L’Empire de la joie : Manifeste pour un nouveau cinéma


Exercice d’écriture gnomique, les « amis » (ou ennemis, plus fiables et donc préférables, dirait Pialat)…

1

La pudeur la plus pure apparaît dans la pornographie.

Le cinéma, art fantomatique et funéraire, doit disposer du corps – peau humaine, chair naturelle – en matière première, en matériau majeur, en combustible essentiel.

Tous les membres du gang bang applaudissent la « performeuse » au terme de sa scène qui, souriante, s’en va se doucher – nous voici entre gens de bonne compagnie, oui.

L’amélioration du genre humain, sensibiliser à la « protection de l’environnement », faire passer au public, « sans prétention », un « bon moment » : foutaises sentimentales à fuir aussitôt.

Le cinéma devrait se contrefoutre du solidaire « horizon d’attente », de l’égalité (s’aligner sur les lobbies), de la fraternité (abus de langage pour « grenouille de bénitier »).   

Il nous séduirait à vouloir faire passer un « mauvais quart d’heure » à ceux qui pénètrent au tombeau, trop fébriles pour se coltiner la « réalité », la remodeler, la violer.

À parcourir certaines critiques écrites au goupillon vient une envie d’acide sulfurique.

Qui ne ressent l’exécration dans son sang ne peut atteindre la célébration.

Tout nous invite à la mesure, à la raison, à la distance, à l’effusion, « à consommer avec modération », à renoncer sans remords, à se conformer aux détestables modèles.

Tu iras voir cela et rien d’autre, tu en parleras à la suite des autres, tu en rêveras la nuit, tu l’oublieras dans un mois, tu remercieras pour les crachats printaniers.

Le cinéma comme art réaliste, art du réel, jusques et y compris dans l’artifice le plus délié, dans les trucages liminaires de Méliès ou Lucas en mode analogique.

Franchissement de la frontière ontologique avec le numérique : adieu à la mimesis et bonjour à la praxis du programme, du logiciel, des infinis possibles équivalant à leur néant.

Le cinéma peut désormais tout (faire) et il se contente de l’infime, se réduit à une pauvre méthodologie, une inoffensive nécrophilie, un lac désespérément calme.

L’aimable Mao, affameur notoire et tyran metteur en scène (pléonasme), n’assimilait certainement pas la révolution à un repas de gala.

Quant à nous, on préfère ceux de Molotov aux cocktails subventionnés des parties perpétrées par et pour les VRP de la (cacochyme) « grande famille du cinéma français ».

Se détester, sport national, mais ils le valent bien, tous autant qu’ils nous saoulent, avec leurs projets, leur « actualité », leur visage de commis-voyageur.

Couper le son, figer l’image, comparer les chaînes « zappées » – apparaissent alors le revers hideux, le mécanisme du vide, la matrice immanente.

Valeur documentaire du cinéma et fictionnalité du reportage, de l’enquête.

Documentation d’un tournage, d’une décennie, d’un érotisme collectif.

Enregistrement d’un éphémère, papillon pensif, existentiel, soupçonnant son humanité asiatique miroitée.

On ne rêve pas au cinéma, on y garde les yeux ouverts (ou fermés en grand), on songe dans la « vraie vie », ce fatras de mensonges, cette pellicule voilée, vite envolée.

Magnificence d’une endoscopie, merveille patricienne d’une échographie, cérémonial religieux d’une opération chirurgicale filmée, accomplie par caméra interposée.

Que le cinéma s’empare de cela (pas sur le ton ludique d’un Fleischer ou d’un Dante).

Qu’il apprivoise cette réalité innée, congénitalement liée à celle de l’esprit, qu’il s’encanaille à explorer les canaux de l’anatomie, qu’il capte des ondes cérébrales.

Ne me touche pas, implorait le Christ à Marie-Madeleine, sa chair encore corrompue par son séjour terrestre et sa fin (en fosse) commune, la nôtre au prochain soupir.

Ce puritanisme général, dissimulé sous le masque mercantile, impératif, de la licence, de la jouissance, de l’érotisation de la transaction (ou « spoliation » ?), on le devine, va.

Mieux : on l’accueille à contrecœur, on lui réserve une chaise (un fauteuil, un strapontin) à demeure, face au foyer éteint, on lui offre « le gîte et le couvert ».

