La mire m’a tuer
Exils # 101 (08/04/2025)
Le générique anticipe Shining (Kubrick, 1980) : Delon de dos conduit sur une route sudiste, en bordure de mer et donc de mort, escorté d’une chorale musique dramatique, signée de l’inspiré Demarsan (Le Cercle rouge, Melville, 1970). Le type anonyme économise son fric chez le tutoyé pompiste et roule en américaine « automatique », assiste en sus à la noyade d’une nounou espagnole, s’incruste au creux de la villa vandalisée par les mômes autonomes, camés aux sucreries et au Coke. Voir Alain avachi dans le canapé devant la télé, en train de sourire et surtout de singer une Sheila au disco « dévouée » vaut déjà le visionnage, mais Attention les enfants regardent (Leroy, 1978) mérite aussi d’être exhumé pour une poignée de qualités. Tel La Traque (Leroy, 1975), il s’agit en définitive d’un survival satiriste, doublé d’une lutte des classes et des territoires, au terme funèbre duquel succombe le pauvre protagoniste, Mimsy Farmer violée puis poursuivie par des provinciaux féroces à la Zaroff en reflet de l’acteur/producteur in fine flingué par un gamin à main armée, un petit écran explosé, déplacement de culpabilité. « Casimir » peut dormir, Dorothée détaler, la fin des programmes de la domestique lucarne signe en définitive l’identique de l’individu inconnu, à la pédagogie d’armurerie, à la propre progéniture « partie ». Toutefois le film continue avec un macchabée en auto, foutu à l’eau, le retour des atterrants parents de leur irlandais plateau. La demeure sur les hauteurs de marina (Baie des Anges) nettoyée, décorée, les héritiers lavés, peignés, remis, polis, la vie reprend comme avant pendant un épilogue à vélo dépourvu de trémolos.
Co-écrite par le fidèle Christopher Frank (L’Homme pressé, Molinaro, 1977, Trois hommes à abattre, Deray, 1980, Pour la peau d’un flic, Delon, 1981, Le Battant, idem, 1983), adaptant un roman du co-scénariste de Soleil rouge (Young, 1971), éclairée par Claude Renoir et incarnée par sa fifille Sophie, co-produite par le partenaire Saada Norbert (Monsieur Klein, Losey, 1976, Mort d’un pourri, Lautner, 1977), cette relecture des contes cruels de notre jeunesse et de celle des seventies évoque Attention les fauves de Brice Pelman (Un livre, une ligne) et constitue un exercice de style assez divertissant à défaut d’être très consistant. Au milieu de caméos émouvants ou rigolos, par exemple Paul Crauchet en pêcheur à protéger, Marco Perrin en gendarme cordial délocalisé de Saint-Tropez, Françoise Brion en secrétaire sévère, Michel Fortin en chauffeur échauffé, face à une fratrie menaçante et désarmante, Delon devient un « ogre » à cigare et un serviteur en costard de comédie noire, « beau » bourreau et victime complice d’un échec économique prévisible, d’une démonstration de ses ambitions audacieuses et masochistes. S’il s’y s’avère excellent, un peu poignant, il rend justice au reste du casting, notamment aux minots plutôt dirigés avec doigté, ni animaux savants, ni pantins complaisants. Certes l’ensemble manque de nerf, jeu jamais dangereux, en dépit d’un titre argentin explicite (Inocencia peligrosa). Davantage que faire le procès de la violence à la TV, auto-citation prophétique du Mataf (Leroy, 1973) comprise, tarte à la crème du moralisme à la truelle, Attention les enfants regardent associe des solitudes en conflit, décrit une famille désunie, adepte de la vidéocassette et du racisme en sourdine.
Piaule paradisiaque au galant âgé dégagé ou château de sable aux croix plantées de plage privée, il faut « défendre » sans cesse de sa propriété la forteresse, contre « tout le monde » immonde dit l’adouci Dimitri, le sexe « dégueulasse » maugrée Marlène la matriarche, le tumulte d’adultes eux-mêmes grands enfants tout sauf innocents. Le métrage de son âge dit en résumé adieu à la candeur de La Nuit du chasseur (Laughton, 1951) et rédige l’état des lieux tragi-comique du cynisme de la décennie, entre pédophilie (Tony Duvert & compagnie) et pédophobie (L’Exorciste, Friedkin, 1973 versus Les Révoltés de l’an 2000, Ibáñez Serrador, 1976). Delon disait avoir fait Zorro (Tessari, 1975) pour Anthony, pour qui accomplit-il celui-ci, où il manie à nouveau l’épée, implore et périt ? Une cinquante d’années après, le spectre solaire et solitaire conserve son mystère, ne participe d’une parodie, ne sacrifie à l’autobiographie. On doute que John Hugues le connaissait lorsqu’il conçut le script à succès de Maman, j’ai raté l’avion (Colombus, 1990), lui-même a priori apparenté au 3615 code Père Noël (1990) de Manzor (Le Passage, 1986). Fi au fond de filiation à foison, (re)voici disponible en ligne l’avertissement d’un autre temps, dont l’actualité au carré ne relève en vérité de la classée excuse de minorité car de l’(in)humaine et claire obscurité.
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