Voyage au centre de l’altère

 Exils # 39 (21/06/2024)


Péplum, film de science-fiction, mélodrame, film catastrophe : Le Géant de Métropolis (Scarpelli, 1961) se joue des genres mais ne mélange les registres, conservant jusqu’au dernier plan inquiétant et en plongée un esprit de sérieux auquel il parvient pourtant, miracle laïc, à ne point succomber. Si tout ceci ne vous suffit, sachez qu’il s’agit aussi d’un conte antique qui assortit les concepts contemporains d’écologie et de collapsologie, qui explique le mythe de l’Atlantide, situé en… Atlantique, son déclin(isme) certain, selon une perspective éthique (maléfice autarcique de l’hubris scientiste) et à cause d’une quête ironique (l’immortalité de l’héritier via une « irradiation » de cerveau, celui du grand-paternel, plus tard spectre à la Hamlet, lui-même maintenu en vie de manière artificielle). En résumé d’accéléré, le royaume mortifère et (à moitié) sous terre de la triste Métropolis, (do)miné depuis longtemps par un triste tyran, au premier veuvage d’intime cobaye, à la seconde épouse rebelle et rousse, à la fifille enfin lucide, décomplexée, dépucelée, au « peuple soumis » (fi de La France Insoumise, à l’indignation sélective, à l’antiracisme tardif), au sage en sursis (« Cela promet des jours terribles » prophétise-t-il sans penser, quoique, au sept juillet franco-français), se voit averti par un « étranger » blond et musclé, de son clan abandonné, de son patriarche délesté, de cesser fissa ses folies, de défier « la Nature », de pratiquer des expériences impures, au risque de ruiner de cette belle planète le proche futur.

Ici se retrouve ainsi la structure alarmiste et surtout moralisatrice du Jour où la Terre s’arrêta (Wise, 1951), se ranime son ultimatum clairement menaçant, se transforme son (dédoublé) messager stellaire, froidement vénère, relooké en culturiste candide, intrépide plutôt que stupide, dont le sang (neuf) fascine cette société troglodyte un peu vampirique, à l’aspect momifié (aux costumes matelassés), aux freaks agressifs (géant rondouillard + nains rigolards = bagarres dare-dare). Soumis (bis) à toute une série de tests et d’épreuves physiques et cinématographiques (le « rayon de la mort » du prologue, capable de faire caner les pauvres compères en squelettes instantanés, le supplice thermique des « rayons chaud et froid », à la dimension économiquement méta), notre « force de la nature », locution en situation (le solide Gordon ne déconne), survit aux avanies, conquiert le cœur de la souple et danseuse sœur (partenaires à plumes, blanc et noir, pouvant postuler auprès de la fameuse Cage aux folles), se déplace dans la place, sorte de piste de cirque au colosse sculpté, au poids porté, à la fois Atlas & Sisyphe, en passant sous le pied amovible (tant pis pour le proverbial et létal talon d’Achille) du couronné agenouillé (le despote l’oblige, prisonnier pas complice, à plier le sien, parce qu’il le vaut bien), de loin visible, dévoilé avec élégance à la grue, in fine fini aux fond des flots, chute de tumulte et de maquette joliette, en écho lento à celle similaire de la statue de Saddam Hussein naguère.

« 20 000 ans » avant une ère de misère, le trépas express et à terre de la mère suicidaire (Liana Orfei au tapis) peut en remontrer à Marion Cotillard ensommeillée (The Dark Knight Rises, Nolan, 2012), les pentes opaques d’incipit tragique, aux silhouettes obsolètes, ressuscitent le souvenir de Stromboli (Rossellini, 1950) et du Septième Sceau (Bergman, 1957), les mains des amants se serrant sur le seuil du néant citent bien sûr celles de Duel au soleil (Vidor, 1946) et l’épilogue de plage désertée, désenchantée, en dépit d’une fragile famille recomposée, un peu décomposée, évoque l’incontournable coda de La Planète des singes (Schaffner, 1968). Davantage qu’à Lang (Metropolis, 1927), Feyder & Pabst (L’Atlantide, 1921 et 1932), on songe aux éclairages évocateurs de la caverne de (Mario au lieu d’Ali) Bava (Hercule contre les vampires, 1961), au soleil irréel de Ténèbres (Argento, 1982), on ne saurait s’empêcher de tracer un parallèle avec la Russie soviétique idéalisée, cependant démystifiée, cf. la scission d’introduction, paradis déiste d’indépendance du couple, de « fraternité » généralisée, d’environnement ravissant (conter fleurette parmi les fleurs, en extérieurs, il fallait oser, il fallait respirer), orale utopie de scénariste encarté au PCI.