Tout ce qui nous révulse, nous atterre, nous outrage, au cinéma et en dehors, nous y participons corps et âme.

La face recouverte de sperme de l’actrice, de sang de la victime d’attentat, de cambouis de l’ouvrier, de sueur de l’hospitalisé, chacune nous parle et nous alarme.

Dreyer, l’amoureux des visages, ne racontait rien, il cadrait un mystère.

Hitchcock ou le défi de tourner un film dans une cabine téléphonique (Larry Cohen y écrivit deux scénarios), avec ou sans oiseaux – et celui de filmer le visage (Andy, au lit) ?

Un art figuratif, le « septième » ? Nul ne le niera (pas moi) mais capable d’abstraction, de reformuler l’émotion méta d’un Nicolas (de Staël), de Pollock, de Soulages.

L’érosion picturale et sculpturale (musicale avec le dodécaphonisme) de la figure (référent polysémique) au vingtième siècle n’abolit pas l’émotion, elle la réoriente.    

Réfléchissez une seconde aux puissances sonores, à l’alchimie méconnue des textures, des tessitures, des armatures aériennes.    

Chanter avec une artiste lyrique, écouter la litanie des cris de l’amante, redécouvrir le grain du monde un Nagra en bandoulière.

Prendre au vol des sons dans l’obscurité, entendre leur explosion complotiste, admirer les arbres vivants de David Lynch à Twin Peaks.

Frisson romantique d’un orage d’été, d’un épisode dit cévenol, accordé à la bouleversante et radieuse tachycardie d’une femme qui jouit.     

2

Cinéphilie : maladie bénigne de grands enfants impuissants, passifs, graphomanes, rêveurs, bretteurs, conservateurs.

La filmographie de Luc Besson surpasse toutes les justes critiques par sa seule présence.

Un cinéaste n’explique pas, il filme.

Ce qui survient dans le sillage de l’œuvre s’apparente au mieux à sa traduction, sa recréation, au pire à la paraphrase, au parasitisme, au commentaire.

On aime encore trop le cinéma pour apprécier la cinéphilie.

Un prodigieux tas d’ordures verbales et (télé)visuelles recouvre le « grand » écran.

Dérision des « communautés », des « conventions », des « groupes », des associations, des « niches », des « spécialistes », de la « culture de masse », de l’élitisme.      

Certains supplient pour intégrer un ersatz de famille, cultivent leur instinct grégaire, publient « en ligne » comme si leur (notre) misérable avis pouvait passionner autrui. 

Désolant  besoin d’approbation, de reconnaissance, de « partage » ripoliné à la mode du dogme laïque, à l’heure de l’incitation numérique.

Écœurant œcuménisme à base d’arrogance, d’insulte, d’interdiction, d’immersion.

Autrefois s’exprimait une volonté d’héritage, de découverte, de réflexion, de remise en cause/question, de l’élargissement du cinéma à tous les secteurs de la « vie sociale ».

Maintenant règnent le tribalisme, l’atomisation favorisée, recommandée, par les puissances de « réaction » recyclant la moindre esquisse d’opposition, de discours alternatif.

Une modification radicale des formes esthétiques entraîne celle des consciences-existences qui les trament, les arment, les perçoivent et les reçoivent.

La nostalgie en réponse stérile, puérile, à la paranoïa (parfois pertinente), en excroissance d’adolescence liée au « repliement sur soi ».     

Au nom de quoi persister à écrire et à survivre de la sorte ? Du salaire (de misère) ?

Du dilettantisme (une poignée minutée pour créer son blog, éditer son site, se réinventer « critique de cinéma ») ?

De l’égocentrisme (lisez-moi, aimez-moi, partagez-moi, référencez-moi) ?

De la peur panique de perdre ses « privilèges », ses « acquis », ses « droits » ?

Sauvegarder à tout prix la baguette, le ballon, le soleil, les manifestations, le BR, la VOD, la grivoiserie, les jérémiades, le tourisme passéiste, la romance polymorphe.

Vive la France et l’avance sur recettes, après nous le déluge et sous les pavés la plage (l)étale de l’anormale « normalité », présidentielle ou pas.

Dans les années 60, les critiques devenaient cinéastes ; depuis les années 2000, les « réalisateurs » se déguisent en rédacteurs, en « experts » de la « blogosphère ». 

La « littératie » nous envahit, nous modifie, nous fait muer en accéléré, « réagir », « rejoindre », « échanger », prescrire, maudire, contracter des « amitiés ».

