Clair de terre à Maubeuge

 Exils # 16 (18/01/2024)

J’aime bien son âge et son visage, même si le premier lui déplaît, le second la dérange quand elle mange, pauvres corps que les nôtres, si vite endommagés, par eux-mêmes mis en danger. J’aime bien sa modeste blondeur et son grand cœur, altruisme sincère qui passe par le souci d’autrui, le bénévolat de surcroît. J’aime bien l’équilibre de sa voix et sa main parfois sur mon bras. J’aime bien son sourire et son rire, lorsqu’elle se moque gentiment des gens et d’elle-même idem. J’aime bien ses doigts fins, un peu peints, la douceur de son discret parfum. J’aime bien ses mots et ses textos, marcher à son côté. J’aime bien son adulte légèreté, de silhouette et d’esprit, quel contraste stimulant avec ma gravité, mon asymétrie. J’aime bien son caractère solaire, cependant capable de se mettre en colère, contre un voisin ou un propriétaire. J’aime bien sa curiosité culturelle et sa disponibilité naturelle. J’aime bien sa féminité attentive et ludique, davantage que vindicative et dogmatique. Voici en définitive une femme (épouse et mère) fréquentable, avec laquelle il m’arrive d’être un homme (célibataire, un frère) aimable. S’agit-il ainsi, rengaine ancienne, pseudo-physicienne, de l’attraction des contraires, extrêmes amis, meilleurs ennemis ? Elle apprécie l’équipe du Splendid, au ciné se reconnaît « bon public », OK pour les comédies, les inoffensifs zombies d’exercices zygomatiques. En résumé amusé, rien de plus lointain de ma pratique cinématographique, sinon opposé à ma perspective tragique de la dite vraie vie (Nerval ricane, n’y voyait qu’un mauvais rêve esquivé via le suicide). Faut-il sans cesse se définir en reflet ? Les images affectives ne forment-elles que de plus ou moins recommandables mirages ? Au fond de l’illusion, tel un appel au secours, n’aime-t-on toujours que la démocratique et démagogique idée de l’amour ? Dans Sueurs froides (Hitchcock, 1958), le détective dépressif, improvisé, manipulé, s’interprète direct en cinéphile morbide, pléonasme ou sarcasme, épris jusqu’à l’obsession d’une femme évanescente, inexistante, d’un ersatz pas si dégueulasse, qui accepte de se soumettre à son désir de (le) détruire – deviens, petite sotte, rousse salope, celle que j’aime, deux fois morte, ou disparais à jamais, car du cruel clocher au carré balancée, basculée – au risque bien sûr d’y mourir, consentement au néant, jeu de rôle pas drôle d’une identité dénaturée, d’une actrice amatrice, coupable et complice, gaie et triste. Je ne sais si « Cathy » connaît Madeleine & Judy, donc l’incomparable Kim Novak, probablement pas, l’intéressante intéressée a fortiori pas fan de ces films-là, mais elle ne leur ressemble, quelle chance, son charme à la substance de mélange, en partie en provenance de Charente(-Maritime) et d’une ville jadis vantée par Bourvil, ne doit rien au simulacre, tout au concret, tandis que je m’autorise ces lignes presque impudiques en témoignage d’amitié, non en déclaration à la con de passion point partagée (le sentimentalisme m’insupporte, surtout au ciné, il m’arrive néanmoins d’être sentimental, défaut pardonnable et préférable au cynisme et au dolorisme de notre époque en toc). Ce que j’esquisse ici, sur lequel j’écris, relève en vérité de la sympathie instantanée, d’une joyeuse et mystérieuse alchimie, de la rencontre réconfortante d’une fille des sixties et d’un fils des seventies, réunis par les hasardeuses choses de la vie, sans l’accident de Piccoli ni les lunettes de Romy, qui prennent plaisir à papoter, passer ensemble un moment esthétique, touristique, chocolaté ou alcoolisé (à elle le jurançon sans glaçon, à lui l’abricot classé bio). Quel avenir meilleur ou pire attend nos (anti-)héros de ce temps ? Personne ne peut le prédire, en tout cas pas votre serviteur plutôt mécréant que voyant. Seuls importent le possible présent, le silence apaisant, le divertissement clément. Les années, en avance et en arrière, finissent toutes dans la poussière du cimetière, truisme objectif, pourtant Catherine s’exprime et respire, alors je peux me taire et je puis m’endormir.                   

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