À l’ouest d’Éden
Exils # 104 (23/04/2025)
Adieu aux Doors et à leur Moonlight Drive, voici donc le méconnu Midnight Ride (Bralver, 1990). Sans doute la production Cannon comptait capitaliser sur le solaire Hitcher (Harmon, 1986), mais elle évoque davantage Le Voyage de la peur (Lupino, 1953) et La Proie de l’autostop (Festa Campanile, 1977), même délestée de l’intensité du premier, de la rudesse du second. Sauf celui de cinéphile Italie, tous ces titres ne pouvaient naître qu’en nordiste Amérique, pays de l’espace, patrie du road movie, paranoïa du piéton, victoire de la voiture, en Australie aussi, disons pour d’identiques raisons, on renvoie vers Mad Max (Miller, 1979) et Road Games (Franklin, 1981). Certes le parcours convenu de cette histoire d’un soir de couple en déroute sur la route face à un fêlé « de retour au bercail », direction l’hôpital, périlleux périple à la Ulysse, au picaresque funeste, ne surprend personne, en dépit d’un épilogue en ascenseur et fauteuil, tuerie au ralenti, à faire se gondoler De Palma. Afin que le tandem se reforme, que le conflit se résorbe, il faudra en passer par là, traverser ensemble cela, cauchemar motorisé comme trauma à dépasser, thérapie de choc et d’électrochocs à s’auto et en auto appliquer, où reconnaître la structure positive et psychanalytique de ricaines fictions à foison. Thriller d’habitacle et vaudeville dépressif, Terreur sur l’asphalte, intitulé français plus programmatique, moins poétique, trace un triangle dont un policier « marié à son métier », une « femme au foyer » de Russie exfiltrée, un psychopathe photographe composent les points rapprochés, distancés, en faisceau in fine.
Deux acteurs et une actrice incarnent ces esquisses en sursis, jouant au chat et à la souris : si le vieux et juvénile Mark Hamill (s’) amuse en dément endeuillé, frère mortifère, fils d’une mère alcoolique et meurtrière, si le doloriste Michael Dudikoff débute en flic possessif et finit en « type formidable », la révélation avortée de l’ouvrage s’avère l’éphémère Savina Gersak, dame délaissée en train de se carapater pendant que l’époux plâtré demeure devant la télé, à écouter le compte rendu de précédents méfaits. Le potentiel du personnage émancipé se voit vite hélas supprimé, car Lara bâillonnée de manière explicite et symbolique, silencieuse « demoiselle en détresse » à godasses Adidas de survival entre mâles. N’omettons Mitchum en somnolent caméo de frais fiscaux, ersatz de l’actif psychiatre Loomis de La Nuit des masques (Carpenter, 1978). Sis sous l’égide d’Ovidio G. Assonitis, réalisateur de Tentacules (1978) et producteur de Lado (Qui l’a vue mourir ?, 1972), Demy (L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune, 1973), Brest (Le Temps d’un week-end, 1992), Midnight Ride bénéficie d’une direction de la photographie atteinte de dichotomie, bleu pétrole et or ambré, due au DP Roberto D’Ettorre Piazzoli, qui éclaira encore Sonny Boy (Carroll, 1989), Starcrash : Le Choc des étoiles (Cozzi, 1978) et le Tentacules précité, en collaborateur régulier d’OG. Elle radicalise ainsi la « charte graphique » de l’imagerie horrifique, en revisite au détour le décor industriel, cf. l’infernale chaufferie du flamboyant et flambé Freddy des Griffes de la nuit (Craven, 1984). Assortie d’un saxo sentimental, la musique de Carlo Maria Cordio (Aenigma, Fulci, 1987) et quelques postes secondaires complètent cet apport cosmopolite, confèrent au film une saveur sudiste, énucléation oculaire façon Fulci – et le Verneuil de Peur sur la ville (1975) – comprise.
Venu et retourné à la TV, Bralver effectua des cascades sur petit et grand écran (Road House, Herrington, 1989 ou Darkman, Raimi, 1990), dirigea trois longs métrages et un paquet de « secondes équipes » (Rêves sanglants, Christian, 1982), dédie l’exercice de style à un William homonyme. Muni du charme menaçant du regretté Rutger Hauer, le Lucifer/John Ryder – patronyme transparent et « on the storm » corrige Jim Morrison – du script d’Eric Red, scénariste du diptyque de Kathryn Bigelow Aux frontières de l’aube (1987) et Blue Steel (1990), vaquait à ses victimes au sein malsain d’un univers désignifié, sous le soleil forcément de Satan brûlant d’absurdité, de cruauté. Ici, l’infantile et injuste Justin, point sadien ni rime masculine à Justine, crucifie Lawson – law son, fils de la loi autant que son représentant – sur le capot d’un taxi à la Scorsese et chute à l’instar du « porteur de lumière » céleste sur un générateur d’énergie, qui ne le ranime façon Frankenstein (Whale, 1931) et pourtant produit chez lui un sourire post-orgasmique, digne de « l’extase » sacrée de la sainte Thérèse du Bernin. Co-écrit à quatre mains, Midnight Ride comporte un glauque prologue satirique, au creux duquel lequel le sinistre gaucher, scripteur à senestre, signe diabolique, au visage et à la violence à demi dissimulés, essaie de louer une bagnole, se la fait in extremis refuser, puisque non possesseur d’une carte de crédit, pardi, le détective privé – de revenu, pas de salut – du Sylvia de Howard Fast dut apprécier, pourfendeur du « péché mortel » à l’américaine de la pauvreté. Alors que la caméra tourne autour du probable corbillard, ne s’en remet au démoralisant champ-contrechamp, elle sait en sus rester statique le temps d’un plan téléphonique, assassinat invisible et cependant suggestif, via un avatar du split screen et une obscurité soudaine de motel ensuite soumise à un flash de puissant polaroid.
Le Mark Lewis du Voyeur
(Powell, 1960), autre gamin maltraité, idem amoureux dangereux d’images
macabres, pratiquait la canne épée de trépied, le Mark Hamill de Terreur
sur l’asphalte, sosie de Sam Neill dans L’Antre de la folie
(Carpenter, 1994), saute sur chaque occase, quad inclus, arme blanche ou
à feu, tout le rend heureux, ambulancier déguisé, véritable increvable, capable
de retourner contre l’institution ses outils à la con, à perdre la raison, punition
par procuration des dégâts d’Artaud et du Mocky de La Tête contre les
murs (Franju, 1959). La « virée de minuit » ne saurait de ses
démons intimes et à domicile le délivrer, en définitive aussi chimérique que « l’express
de minuit » d’Alan Parker & Stone Oliver (Midnight Express,
1978). À défaut de fournir une héroïne féminine, à la fois forte et fragile, Midnight
Ride créé en résumé un climat, adopte le point de vue déviant d’un
redoutable impuissant, démiurge destructeur d’un monde de fantômes assez sexistes et
antipathiques, de dommages domestiques, d’une Amérique fantasmatique plus dure
que la « chute du Mur » et morbide que la dislocation du « bloc
soviétique ».
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