Inventorier ses soucis, mesurer son pénis ou le diamètre de son anus, citer Proust à la virgule près puis « mater » une excitante petite « tassepé » sur des rythmes électroniques.

En 2016, la consultation, la détention et la diffusion de matériel pédopornographique relève du pénal.

Confusion entre l’acte, criminel, et l’artefact, ignoble, n’interrogeant personne, à l’exception d’un Cronenberg naguère.

La doxa sociétale, institutionnelle et judiciaire, notoirement immaculée, garantit à peu de frais la « dignité humaine », le « respect des personnes ».

Elle semble bien moins loquace, moins à l’aise, à propos des violences familiales ou de « l’exploitation », professionnelle et sexuelle, des enfants « à l’étranger ».  

La « police des images » (et de la pensée), sereine et orwellienne, légitime et problématique,  nous « surveille » et nous « protège » (de nous-mêmes).

Le recrutement terroriste prospère, la haine essaime, la dramaturgie catastrophe ou martiale hollywoodienne inspire les signataires de clips hyperboliques, emphatiques.

Il s’agit d’abreuver, convertir (à la « guerre sainte ») le quidam international recuit dans son ressassement, son « sentiment d’humiliation », ses « blessures narcissiques ».     

Du travail, encore du travail, toujours du travail, quitte à finir aussi cinglé que Jack dans l’hôtel de King et Kubrick (pas exactement le même).

Au risque de se sentir une machine à écrire « pissant de la copie » plus ou moins précieuse, histoire de ne pas saisir un lance-flammes et d’œuvrer à un bel autodafé.

Milliards de mots, inextinguibles insectes rampant sous ma peau (pas vrai, Ashley ?).

L’étrange et vain voyage va vite, il se terminera bientôt, ne perdons pas un seul instant en gémonies, anathèmes, « perverse » manière de dire « je t’aime ».    

Écrire sur le cinéma, écrire pour toi, cher et abominable lecteur, donner à lire ce qu’il expire et « transpire », revient (ne reviendrait qu’à cela ?) à écrire sur soi.

On écrit au présent et au passé (double temporalité des plans) : l’avouer ne justifie aucun onanisme, se borne à « faire le point » sur une individuation mouvante à conserver.                   

3

Au cinéma (et pas uniquement), tisser la sensation au sens, l’expérience au récit, le temps au mouvement, l’écho à la structure.

L’existence ne possède aucune signification – pourquoi l’art s’en soucierait-il ?

Ne jamais (se) consoler de l’absurdité du monde ni de soi-même.

Toujours et partout du signifiant intégralement dépourvu de signifié (Michel Chion).

Du lyrisme plutôt que de l’intrigue, de la beauté au lieu d’un développement, de la poésie à la place de la prose, de la musique et non du roman (Stan spatial en 2001).  

Le « roman policier » peut donner ou revendiquer l’illusion d’ordonner le chaos, mais un artiste ne saurait se confondre avec un géomètre ou un « gardien de l’ordre ».

Ni avec un fabricant de signification, produit de consommation vendu/acheté, via la religion, la philosophie, le sentiment d’appartenance nationale, la politique (David consumé). 

« La marquise sortit à cinq heures » ; et se fit sodomiser à son retour, s’accordant un rageur « cinq à sept » pour « faire la nique » à cette façon faussement factuelle d’écrire. 

Ils veulent qu’on leur raconte une histoire, dans les films, dans les livres, ils ne grandissent pas, ne guérissent pas d’avoir perdu la voix maternelle, au chevet, le soir.

Tout un univers s’ouvrait à l’enfant s’appropriant les mots et cependant il semble désormais bien petit, limité, embourgeoisé, à l’adulte avide d’un anywhere out of the world

Désirer de « vrais gens » (Cassavetes) et non des personnages, atteindre des allégories (nature « médiévale » du « septième art ») et non des types (sociologiques).

Chérir l’obscur, la fragilité, les failles et non plus ingurgiter le fascisme infantile des super-héros étasuniens.

Vomir la complicité, la paresse, les recettes (diégétiques, économiques), les manuels, l’enseignement, les synopsis, les pitches, les arguments, les résumés.

Savoir que le scénario s’apparente à une carte, que le territoire « accidenté » du tournage reste heureusement à explorer, contre l’alibi de l’ennui hitchcockien.

