Mad Max

 Exils # 60 (07/11/2024)

Les fins de vie et de carrière de Louis Gasnier & Max Linder ne font sourire guère : le premier, en dépit du plébiscite des Périls de Pauline, passa de Paramount à Monogram, cachetonna en acteur accentué, abonné aux rôles de Français, décéda en 63, dans un démuni anonymat, sur un banc de misère de célèbre boulevard stellaire ; le second, malgré de cosmopolites succès, subit de constants soucis de santé, se suicida à double tour (poison avalé + section du poignet), força fissa à l’imiter son mineur amour – démonstration d’emprise, de féminicide, sinon de pédophilie, fustigent nos doctes féministes. Séparés par moins d’une dizaine d’années, par l’Ambigu d’Antoine pareillement et parallèlement passés, les poulains de Pathé à nouveau se réunissent en 1910, pour un petit exercice autofictif. Outre l’industriel/producteur précité, les acteurs/scénaristes/réalisateurs Georges Monca & Lucien Nonguet, donc trois hommes dans leur propre rôle, leur prêtent main forte, n’y vont pas de main morte. Sept ans de malheur (1921) permettra de pratiquer, au propre et au figuré, une inversée puis brisée, inspirante et spectaculaire spécularité, car miroir accessoire mimétique à mimiques et maux zygomatiques, (re)lisez-moi recta. Onze ans avant, le tandem met en abyme une étrangère et similaire mise en scène, celle du cinéma lui-même. Les Débuts de Max au cinéma désigne aussi ceux du personnage de Max, persona de prénom homonyme, abréviation de démocratique pseudonyme. Tandis que le précédent méta Une représentation au cinéma (Gasnier, 1910), aka Une séance de cinématographe, se situait dans la salle, avec Linder en spectateur, la bobine du débutant déjà rodé visite les coulisses, le rend à la fois actif et passif, contradiction de détermination, double sens, d’aspirant acteur aux prises avec les diktats de l’auteur, les obligations du labeur. La vie en vase clos aux studios de Joinville s’avère voui tout sauf un long fleuve tranquille. Il s’agit ainsi d’une « scène de/jouée par Max Linder », c’est-à-dire d’un assemblage de sept saynètes pas si statiques, six intérieurs en plan-séquence, des extérieurs plus découpés, dont la courte durée correspond à l’impératif du panneau « Prière d’être bref ».

Pendant la première, remarquez le coq sculpté plaqué sur le bureau, reconnaissable clin d’œil d’auto-promo, le sourire furtif du secrétaire austère, l’indifférence froide du chef Charles, flanqué de téléphones à la gomme. La cinéphilie croit à la magie mais vous voici au pays de la bureaucratie, où se faire balader au carré de bureau en bureau (pièce et mobilier), où croiser des calendriers patraques puisque pas à la même date. Aux courbettes succède une audition certes moins sévère, sélective et définitive que l’homonyme de Miike, se déroulant devant l’affiche prophétique de La Poule aux œufs d’or, on adore. Max va rapporter un max à Pathé, pour l’instant il délivre une esthétique du physique, danse, roulade, gifle (tactique discutable de Clouzot & Pialat), parmi des portes peintes et des décors idem, cf. la façade que surcadre une fausse fenêtre. Sur le set, récompense de lettre, on assiste in situ à un simulacre de making-of pas morose. Le trio rigolo regarde hors-champ un cinéaste invisible, le mari soumis et les matrones redoutables autour de baguette et bouteille s’attablent. Une défenestration avec substitution et utilisation de mannequin survient soudain, en rime à l’homologue du Vol du grand rapide (Porter, 1903), suivie d’un matelas balancé après, non en prélude à la chute, flûte, d’une table et d’une armoire a priori en carton-pâte, accumulation de comique domestique, aux chaises auparavant balèzes. Dehors, encore, une première caméra, que l’on ne voit pas, en filme une seconde, au bord du trottoir et du plan. Bagarre et roulade (bis) se déroulent en pleine rue, les agressifs inoffensifs poursuivis par l’opérateur et le réalisateur un peu dépassés, assortis du cycliste tombé/relevé, au milieu des lignes de fuite des perspectives. Les outrages se terminent par un arrosage à la Lumière et le dolorisme de Linder ne dissimule sa colère, baisers envoyés à l’objectif versus baffes données au sadique directif. « Souriez vous êtes filmé » en effet, voire cocufié, souffre-douleur dynamique, héroïque, duquel un certain Chaplin dut ensuite se souvenir. Caméra dite candide ou davantage cynique, cet item se révèle en résumé à l’image du co-créateur élégant, amusant, intrépide et lucide.

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