Mouche à Meg

 Exils # 46 (10/07/2024)


« La maison possède sa propre mystique » : si Stuart Rosenberg s’occupait de crise économique (Amityville : La Maison du diable, 1979), Damiano Damiani d’inceste à domicile (Amityville 2 : Le Possédé, 1982), Franck Khalfoun de misogynie pré-moiaussi (Amityville: The Awakening, 2017), l’assez cher Richard Fleischer filme une fable affable sur la foi, surtout celle du cinéma. Métrage méta, construit en boucle bouclée, Amityville 3-D (1983), sous-titré en français d’un Le Démon de bon ton, débute via un travelling panoramique démonstratif du procédé du titre. Les noms du générique, les branches des arbres squelettiques, disposés devant la bâtisse emblématique, semblent sortir de l’écran à la rencontre de la rétine, un vent de nuit rugit, une pancarte de vente s’agite, à l’indicatif téléphonique (666) satanique et drolatique. Surplombé par des vocalises féminines substituées à la sinistre comptine de Lalo Schifrin, l’ensemble illustre littéralement une locution de saison, « faire le tour du propriétaire », déploie la panoplie acoustique et iconographique – plus tard, les supposés scientifiques, alter ego de l’équipe technique, mise en abyme au bord de l’abîme, utilisent in situ un « capteur ultrasonique » et une « caméra thermique » – d’une imagerie thématique, on renvoie vers un modeste essai au sujet des maisons hantées au ciné. La première scène s’avère vite une triple mise en scène, c’est-à-dire la fiction d’une démystification dédoublée, puisqu’une paire de faux mariés éplorés, endeuillés, en réalité – « mot à toujours mettre entre guillemets » explique le spécialiste du paranormal guilleret – des journalistes complices, démasque un second de médiums menteurs, pléonasme, et d’escrocs illico, à rendre venère le pauvre père Victor Hugo. Le maternel mélodrame se transforme fissa en spectacle de farces et attrapes, le parlant ectoplasme en accessoire de bazar, ridiculisé, piégé par le flash impitoyable de la mater dolorosa (dis)simulatrice, au carré actrice.

Après pareil prologue un brin brechtien, exposition en situation, qui du plombant pedigree de la maison dite maudite se souvient, introduction de dessillement, sinon de désillusion, au cynisme ludique, au crachat colérique, tout le reste du film va s’efforcer de restaurer une croyance dans les puissances peut-être de l’au-delà, en tout cas du cinéma, le gadget commercial de la 3D moyen idoine de déborder du Scope, surprendre et s’en prendre au spectateur, le menacer au moyen d’objets, frisbee compris. Le contemporain Osterman week-end (Peckinpah, 1983), autre item funèbre fourni en images de mort et mort des images, se terminait sur un fauteuil vide, une régie désertée de studio télévisé, épitaphe de cinéaste. Amityville 3-D préfère un final d’effondrement et de flammes à la Roderick Husher, encore le préoccupé propriétaire d’une piaule pas drôle, aussi sombre que son esprit, fissurée que sa psyché. Prisonniers d’un espace et d’un mobilier secoués à la Poltergeist (Hooper, 1982), les chercheurs plus sérieux que ceux de Ghostbusters (Reitman, 1984), quoique, marrant poisson d’appartement empaillé, au bec suspect, succombent comme les ennemis de l’écarlate Carrie (De Palma, 1976). Ce massacre d’acmé, cette destruction à foison, dont l’épicentre de surnaturel séisme réside, logique psychanalytique, au creux d’une cave, sous la forme d’un orifice anal et infernal, en rime avec le même de The Gate (Takács, 1987), un célèbre puits d’Asie, d’où surgit aussi une gamine humide (Ring, Nakata, 1998), viennent parachever le dispositif réflexif des arroseurs arrosés, plutôt cramés, car Melanie – le proprio en haut subit l’essaim comme Mademoiselle Hedren, au prénom homonyme, ensuite de sa fifille, se fait métaphoriquement violer par les vils volatiles des Oiseaux (Hitchcock, 1963) – meurt en automobile embrasée, style Madame Henri Michaux, ça donne chaud et fait froid dans le dos, le pare-brise transpercé par un gros tuyau d’acier, qui ravit les psys et remémore la motorisée, à l’arrêt, décapitation de La Malédiction (Donner, 1976), dans lequel, déjà, des tirages photographiques servaient d’avertissements prophétiques ; sur le caractère funéraire de l’image fixe, cf. La Chambre claire de Roland Barthes, ce que l’on en disait jadis.