De l’extrême littérarité des dialogues peut sourdre une vie sauvage (cf. l’intensité janséniste de Cocteau & Bresson au bois de Boulogne).

De l’excès lexical peut naître une capture de la temporalité de la parole, du silence, de l’espace, de l’échange, de la rue au-dehors dans sa langue anarchique et organisée.

À défaut de la modifier (démocratie mensongère du bulletin de vote, rassurante et risible mystique républicaine), regarder la « réalité » droit dans les yeux, aveuglément.

Le réel comme simple consensus fictionnel.

Mentir vingt-quatre images par seconde tendues vers une vérité certaine, c’est-à-dire irrécupérable dans sa subjectivité assumée.

On apprend à lire avant d’écrire – il conviendrait de transmettre une mémoire couplée à une « phénoménologie de la perception », intra et extra cinématographique.

Le « cahier des charges » de la fiction conforte et réconforte les spectateurs.  

« Portrait à charge » du « système » ploutocrate, « l’étalon » « décharge » dans la bouche ouverte/offerte de la « hardeuse » salariée, (é)preuve ontologique d’authenticité.

On sait « à quoi s’attendre », on marche « en terrain connu », on devine la fin avant le milieu et dès le début.

On « rend les armes » de l’imagination (commodité de ne pas les prendre « pour de vrai »), de l’exigence, de la dissidence.

Qu’il nous agrée de pénétrer le sanctuaire sucré de la salle, pénétrés du plaisir à venir, prémâché par le paratexte (ou le matraquage) afférent en amont.

On aime à retrouver « l’univers » d’un « auteur », à égrener (chapelet de l’exégèse critique) ses « thèmes », ses « obsessions », ses figures de style, ses « clins d’œil ».

Œdipe, d’en avoir trop vu, se crevait les siens à dessein.

Clés sémantiques d’une idiosyncrasie, à faire tourner, très rouillées, en ouvrant la porte aux âneries de perroquet.

Le film se déshabille « au premier coup d’œil », les « langues se délient » des mois avant la sortie, sur tous les supports possibles.

Frappe massive préparant le terrain, tenant la main pour conduire gentiment à la salle suréclairée (au bloc opératoire de la lobotomie).

Ne pas réfléchir, obéir, ne pas s’aventurer (se perdre parmi les rochers maritimes, à l’instar de la signora Massari) hors des sentiers rebattus.

Suivre les rails du travelling, de la « construction dramatique » (en effet, à pleurer de rage), de la morale (les petits enfants aux cheveux blancs prisent les édifiantes moralités).

S’écharper au sujet d’une subversion de salon, s’exciter sur un scandale de cathédrale.

Cette manie du récit « à la première personne » (in my own words, locution de propriétaire naïf, faisait sourire Bill Burroughs, manieur de fusil et de paire de ciseaux).

Cette insanité de la description omnisciente en « focalisation externe ».

Elles dénotent in fine une nécessité de signifier son parcours, mon amour, de conférer une chronologie, une direction, une « lecture » (ah, le baume du « message »).

Alors que nous disposons d’un tissu à deux sous, d’une camelote classée métaphysique, d’une succession d’états enclins à l’entropie : naître, paraître, disparaître.

L’art nous berce, nous raconte (à nous-mêmes), délocalise la douleur – et alors ? 

4

L’horreur nous sied mieux encore que le deuil à Électre (Eugene O'Neill).

Nous vivons en elle et avec un peu d’adresse, de courage, de franchise, nous la sentons vivre en nous, remuer en claire assurance de notre mortalité.

Le faisceau quantique du projecteur fore la nuit (américaine) de la salle et surtout les immenses ténèbres de l’âme profane, bienheureuse d’être privée de transcendance.   

Avec autant d’abysses surgissent l’envie et le pouvoir de relever la tête en quête d’une lumière proprement intérieure.

Un art qui ne s’exerce contre l’insupportable du monde, de la mort, du corps, de l’esprit, du langage, ne guerroie contre lui-même, ne nous intéresse pas.  

La célébration inséparable de la révolution, l’orgasme à l’unisson du sarcasme, l’analyse constituée en partie de sa réflexivité.

Se savoir écrire, ne pas faire comme si on l’ignorait, on jouait à l’objectivité.

Petite satisfaction de petits plaisirs au sein de petites (en)vies – un « petit café », une « petite amie », un « petit nid » (douillet), un « bon petit plat » ou film.

