Que Marianne était jolie
Mitan émouvant, cadeau tombeau…
À Lorea qui ne le lira
Entre un « prologue »
dantesque et un « épilogue » shakespearien, parce qu’elle le valait
bien, Marianne Faithfull ne s’avère en vitesse – trente-cinq minutes au
compteur, mon cœur – ni faithless ni
sado-masochiste, en dépit de ses maternelles origines Sa vie secrète écrite et
orchestrée au cordeau, selon ses propres mots, ceux de l’amical McGuinness, du tandem Foreman & Levine, on le sait ne
connut aucun succès, économique ou critique. Précédé puis suivi par une paire
d’opus de reprises, le sevrage de Strange Weather, le cabaret à la
Brecht & Weill de 20th Century Blues, sorti
assorti de sa traduite autobiographie, c’est-à-dire de sa vie retracée,
révélée, A Secret Life constitue cependant un chef-d’œuvre de poche, un
classique instantané, un (mélo)drame de chambre à coucher. Certes moins narratif
que l’idem mal-aimé Berlin
de Lou Reed, guitariste sur deux titres de l’allitératif Horses and High Heels, il
n’en possède la violence allemande, la radicalité désenchantée. Huit pistes
pourtant suffisent à l’artiste parfois francophone, ici généreusement économe,
pour séduire l’auditeur, de révisionnisme sonore d’ailleurs guère amateur. Dès
le siècle dernier, ce disque méritait ainsi d’être écouté, apprécié,
applaudi ; près d’une trentaine
d’années après, il demeure un item
suprême de l’interprète experte de Broken English, Vagabond Ways ou Give
my Love to London. Sommeil « safe/strange », adultère doux-amer dénommé
en inconscient clin d’œil à Éric Rohmer (L’Amour, l’après-midi, 1972),
septembre incendiaire, incommunicabilité de couple en mode Antonioni, eh oui,
lassitude rêvée, en partie en français, eh ouais, jeu dangereux, mariage
heureux et malheureux, un gamin au milieu, étoiles alignées au lyrisme
assumé : Marianne réussit toute l’entreprise, la Béatrice de Dante s’en défrise, n’accumule aucun défaut, n’en déplaise à Prospero. Ironique
plutôt que comique, bel et bien divin dans sa peinture sans imposture des
sentiments humains, Une vie secrète ne sécrète de suspecte tempête, la chanteuse
chante, enchante, déchante, incarne à l’écart du vacarme, donne au talk-over, spécialité de Gainsbourg
l’admiré, le « revisité », via
Lola ou Manon, pas con, une pure allure de prière de lumière. Cette traversée
d’une célèbre forêt, adaptation libre, voire approximative, passons,
pardonnons, terminée au moyen d’une fameuse « étoffe des rêves »,
ressemble en réalité à celle d’une vie, dont la douceur et la dureté, la légère
gravité, se retrouvent au sein terrestre et aérien d’une voix laissant sans
voix, d’une beauté abîmée, d’une absolue sincérité. Poétique et pragmatique, le
programme de Marianne pourrait rappeler l’obscurité enflammée du fortiche David
Lynch, a fortiori puisque revoici le
fidèle Badalamenti, issu de Twin Peaks, au ciné, à la TV, coopté
par Caro & Jeunet à l’occasion de la conclusion du contemporain La Cité des enfants perdus (1995), hymne intime assez sublime, ensuite
réutilisé par le Patrice Leconte de La Fille sur le pont (1999),
passons, pardonnons, bis. L’actrice estimable
de Intimité
(Chéreau, 2001) ou Irina Palm (Garbarski, 2007), une décennie à la suite du modeste
et mimi Trouble in Mind (1985) de Rudolph & Isham, croise en bonne
logique symbolique la (dé)route du maestro Angelo, compositeur d’un écrin
jamais incertain, où couve une menace sourde, in extremis et en coda conjurée, esquivée, éclairée, CQFD. De Julee
Cruise à Marianne Faithfull, similaires sirènes différenciées, se tisse une
sorte de passage de relais, la lucidité de survivante de la seconde substituée à
la mélancolique sentimentalité de la première hélas désormais décédée. Les
femmes fréquentables, il faut s’en féliciter ; les femmes infréquentables,
il faut s’en ficher – que la lectrice magnanime me permette aujourd’hui, très triste
samedi, de dédier mes quelques lignes laudatives à une adolescente trop tôt
partie, en écho à la petite héroïne du Petit Prince a dit (Pascal, 1992)…
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