Qui a tué Lady Winsley ? : Tête de Turc


Les bonnes intentions et les mauvais résultats.


Aux deux tiers une comédie Cluedo, Qui a tué Lady Winsley ? (Hiner Saleem, 2019) se casse ensuite à la suite d’une révélation généalogique. Nous voici en Turquie et donc le whodunit drolatique bascule vers l’identitaire, puisque l’inspecteur dépêché, presque empêché, d’Istanbul, s’avère en vérité un Kurde, comme la juvénile victime occise une vingtaine d’années plus tôt, au même endroit pas si sympa, île humide, autarcique, sinon consanguine, autant réjouissante-refroidissante que la Grèce de Theo Angelopoulos, le DP Andreas Sinanos en point commun. La poésie importée insupporte l’autoproclamé patriote, qui récidive au présent, en plein hiver, s’en prend à une romancière étrangère, une Américaine altière, le manuscrit dérobé transpose à peine le crime occulté. Une balle suffit à la faire taire, une goutte d’hémoglobine désigne le complice militaire, la visite d’une mère et la traduction d’une hôtelière feront le reste : le flic et le journaliste se mettent en joue, avant que le commissaire sous pression, sur un siège éjectable, n’abrège le duel et regagne sa respectabilité. Tout ceci dure moins d’une heure et demie, amuse en mineur, ne passionne hélas jamais. Co-écrite par l’actrice Véronique Wüthrich & Thomas Bidegain, collaborateur de Jacques Audiard, co-produite par Robert Guédiguian, l’enquête turque, belge et française frise les fadaises, trop peu solide s’enfonce dans sa propre glaise. Le satirique se limite à du folklorique, voire l’inverse, et la communauté ne décolle à aucun moment, car le métrage manque de mordant. Quant à la caméra, elle accumule en widescreen les contre-plongées, elle se gargarise de grand angle. Salué par votre serviteur à l’occasion du contrasté My Sweet Pepper Land (2013), le sieur Saleem laisse pourtant apercevoir, au détour de quelques plans, ce que pouvait donner l’argument, une fois doté de chair, de tourment.



Le policier, qui vient d’évoquer ses origines avec sa mère tout sauf indigne, davantage victime d’exil intérieur, de « répression » de saison, cependant fière de son grand fiston, quitte à nouveau la ville, reprend la mer, muet, solitaire, amer. Tandis que ses photographies d’enfance font la une, il reste taciturne, héritier dessillé d’un père décédé, ancien riche devenu ouvrier, malade endormi du grand sommeil éternel. Outre cette mémoire mémorielle, pour ainsi dire par procuration, il retrouve vite l’étoile anglophone du Star Motel, surcadrage en lent traveling avant de porte donnant sur un balcon, l’horizon, où le couple s’embrasse à l’extérieur, de l’autre côté d’une fenêtre voilée, au rideaux immaculés, le visage masculin tourné vers le ciel, tel un saint en extase. Puis raccord cut sur celui de la jeune femme aux yeux fermés, à la bouche ouverte, une main au milieu des cheveux de l’amoureux, sa tête glissant sur ses seins, disparaissant hors-champ, bel instant lyrique d’érotisme suggestif, chic et pudique, escorté par les notes synthétiques de Florence Caillon & Xavier Demerliac. Finalement, chute d’un châle charmant, les amants s’enlaceront en stéréo, coda œcuménique, élégance souriante d’un film élégant, à défaut d’être consistant. Le début séduisait aussi, atmosphérique, médical, cadavre féminin sculptural, que l’infirmier musulman n’examina pas totalement, Allah ne l’autorise(rait) pas. Malgré ces minutes aimables, estimables, Qui a tué Lady Winsley ? pose une question anecdotique, une énigme minime, capable d’être résolue dès la première rencontre des antagonistes, déguise en polar de hasard une sociologie scolaire, à base d’adultère qui indiffère et de xénophobie dont on se fiche. Son antiracisme repose sur pas grand-chose, à savoir du manichéisme, son mélange des cultures procède un peu de l’imposture, beaucoup de la caricature.



Certes, le réalisateur lui-même issu du Kurdistan manie l’humour et une bienveillance évidente, semble proférer sa contradictoire profession de foi envers Ankara via la voix off de la défunte, elle-même en relation d’attraction/répulsion, sans cependant parvenir à s’affranchir d’un parti pris, des a priori, du fameux « tous pourris », surtout si « de souche », comme disent désormais les médias français, afin de qualifier des citoyens soi-disant délestés de « sang impur », abreuvons ou non les sillons de la Nation. Face à ce film fadasse, Le Petit Monde de don Camillo (Julien Duvivier, 1952) fait figure de modèle dialectique, d’étalon politique, de sommet comique, à la mélancolie implicite. Le cinéma, a fortiori lorsqu’il se veut témoin des tensions avérées, des documentées « discriminations », quel vocable dévalué, à vomir, devrait se garder de la subjectivité, de la trop simple simplicité, et les plus pervers, ou impitoyables, accuseront le producteur marseillais, en partie arménien, d’instrumentaliser la parabole laïque, de régler ses comptes à distance avec un pays jadis génocidaire. On le voit, nous voilà loin de la légèreté affichée, mise en avant par la bande-annonce, plutôt rapprochés d’une propagande commettant, ironique effet boomerang, la courte vue, la perspective biaisée, qu’elle entendait dénoncer. Demeurent à l’actif du titre un évocateur générique pictural, des philosophes en enfilade, une infirmière réticente, à la silhouette excitante, une épouse possiblement infidèle fissa expédiée ad patres par accident, et vlan, une robe rouge + un ballon bleu, n’oublions point un sosie local de Clark Gable et des chevaux chahuteurs en surimpression, allons bon. Heuristique lucide ? Soirée distraite.



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