Assomption pyramidale du bonheur, métastases des feel good movies.

Contradiction interne/quotidienne de l’hygiénisme-pathologie, du divertissement-angoisse, de la « prise en charge »-déréliction.   

Se méfier de surcroît de la « pureté », de l’absolu, de l’extase (en cachet ou dans les couvents) : le nazisme (l’ensemble des idéologies brunes, rouges, vertes) itou se voulait tel.

Passeport aryen vers le Grand Rien, promesse fumeuse des fumées nauséabondes, délire livresque « diaboliquement » réalisé.

Une parenthèse de folie raisonnée, programmatique, industrielle, locale et internationale. 

Le cinéma moderne ne naît pas avec la Seconde Guerre mondiale, même s’il en porte l’ineffaçable cicatrice.

Le « cinéma moderne » – binarité manichéenne du raisonnement, séparation superficielle d’avec un insaisissable classicisme, discutable dénomination d’écolier.

Il parviendrait au même point que la littérature, après sept siècles de mûrissement (ou pourrissement) renversés par la querelle hugolienne (et le romantisme allemand).

Soixante ans avant l’errance de Marcello, l’essoufflement de Belmondo, le spleen de Monica, la  douche de Janet, la caméra-épée de Carl, le masque d’Édith, fétiches intuitifs.

Une nouvelle expressivité, certes, un nouveau « langage », à considérer le cinéma sous cet « angle », une manière singulière de filmer, de témoigner, d’imaginer.

Altérité, rupture plus ou moins affirmée avec ce qui précède (le cinéma, « art impur », mécanique et organique, mute ou tombe en poussière).

Pourtant, une modernité à identifier ailleurs, dans le spectacle frontal de l’écoulement du temps, du sang, dans la stase des épisodes.

Suprême sidération de la narration de facto contaminée de l’intérieur, à peine conservée en carcasse commerciale, en bienséance fictive.

Vieillesse de la violence et sa jeunesse transposée dans une durée itérative, évidée, éloignée du temps mythique du muet.

Un royaume tacite bruissant de sons d’accompagnement, de paroles écrites, de notes du répertoire (classique), de monstres, déjà.

Bossu, fantôme de l’opéra, sorcières à travers les âges, robot anthropomorphe en présage des poupées dérangeantes de Bellmer, à baiser par la torture.

Le X contemporain en retrouvera la voie, l’émoi, dans le motif de la soumission et la dilatation relative, normée, des minutes, des orifices.

L’horreur de Shakespeare à Inverness, celle de Conrad au cœur des ténèbres africaines, éclairent le cinéma d’un jour cru et cruel.

Prémices, modifications de l’art des images mortes ranimées par la projection (quasiment au sens interprétatif, psychanalytique, du terme).

Quand il traite d’un portrait ovale vampirisant son modèle amoureux, Poe ne parle pas (que) de peinture.

Il annonce avec une précision prophétique le principal processus du cinéma.

Une machine à découdre, à découper la robe de la réalité, à dévitaliser les corps irradiés, tout sauf immunisés par une persona, à momifier le mouvement vivant (Bazin).

Au cinéma, les contraires s’attirent et s’épousent, miroitent à la surface plane et profonde de la toile (son exil sur les « fenêtres » domestiques du visionnage informatique).

Coupure/dialectique, lenteur/brièveté, distance/proximité, épiphanie/hors-champ, évidence/mystère, immortalité/dépérissement.

Art mortifère tourné vers la vie, le cinéma révèle ce qui nous excède, nous condamne à la liberté (existentialisme devant, derrière et au-delà de la caméra).

Il nous montre comment élaborer une beauté plurielle à partir de la banalité d’une condition de l’espèce, de sa trivialité tragique, de sa « laideur » intrinsèque.

Un miroir de spectres, un truc de fête foraine, un tour sur le Grand huit en huis clos, un train fantôme lancé (au visage) à La Ciotat, un rappel mortel.

Une caverne confortable et climatisée, un utérus en velours, une antiquité, une incongruité.

Une anecdote utile pour se branler le cerveau, s’invectiver sur les réseaux, s’abîmer l’iris, débattre à la « fac », un eczéma français, une entreprise planétaire. 

Qu’adviennent davantage d’opus violents, enragés, impitoyables, d’une pensée cristalline.

Que les films, en flocons de neige (cartésiens, qui sait) méconnaissant la similitude, apôtres de la Gestalt à configuration/usage unique, tombent, légers, sur les rétines.

Qu’ils incisent avec douceur les globes (les cœurs) au fil coupant d’un nuage supposé surréaliste.

Qu’enfin le cinéma s’adresse au spectateur en adulte, lui donne à voir son invisible.

5

L’esthétique s’avère soudée à la politique, à l’économie, l’art individuel (voire officiel) respire (ou s’étouffe) à l’intérieur d’un contexte de société.

A fortiori le cinéma, pratique collective soumise à un environnement étatique et capitaliste, artistique et financier, incestueux et populaire.   

Les « conditions de production » – double acception – s’allient à la psyché personnelle, chacun à la fois produit et producteur de son ciel intime et des cieux publics. 

Nul espéranto des plans puisque leur appréhension diffère suivant la géographie, le substrat, le sexe, les mœurs, l’éducation (aux images), la biographie, l’intelligence.    

Les « travailleurs pauvres », « précaires », laminés par leur labeur, abrutis par les traversées infernales (banlieusardes) des transports en commun, ne vont pas au cinéma.

Ils ne se payent pas un billet en moyenne à dix euros (pourquoi pas quinze ou vingt ?), ne théorisent pas la révolution.

Les inquiets de nature peuvent se rassurer, dormir sur les deux oreilles sourdes : ils n’aviseront pendant cette génération aucune barricade.

Le « film d’art », minuscule chimère hilarante de snobisme, de panthéisme publicitaire, d’auteurisme de festivals sécurisés, la « populace » en retrait priée d’approuver.

Penser le cinéma (repenser l’art des films) nécessite du temps, de l’énergie, du goût, une provisoire tranquillité, luxes de « cols blancs », d’insomniaques de la « lumière bleue ».

Que savent les mains exemptes de cals d’une telle « intériorité », d’un paysage mental dédaigné, souvent ignoré des cinématographies ?

Mélanine, « origine », foi, classe, vocabulaire véhémentement absents, hors des caricatures « politiquement correctes », des raccourcis rassis.

Le « manque de représentation » de minorités non plus mineures participe (et démontre) d’un détournement conscient de l’axe de prise de vues.

Tabous du « quartier », du « genre », de la réception médiatique, de la confrontation, du dévoilement, refus de la métaphore, de l’écart figuratif, de la « belle infidèle ».

Tout un ensemble vaste et faste de réalités majoritaires pareillement interdites de « représentativité ».

Le cinéma (hexagonal) dit social entravé par son naturalisme de convention, avec ses nantis ou ses parvenus incarnant obscènement des « indigents » ou des « indigènes ».

Le recours inlassable à une psychologie, une dramaturgie, un ramassis de péripéties obsolètes dès la fin du dix-neuvième siècle, à l’époque de la « naissance » du cinéma.

Son instrumentalisation en art réactionnaire, en outil rentable (gare au jeu vidéo) du maintien de l’ordre scopique, politique, psychique.

La TV et la Toile se chargent de verrouiller le maillage spectaculaire, de circonvenir la « résistance » dans son rôle amolli, en laisse à sa place.  

Raconter (comme cela, pas autrement) pour éviter de montrer (le caractère factice du gigantesque édifice), de susciter des hypothèses divergentes dans le script du réel.

Imposer, « en accord avec les intéressés », un modèle unique d’expression, un monopole mécaniste, quand ne devraient émerger que des prototypes.

Rechercher un compromis entre une identité nominative et la réglementation, effective et symbolique, d’un marché.

Totalitarisme consumériste chantre des « différences », rétif au chant véritablement différent, non reproduit, préhistorique, dangereux dans sa grâce marginale (Pasolini).

Le doigt et la Lune par Bruce Lee ou la parallaxe de Warren Beatty – les arts martiaux ou ceux de « l’arène vidéo » (l’ADN du cinéma fusionne avec l’avatar binaire).

Mettre en place un apprentissage du regard, une démystification du storytelling ambiant, permanent, éreintant (les lunettes noires pour y voir clair de Carpenter).  

Partir du point A pour rejoindre le point C en passant par le point B – on peut aussi éprouver le dévorant appétit de brûler les étapes, et l’itinéraire, et la trajectoire.

