Arctic : Les Survivants


Du comportementalisme vers l’existentialisme, de l’enfer vers le frère…


Isolation is not good for me

Fools Garden

En Islande, un Brésilien et un Danois se rencontrent, ensuite se retrouvent à Cannes : Arctic (2018) ou une certaine idée du ciné cosmopolite, presque économique. Escorté du co-scénariste et monteur Ryan Morrison, Joe Penna ne prit pas froid, fit un (premier) film qui fait froid (dans le dos). Durant une heure et demie, Mads Mikkelsen se démène au milieu de la neige, prisonnier résistant, résilient, d’un no man’s land aux allures de piège pétrifié. Tombé du ciel tel Icare, il ressemble aussi à Robinson Crusoé, même si, cette fois-ci, Vendredi change de sexe, se transforme en passagère des airs, en mère muette, en épouse rescapée, blessée, d’un autre crash aérien, à sauver, à transporter. Le survivant, par conséquent, ne se contente pas de démontrer un stoïcisme surhumain, il montre en sus une tendance à l’altruisme, il évolue parmi le vide, sur le chemin de l’héroïsme. En chemin, il croise un hélicoptère poussé à terre, espoir explosé, un ours maousse affamé, jusqu’à fourrer sa gueule à travers le trou du terrier improvisé, glacé, puis des secouristes en tenue orange, anges (gardiens) hors d’atteinte, fi de la fusée de détresse, du manteau sacrifié, allumé. Au terme de l’odyssée solitaire, à l’instar de Tristan & Yseut, le couple improbable, impossible, esseulé, semble s’endormir du grand sommeil éternel, sur le lit des neiges homonymes, avant que l’hélico ne réapparaisse in extremis à gauche du cadre en widescreen, machine divine, providentielle, de deus ex machina occasionnel. Ce survival de renaissance, remarquez la crevasse insoupçonnée de mollet amoché, crypte utérine permettant une extraction d’adulte nourrisson, se termine magnanime, se suit idem, possède une solidité d'exécution et une vraisemblance de situation estimables.


Certes, personne ne saurait confondre le guitariste/cinéaste impersonnel avec le John Carpenter apocalyptique de The Thing (1982), similaire et différencié réalisateur musicien. Bien sûr, l’issue positive ne suscite point la surprise, la ténacité du personnage anonyme, à peine identifié par une étiquette suspecte, du colosse taciturne, attentionné, suffisent à nous renseigner sur son destin, sur la mésaventure finissant bien. Néanmoins le modeste Arctic arbore un acteur majeur, la co-productrice Martha De Laurentiis, déjà partenaire sur Hannibal, ne me démentira pas. Ici, Mads Mikkelsen se surpasse, réduit à zéro tous les pénibles super-héros, doit articuler, en tout, une petite trentaine de mots. Mais tout son corps nous parle, parle pour lui, chacun de ses gestes exprime l’essentiel, l’évidence. Qu’il trace sous la glace un sombre SOS, se nourrisse de poisson cru, se couche habillé, un orteil amputé, se bourre de bouffe en boîte, frissonne de plaisir au feu miséricordieux ; qu’il fasse manger son invitée vannée, la fasse boire, la maintienne en vie, hors du désespoir ; qu’il traîne son traîneau comme Sisyphe son rocher, dents serrées, « ça va aller, ça va aller », qu’il paraisse sur le point de craquer, de rendre les armes, de fondre en larmes, en écho à la banquise désormais en sursis, le Scandinave anglophone, aphone, sidère et bouleverse, force l’admiration par sa force fragile, sa quête incessante d’un abri, d’une délivrance. Grâce à lui, l’exercice réussi, limité, de cartographie en territoire très hostile, prend une dimension existentielle, religieuse, quasi christique, nul hasard, alors, s’il rappelle, de façon physique, l’iconique Andreï Roublev d’Andreï Tarkovski (1969).


Au sein de l’écrin immaculé du sage métrage, Mads Mikkelsen livre au quotidien un combat contre les circonstances, l’errance, l’épuisement, le désistement, l’adversité, l’absurdité. Mads risque de devenir mad, la réfrigération favorise la folie, une femme s’affirme en flamme, réchauffe le cœur, redonne un sens à la survivance stérile, sinon militaire. La sauver revient à se sauver soi-même, au propre, au figuré, ne se réduit aux enfantillages de la dite demoiselle en détresse, rédimée par une invincible masculinité. Cet homme sans passé, sans avenir, rivé à l’horizon du pire, pareil à la Créature de Victor Frankenstein à cause de son exil polaire, doit son salut à une sorte de fiancée silencieuse, éloquente lorsqu’elle serre sa main, pose dessus la sienne. La fable humanitaire se métamorphose ainsi en parabole laïque sur l’humain, l’humanité, en film d’amour pudique et poignant. Placé à l’épicentre de la désespérance, de l’isolement, de la violence indifférente des menacés, menaçants éléments, le protagoniste refuse d’agoniser, de se laisser aller, s’obstine à marcher, à escalader, à soigner, à inventer des astuces, des ruses, quitte à rire, ironique, d’un trésor de pragmatisme aperçu en retard, cf. la luge allusive, développée, supra. Le quidam magnifique ne mérite de mourir. Que son vaste visage remarquable, mémorable, reçoive maintenant mes remerciements reconnaissants.


Commentaires

  1. Merci pour ce vibrant billet en forme de très bel hommage rien que moins glacial
    pour un film apprécié pour le jeu majeur de l'acteur admirable au delà de sa belle gueule, être un homme digne de ce nom jusqu'au bout... la beauté des images "spaciales" et la musique ensorcelante de Joseph Trapanese
    https://www.youtube.com/watch?v=JumgZSIxlsY&list=PLohYzz4btpaRC2ui1jOQ4InAdK0-zpxm7&index=2

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    Réponses
    1. https://www.youtube.com/watch?v=DYqu7ejXaZg
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/12/oblivion-delta-force.html

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