques affrontaient des tanks teutons, allons bon. Ici, admirez le renversement dialectique, toujours historique, un ingénieur traverse le pays pour présenter au « petit père des peuples », en avant-première, à la veille de la guerre, sa dernière trouvaille fatale, le fameux T-34. Deux prototypes entament par conséquent un périple périlleux, puis s’exposent in extremis sur la place Rouge, à proximité du Kremlin, face au moustachu serein. En compagnie de ses co-équipiers, volontaires et sincères, réticents ou rusés, Mikhaïl Kochkine accomplit ainsi sa mission, presque sans autorisation, satisfait son ambition, mise au service de la nation. Mal écrit, mal joué, filmé de manière anonyme, Tanks for Stalin (2018) carbure à la caricature, à l’imposture, ne vise qu’un unique objectif : mettre en valeur la grandeur passée, pérenne, du fief de Joseph, de l’empire de Vladimir. Cela s’appelle de la propagande, ceci signifie du révisionnisme. La callipyge Aglaya Tarasova peut bien s’avérer une mécanicienne doublée dune naïade, ce filigrane féministe s’affichait déjà, jadis, à travers l’ouvrière laitière de La Ligne générale (Sergueï Eisenstein, 1929). Quant à la forêt pré-conflit, sexuelle, sentimentale, nul ne la confondra avec celle de L’Enfance d’Ivan (Andreï Tarkovski, 1962). Sous ses allures de fresque picaresque se dissimule à peine un pensum insipide, risible, sorte de western sis en Oural, aux nazis de carte postale, aux maquisards magouilleurs, au pont planté rappelant en très mineur un passage dantesque du Convoi de la peur (William Friedkin, 1977), autre conte de transport dangereux d’une autre trempe, dépressive et démente. 




La meilleure scène, la moins pire, se déroule de nuit, lorsqu’un commando allemand motorisé, spécialisé, essaie d’envahir les véhicules, diligences modernes, disons. Le chalumeau du chauve de service, frérot de Nosferatu, tout de cuir noir vêtu, perce un chouïa l’acier, emmène le métrage d’enfantillages vers la rive du cinéma italien désargenté, décalqué, des années 70, comme un clone anachronique du dystopique Mad Max (George Miller, 1979). Kim connaît-il Kevin, c’est-à-dire le sieur Reynolds, naguère auteur, escorté par le dramaturge/scénariste William Mastrosimone, du beau La Bête de guerre (1988), odyssée identitaire avancée de cinquante ans, délocalisée en Afghanistan ? Je crains que non, au vu de sa connerie cocardière. L’ensemble exsangue, désincarné, inclut aussi un mec du NKVD, une coda en images d’actualités, un double retour en arrière express, de deus ex machina, indeed, et dure une heure et demie, si l’envie vous en dit. Dans un registre similaire, dans les airs, The Crew (Nikolaï Lebedev, 2016) évacuait les contrevérités, se focalisait sur des passagers à sauver, un volcan en activité, viva l’Etna. Certes, la fiction se différencie du documentaire, occasionnellement menteur, des bouquins d’historiens, romans gouvernementaux, aux narrateurs vainqueurs. Raison suffisante, supplémentaire, afin que le cinéma, pas seulement celui de l’Est, y compris spectaculaire, populaire, fasse preuve de lucidité, d’intégrité, se démarque des discours officiels à la truelle, des financements conformément au ravalement mémoriel. Le tovarich Druzhinin croit chroniquer une victoire, alors qu’en réalité il confirme l’échec d’une imagerie édulcorée, candidement politique, d’une idéologie par définition atteinte de myopie, appliquée au divertissement sérieux, au lavage de cerveau censé édifier les masses connectées du nouveau siècle, vieille recette du fascisme cinématographique, pléonasme. Ton tank ? No, thanks.


Commentaires

  1. Comme pour faire un contre-point, une autre histoire d'ingénieur traversant un autre pays... YUL 871
    https://www.youtube.com/watch?v=cB6fJBmtRH4

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    1. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/04/le-temps-dun-week-end.html?view=magazine
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/04/mise-mort-du-cerf-sacre.html?view=magazine

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