De ne laisser dans l’espace ou la mémoire que la trace d’un surgissement fugace, d’un évanouissement visible, d’une lumineuse disparition.

Apprendre à désapprendre, à s’incendier, à ne pas suivre les moutons de Dramaturge, à les envoyer (paître) se faire tondre ailleurs, à respirer dans un cuir plus dur.

Se débarrasser des compresses oppressantes, des rustines du sentiment, de la certitude, de la resucée.

Mille possibles existent, une infinité de regards, de compositions, de liens inattendus, non soumis à la sémiologie.

Il faudrait néanmoins se rhabiller dans les vêtements usés d’autrui.

Donneurs de leçons, censeurs paranoïaques, « gardiens du bon goût », contempteurs de « l’art contemporain », professeurs de rhétorique, prêtres du commentaire (dé)composé.

Ah, les adorateurs « humanistes » (Auschwitz, connais pas) de formes anciennes qu’ils estiment intemporelles.

De la beauté à toute heure, sous toutes les latitudes, dans toutes les langues, les aphasies, là où l’on ne l’attend pas, là où l’on craint d’aller la rencontrer, de même y penser.

Réservons l’épreuve de philosophie aux baccalauréats général et technologique, des fois qu’il viendrait la mauvaise idée de gamberger, se révolter, aux prolétaires « en herbe ».

De « l’abject », cela ne nous inquiète, cela nous questionne, nous regarde en miroir, cela s’intègre dans notre redéfinition de l’esthétique, du politique, du sexuel, de l’existentiel.

Combien de temps encore allez-vous endurer que l’on vous refourgue les mêmes indigestes « salades », que l’on vous invite au banquet pour vous cantonner aux miettes ?

On nous ressert trois fois par jour, en continu, sur l’ensemble des écrans, des médias, des « relations », la même soupe hideuse, méprisante et méprisable.

Brouet d’éternité à vomir, à dégueuler le soir dans son lit de douleurs, déjà recouvert d’un suaire, solitaire ou à plusieurs.     

6

Des propositions (maïeutique de la discussion) ! Des doléances (vulgate révolutionnaire) ! Des solutions (pragmatisme pressant) !

Une fois le diagnostic posé, le cadre peint, que recommandez-vous ? Quel « nouveau cinéma » préconisez-vous ?

Renvoyons (aimablement) les amnésiques et les débutants aux articles précédents, corpus de perspectives, de correspondances, de « jugements » et de « réflexions ».

Ce blog cartographie une habitude, une finitude, une hébétude croissante (l’aile baudelairienne de l’imbécillité nous ventile également).

Notre credo, traquez-le dans nos mots, nos retraites à l’écart de la page (saute, Kate !).

Un flot continu, inexorable, d’âneries, de diamants, d’apesanteur, d’excréments, de couardise, de personnalité, de contrôle, de liberté(s).

Zone virtuelle de la formulation du commerce, du sexe, du narcissisme, de la solitude et de la cinéphilie « établie » d’aujourd’hui.

Ainsi va ta vie, ainsi vivent les hommes et les femmes autour de toi, ne le vois-tu pas ? 

Le cinéma « de demain » – l’à venir d’un art peut-être sans avenir, sans larmes ni repentir – existe hic et nunc, mais reste à définir, anticiper, trahir, redouter.

Ce type de texte à lire (s’en servir) aux toilettes.

Avouer une sympathie (pour le Diable) envers les manifestations (de foules, d’esprits) et un dédain des manifestes, des évangiles, des modes d’emploi.

Si vous ignorez encore le monde en porcherie (Hitch, Pier Paolo & Morrissey), si vous mésestimez l’impact balistique du cinéma, on ne peut plus rien pour vous.

Ne comptez pas sur nous pour jouer au guide, au gourou, au prédicateur (de malheur).       

Manifestez-vous à nous, apparaissez à notre voix, empruntez la voie étroite de l’expérimentation, de la liberté, de la terreur, de la maturité.

On parle trop du cinéma, on n’en fait pas assez (du « vrai »), on le dénature en amateur, en ignare, on s’en sert comme papier peint pour nos masures mentales.

Le nombre et la médiocrité des sorties du mercredi constitue un plaidoyer pour l’eugénisme esthétique.

Trop de bandes à débander, de « tranches de vie » substituées aux parts de gâteau (une caste tout sauf iconoclaste s’en goinfre, merci pour elle), « au grand dam » d’Alfred.

