Rosita : Mon roi
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Ernst
Lubitsch.
When the night has been too lonely
and the road has been too long
And you think that love is only for
the lucky and the strong
Just remember in the winter far
beneath the bitter snow
Lies the seed that with the sun’s
love in the spring becomes the rose
Durant cette « romance
espagnole » joliment restaurée, merci mémoriel à l’équipe cinéphile de
Dave Kehr, conservateur spécialisé d’un fameux musée d’art moderne new-yorkais,
des scènes nocturnes émerveillent en mineur, un souverain marivaude, des
figurants fourmillent, Mary Pickford se transforme enfin en femme forte, affirmée,
délaisse la star adulte déguisée en gosse,
(re)lisez-moi à propos de Pauvre petite fille riche (Maurice
Tourneur, 1917), La Petite Américaine (Cecil B. DeMille, idem) et Pollyanna (Paul Powell, 1920).
Premier opus américain du réalisateur
européen, allez ou non voter demain, au passage invité par l’adulée affairée, Rosita
(1923) s’amuse avec les classes sociales et se souvient de la mise en scène
mortelle de Tosca. Mais Lubitsch, associé à ses scénaristes, corrige
Puccini, accorde in extremis une seconde chance de
renaissance à ses amants mariés, pour s’en moquer, les manipuler, par Sa
Majesté. Ici, tout séduit, tout finit réuni. Écrit et filmé avec minutie, l’item en caméra fixe affiche trois
mouvements importants : un panoramique horizontal aux allures de split screen + deux travellings
latéraux de/en carrosse. La reine sort sur la terrasse, le spectateur découvre
derrière elle, à droite de l’écran, le roi et la fraîche comtesse, surcadrés
par une fenêtre en profondeur de champ ; Rosita, sidérée, endeuillée,
traverse à vive allure la rue d’une Séville festive, licencieuse, puis le
couple apparaît sur le balcon, POV d’altesse dépitée, prise à son piètre piège,
par une épouse compréhensive, espionne salvatrice. Auparavant, voici du chant,
du duel, de la prison, une villa
dévastée par la smala de l’intéressée, qui nous adresse droit dans les yeux et
l’objectif un clin d’œil complice. Si la comédie s’oriente vers le mélodrame,
on sait déjà comment tout cela se conclura, on s’en réjouit, fi du souci.
Le motif des mains va et revient,
celles des trois courtisanes posées sur leurs homologues royales, celles de la
chanteuse et de l’aristocrate liées au carré, au propre et au figuré, élection
instantanée. Défendre une femme, gracier un homme, parité respectée, dialogue à
distance, liberté embastillée à la Fabrice selon Stendhal. À Parme ou en
Espagne, l’essentiel s’avère, malgré la misère, esquissée sans une once de
misérabilisme, d’essayer d’être heureux, joyeux, de se satisfaire de la
richesse des sentiments, des élans, de refuser les serviteurs, leur mépris,
d’en rire et de conjurer le pire. Entourée par un casting choral impeccable, salutations spéciales à Mathilde Comont
& Irene Rich, Holbrook Brinn & George Walsh, dont le frère Raoul
co-dirigerait uncredited, accompagnée
par les notes ad hoc de Louis F. Gottschalk et la musicologue Gillian Anderson, l’estimable
Mary pousse sa rengaine, se démène, devient presque tragédienne, tandis que la
sous-titreuse Marion Castrec transpose en français, avec habileté, les lyrics satiriques. Asservi à la vraie
vie nervalienne, chacun dînera au côté de la Mort, de quoi vous couper
l’appétit, troisième couvert compris, et la Révolution n’adviendra pas de notre
vivant, la révolte se dévalorise en camelote, cependant, pour l’instant,
savourons le présent, son reflet au/de ciné. Drôle, élégant, tendre et
trépidant, Rosita représente à sa manière modeste et stimulante une part appréciable
du cinéma, qui ne se la joue pas, qui dialectise sans « prise de tête »
le jeu des apparences suspectes, qui divertit débarrassée du moindre soupçon de
vulgarité, de vacuité. On peut certes (lui) préférer des plaisirs bien plus corsés,
remplis d’obscurité, ceci ne saurait constituer une raison suffisante afin de
décider de ne point visiter l’ouvrage euphorisant, jadis à succès mérité, néanmoins
détesté par l’actrice/productrice, du volatile-subtil Lubitsch, exilé vraiment volontaire
et cinéaste assez nécessaire.
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