Dépourvu d’adversaire au sein malsain de cet enfer chtonien – l’actuel locataire de l’Élysée n’ignore, qui sait, que les Champs Élysées renvoient encore vers le séjour des morts, une seconde « cité de la mort », et lecteur de Machiavel, Le Prince paraît-il livre de chevet, doit savoir qu’il convient de divertir le peuple par des « des fêtes et des spectacles », prestations olympiques qui rappliquent, de « simuler et dissimuler », éventuellement dissoudre une assemblée, provoquer des élections à la con anticipées, non démissionner demain mais s’en laver les mains, Ponce Pilate patraque –, le « roi maudit » du texte post-générique, monarque misérable (double sens), ersatz d’Abraham, s’avère en sus un père respectable (puis un souverain destitué, piétiné), vraiment aimant (son fiston isolé), à l’évidence « désirant » (donc en douceur violant son épouse éplorée, mes amitiés à la Marnie de Hitchcock & Connery). Rétif au manichéisme, lui préférant le clair-obscur significatif d’un fatalisme actif, Le Géant de Métropolis démontre (et démonte) que le fascisme, mussolinien ou point, représente son meilleur ennemi, soi-même se condamne et s’autodétruit, que la foule (au fond et du fond) fait de la figuration, pas de l’opposition, que la candeur devient le catalyseur de l’humain, trop humain et programmé malheur, élargi à une cosmologie jolie (astres du désastre, désaxement orbital pour désaxés du bocal).

Pas de happy ending rassurant toutefois au terme de la fable affable, car victoire à la Pyrrhus, épuisement des survivants, sidérés d’avoir traversé une telle odieuse odyssée (les conclusions à l’unisson de Suspiria, 1977 et Mother of Tears, 2007, duo d’Argento, proposent de pareilles rescapées, certes plus souriantes et comme conscientes du train fantôme emprunté). Si le cinéphile souvent sourit, jamais il ne ricane, pas même contre les armes végétales ou aux équipées de pinces de crabes. L’ultime film d’un type peu prolifique, jadis directeur de production pour De Sica (Le Voleur de bicyclette, 1948 + Miracle à Milan, 1951), coécrit par Emimmo Salvi, qui dirigea aussi des Rossellini (Les Onze Fioretti de François d’Assise, 1950 + Voyage en Italie, 1954) et un Fellini (Les Nuits de Cabiria, 1957), qui partagea les jours et les nuits de la bien-aimée Cubaine Bella Cortez, bénéficie de l’impeccable (et parfois improbable) direction artistique du spécialiste Giorgio Giovannini, d’abord décorateur sur The Last Man on Earth (Ragona & Salkow, 1964), Le Masque du démon + La Planète des vampires (Bava, 1960 et 1965), ensuite DA sur Les Trois Visages de la peur + La Fille qui en savait trop (Bava, 1963), Amarcord + La Cité des femmes (Fellini, 1973 et 1981), Le Nom de la rose (Annaud, 1986) ou Les Aventures du baron de Munchausen (Gilliam, 1988), dont le dédale Art déco, surcadré par Scarpelli, cinéaste soigneux, souligné par la direction de la photographie d’Oberdan Troiani, collaborateur de Welles au (long) cours de l’interminable Othello (1951), possède une saveur de savant tombeau (et des figures infectes de sacrifice aztèque).

Moins (glam) rock ni autant gay que le plus léger (et friqué) Flash Gordon (Hodges, 1980), ce divertissement intelligent d’un autre temps, témoignage mésestimé d’un cinéma (italien, européen) désormais mort et enterré, mérite son exhumation d’occasion, à visionner en version française vintage, soutenue et bienvenue, idem pourvue d’un charme macabre suranné.   

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