Personne ne confond l’art avec la vie, hors les psychotiques, les mystiques, les romantiques, mais pourquoi cet effroi à injecter l’un dans l’autre et inversement ?

Le valet serviable avec son clap, qu’il aille un peu voir au désert que l’on ne s’y trouve point – le flux du cinéma ne se chronomètre pas, ne s’encadre plus, épouse le flot du temps.

Les marques à la craie au sol du studio, marelle pour marmots attardés, policés, bien dressés à la cravache et à la botte du réalisateur-roi solaire ombrageux, qu’elles s’effacent.   

Refaire la même prise jusqu’à la nausée, aux prises avec le trac, l’amateurisme, la tension, le rire fou, laissez cela à ce démiurge drolatique, un brin sadique, de Stanley K. 

Optons pour l’océan au large (au détriment) des vagues « nouvelles », séniles, radoteuses, obséquieuses.

Le mélodrame comme forme acérée de « critique sociale ».

Au temps du cynisme, du second degré, de la prudence, pleurer, jouir, saigner à volonté, rompre sans crainte la digue des tacites didascalies antiques.

Viens, petit Chaperon écarlate, que le loup et sa compagnie te révèlent à toi-même.

Dans une société apeurée, croyante, battue d’avance, le cinéma se doit de faire peur, douter, provoquer le combat.

Importance des marges, séduction de la répulsion, heuristique de la sauvagerie (pas celle des milieux syndiqués) : Stewart le fouineur nous irrite, Burr le tueur nous émeut.

Mille et une merveilles à transmettre au bourreau spéculaire pour sauver sa peau.

Millions de mirages en paysages révélateurs (au bain de l’agrandissement abstrait, anglais), en voyages immobiles, en vérités avérées par les artères.

Si le cinéma venait à disparaître, on baiserait dans le cimetière (Rupert opine).

Les enchaînés (baiser à trois bouches et caméra solo) de Platon, enfin délivrés, ne prennent plus la proie pour l’ombre ; ils s’apprêtent à envahir notre aube, oiseaux de proie.

Tels les motards de Fellini perforant Rome, les zombies de Romero sis à Pittsburgh.

Hordes polymorphes de démons familiers, mille fois plus fréquentables que les petits saints malsains de la consommation, de la communication, de la communion.

Crève, cinéma, ose ta renaissance à l’exemple de la salamandre, bel animal héraldique et occulte vibrant au cœur du brasier.

Nous n’en pouvons plus de cette chape de tiédeur, nous réclamons illico de l’ardeur.

Quand nous utilisons ce pronom holistique, nous incitons le lecteur à cesser de lire.

Faites vos films, arrêtez de faire votre cinéma, allez filmer les asiles, les hôpitaux, les prisons, les refuges, les arcanes d’une société malade (d’elle-même), myope, condamnée.

Cédez volontiers les étoiles aux piètres poètes, aux astronomes du dimanche, remuez la terre fraîche avec l’objectif, en thanatopracteurs, en partisans de la résurrection.

Le soir que tu réclamais, ma Douleur assagie, descend et te tranquillise ; au port, les navires aspirent au luxe, au calme, à la volupté.

Une femme fouettée dans la soute, rime aux sévices souriants de l’arsenal à Frisco.

Une femme à aimer, à filmer, à emmener au cinéma, à se projeter en écho à Nougaro.

Le cinéma ? Ce que l’on en fera, ce que l’on défera, ce qui nous survivra ou pas.

Je tape ces lignes en plein psychodrame du Brexit (Cameron démissionne, les traders « tirent la gueule », la livre sterling dévisse, les Froggies expatriés se font du souci).

Vox populi en évidence scindée d’indépendance, surlignage de la fragilité de la superstructure européenne (l’idée d’Europe morte à Sarajevo), suggestion de contagion.

Ce qui nous attend, pas seulement au et dans le cinéma ? Le pire, bien sûr et toujours.  

Raison de plus pour « se bouger », agir, passer de l’autre côté de l’écran et de la caméra, envahir le plateau du studio-réalité occupé par les pantins installés.

Les morts vont vite, les vivants (une poignée) méritent la lutte (initiale, pas finale), le jour reviendra, comme le film à la prochaine séance.

La séquence s’achève ici et se poursuit dans un fondu au noir embrasé.

En guise de PS, ce salut cordial/discordant :


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