Le Mojo de Belmondo

 Exils # 42 (28/06/2024)


Ce film mésestimé s’ouvre sur un accident de voiture, en fait sa ferrarienne mise en scène, mais Chabrol se moque du Godard de Week-end (1967), qui d’ailleurs ne le considérait comme un « auteur », paraît vite s’orienter vers une comédie de mœurs dont l’hédonisme et le machisme durent faire horreur aux féministes, tandis que la séquence de tunisien tourisme – après L’Homme de Rio (de Broca, 1964), voici celui de Tunis – dut atterrer les tenants de l’anticolonialisme. Fiché misogyne dès Les Bonne Femmes (1960), ici adoubé « beauf », le cinéaste récidive, encore en compagnie du scénariste Paul Gégauff, adaptateur de polar lui-même occis par sa petite amie. Si d’un arriviste provincial, d’un anecdotique et antipathique casanova d’hôpital (baiser des « mochetés » parce que « plus marrant et moins compliqué » CQFD, fric en prime), d’un mari manipulateur épris de sa sensuelle belle-sœur, comparaison (des alcools) d’occasion, zeste d’inceste, ça fricote et se retricote en famille, cf. la coda, la satire fait souvent sourire, le prix de Docteur Popaul (1972) se situe au-dessus du portrait rapide et espiègle d’une certaine bourgeoisie bordelaise, abonnée au bordel et préoccupée de scandale de place centrale (beau numéro de Belmondo, gag de carrosserie à la Oury inclus). Derrière le divertissement jamais salace, en dépit de la bella et cara Laura (Antonelli), très proche de Jean-Paul puis au déclin pas drôle, cadrée topless et cul nu, dévoilement innocent à l’unisson de Ma femme est un violon (Festa Campanile, 1971), se dissimule ainsi, durant le dernier tiers, l’étude amère et mortifère d’un couple en déroute, faisant (une sortie de) fausse route, cf. l’incipit explicite, d’un trio férocement infernal, d’un vaudeville viré dramatique.

Belmondo, délectable saligaud, transformiste cinéphile (distrayante séquence de l’auto-procès rêvé, imitation de Michel Simon à la clé), assassin en série d’époux relous (la « Providence » y pourvoit), acteur et producteur presque sans peur, un peu moins que Delon, d’accord, semble se souvenir d’un récent Eastwood, reprendre en pleine conscience le « masculinisme » et le masochisme des Proies (Siegel, 1971). Comme Clint cloué au lit, cet espace d’ébats et de trépas, du « deuxième sexe » la colère il subit, à son tour victime d’une vengeance de désamour, d’un complot à base d’auto, de radios, de lettre de corbeau (« Ce mec, c’est une merde »). La farce phallique de prestance et d’impuissance – ce pénis hélas plus ne se hisse, affaibli à cause de la piquouse d’une accorte infirmière complice – se double donc d’une réflexion en situation (immobile, illusoire, propice au désespoir) sur un séducteur détruit à/de l’intérieur, d’un voyage de naufrage à travers une virilité assumée, surmenée, malmenée, émasculée. Frêle fifille de notable en panne, à nouveau lestée d’un problème marital et maternel à la suite du Rosemary’s Baby (1968) de Polanski, Mia Farrow se transforme illico en funèbre consœur de Jeanne Moreau (La mariée était en noir, Truffaut, 1968, veuve vindicative style William Irish), ange exterminateur doté d’une domestique douceur, héritière « dépucelée » (liasse de billets en remerciements insultants) au plan de cimetière bien préparé (au côté d’un second toubib chauve et chéri, dans la puériculture spécialisé). Privé de tout ce(ux) qu’il croyait posséder, y compris une gamine à la (fausse) mort annoncée, un peu rédimé par sa sincère paternité, surtout spolié d’une (grande) part de son identité (pense-t-il) entre ses jambes logée, notre anti-héros décide de subito se suicider.

Pour La Sirène du Mississippi (Truffaut, 1969), Belmondo se faisait (presque) empoisonner par un doublon de Manon (Lescaut) ; le final de Docteur Popaul le fait ingurgiter du gardénal, écouter un coup de fil fatal (Mia s’encanaille et ne déraille), entendre aussi son instinct de survie. Concession commerciale (a contrario du pathos d’hélicoptère du Professionnel de Lautner, 1981) ou ultime démonstration de cynisme (chansonnette suspecte), l’épilogue remet sur pied le « mort-vivant » désarmant, au sortir de la messe, parmi l’épouse « magnanime » (« Je t’aime à ta mesure » résumait-elle durant le repas requiem), l’ami et la maîtresse idem, en train de s’enfouir au milieu d’une limousine aux allures de corbillard. Certes, tout ceci ne possède le sérieux, le soin et l’ambivalence de Stavisky (Resnais, 1974), mais Belmondo ne ménage son image, ne recule devant le ridicule, (dé)montre qu’en matière de « domination » (forcément « masculine »), terme en toc d’époque, le mâle ne saurait rivaliser avec une (ou plusieurs) femelle froidement déterminée. Quelque chose de morose parcourt l’apparente gaudriole de Docteur Popaul, qui évite le grivois, qui impatiente les attentes du spectateur mateur, jouissant et se réjouissant de (regarder) « jouer au docteur », qui n’hésite à changer de régime et de tonalité (remarquez le travelling circulaire en plongée autour du populaire et agité totem alité). Chabrol y charrie une sexualité désenchantée, dévalorisée en replay (la trompée assiste de près au spectacle de l’infidélité, version féminine de Fenêtre sur cour, Hitchcock, 1954, autre item d’emplâtré déclassé), une relation de possession et de passion « toxique », comme on dit aujourd’hui (je vous renvoie vers La Femme infidèle, 1969 et Juste avant la nuit, 1971 ou L’Enfer, 1994, car Clouzot KO).

Flanqué de collaborateurs familiers (Rabier à la photo, Jansen à la compo), équipé d’un casting choral impeccable (l’incontournable Dominique Zardi déguisé en curé, enrôlé en parolier), il signe en définitive un drolatique thriller tout sauf mineur, dont le déprimé mais combatif womanizer doit son salut (de parvenu) à une sourde insultée, incapable de répondre à ses cris d’appel à l’aide répétés, une femme – en réalité un homme, Henri Attal, partenaire de Zardi, pardi – de ménage à genoux et âgée, appréciez l’ironie renversée par La Cérémonie (1995). Succès en salles, donc premier pactole pour Cerito, la boîte de Belmondo, la coproduction latine s’intitule en Italie, en sus et de façon juste, Trappola per un luopo. Loup piégé ou pas, le tandem de femmes point aux abois représente deux manières différenciées d’aimer, d’afficher (et d’offrir) sa féminité, de se dévoiler, au propre et au figuré, de s’émanciper, se dissiper, prestes adeptes du « popaul » (il les affole) et cependant, signes des temps (militant MLF et nonobstant bise sur la fesse), insoumises à lui, eh – oh que(ue) – oui.       

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