Au spiritisme d’opérette répond une séquence de ouija plus ou moins sympa, où l’un des deux types, gentil goujat, demande de manière rhétorique à connaître la couleur de la culotte d’une débutante dénommée Meg Ryan. Cette fois, toutefois, la présence invisible et mauvaise se manifeste pour de bon, casse le verre à l’envers de commune communication. Lori Loughlin, idem juvénile, ne veut entendre poser des « questions stupides », des questions morbides, et son papounet, lui-même peu « vertueux », il l’admet volontiers, « exploiteur » différencié, parlait auparavant des arnaqueurs de la douleur, des profiteurs de la « peur de la mort ». Elle va hélas subir un sort similaire à celui de Natalie Wood & Candace Hilligoss dans Carnival of Souls (Harvey, 1962), donc se noyer, se diviser pour revenir, mouillée, monter un escalier, à la surprise de sa mère sur le point de divorcer, rétive à son installation auprès du futur ex précité. A contrario du Kubrick « optimiste » (le démiurge dixit) de Shining (1980), revoici un apprenti romancier tourmenté, Amityville 3-D n’affirme que les fantômes existent, façon de relativiser la perte du trépas, la dépasser par une hantise avec laquelle certaines sympathisent, remember L’Aventure de Madame Muir (Mankiewicz, 1947) ou Ghost (Zucker, 1990), et le héros cartésien, que secoue un ascenseur à la Dick Maas (1983), en plein désespoir, « ne sait plus quoi croire », souligne la nature sexuée des apparitions, des hallucinations, s’en tire et transpire en jouant au plombier de lavabo surchauffé, alors que sa guère amène moitié éprouve jusqu’à l’épuisement ce qui l’obsède et l’excède.

Placé sous l’égide de l’incontournable Dino De Laurentiis, en partie tourné au Mexique, tel le prédécesseur cité supra, cet échec économique et critique, écrit sous pseudonyme par David Ambrose, le scénariste intéressant du Survivant d’un monde parallèle (Hemmings, 1981), D.A.R.Y.L. (Wincer, 1985) ou La Révolution française (Enrico & Heffron, 1989), en tandem avec Daniel Boulanger, le mépris ne mérite, étudie davantage un acte de foi, se rapproche du cinéma de Shyamalan en cela, personnel et professionnel, public et privé, féminin et ancien, revoilà le temps d’une réplique ironique le fameux cimetière indien, très étasunien, retour du refoulé exploré/exhumé à satiété par le Stephen King de Simetierre et de Shining en sourdine. Le prologue s’apparentait à une parodie, l’épilogue procède de la tragédie, du ménage au milieu du remue-ménage, recomposé mais décomposé, parmi les rares survivants à s’extraire du néant, fuir le foyer enflammé, domestique et maléfique. Le film de Fleischer affiche ainsi un feu fiévreux, un froid d’effroi, une climatologie de claustrophobie et un monstre moche presque proche de l’homologue d’Xtro (Bromley Davenport, 1982), qui jaillit du puits mimi illuminé, pris en plongée puis contre-plongée, défigure par brûlure et y enfonce le fervent Robert Joy, longtemps après, cohérence des circonstances, au côté des Experts : Manhattan à la TV.

Son « Tu dois me croire » rejoint le « Tu n’as jamais cru dans la maison » de l’épouse sans blanche blouse : le dilemme du mari – croire ou non sa femme cinglée, prêter foi ou pas aux événements inexpliqués – reprend le questionnement du réalisateur de film dit d’horreur, se moquer, fric à la clé, d’une imagerie démunie, démodée face à d’avérées atrocités, suivre le sillage d’outrage des films plus comiques qu’horrifiques pondus en parallèle au second conflit mondial, masochisme/pragmatisme d’Universal, Abbott & Costello and Co., ou essayer de la respecter, ressusciter, ranimer dans un cadre déclaré empirique, expérimental, voire médical, L’Emprise (Furie, 1982) le prise, objective en définitive un martyre féministe, de la faire réfléchir sur elle-même, sur ses forces funestes spéculaires de celles du cinéma, mainstream ou pas, associer sa mortelle mémoire – les personnages semblent conscients des chapitres précédents, des faits divers d’hier – à un stimulant mouroir, doté d’une beauté abîmée, de darwinisme lucide, de réalisme combatif, d’exorcisme existentiel, noblesse d’un « genre » encore considéré mauvais, souvent par sa propre faute dévalorisé, ou régressif, infantile, dangereux, nauséeux, qualificatifs au passage applicables à moult produits subventionnés, encensés, pas interdits, au moins de douze/seize/dix-huit ans.

Satiriste en compagnie du scénariste Kevin Williamson (la série des Scream), Wes Craven se (re)radicalisera et se miroitera himself avec le féroce Freddy sort de la nuit (1994). Entre l’émouvant et le ricanement, l’attentif et fertile Fleischer choisit son camp, transcende une commande a priori anecdotique en recommandable art poétique.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir